Un nouveau livre consacré à La France insoumise, intitulé Les complices du mal, est paru aux éditions Plon le 2 octobre 2025. Il est signé par Omar Youssef Souleimane, écrivain franco-syrien réfugié à Paris depuis 2012. Dans cet ouvrage, l’auteur prétend démontrer l’existence de liens secrets, dissimulés et dangereux entre La France insoumise (LFI), l’islamisme et l’antisémitisme.
Dès l’avant-propos, il ne cesse de mettre en avant son origine syrienne et son parcours personnel comme gage de légitimité et preuve supposée de véracité de son propos.
Étant moi-même de cette origine, je me suis intéressé à la lecture de ce livre, particulièrement après la promotion médiatique dont il a bénéficié. Y trouve-t-on des preuves tangibles et des éléments factuels susceptibles d’étayer les affirmations qui y sont avancées ?
Peut-on parler d’enquête ?
Le mot « enquête » est devenu à la mode pour conférer une apparence d’objectivité, de scientificité, voire de vérité à ce qui est avancé dans les médias. Il est chargé d’un sens positif et d’une représentation sociale centrée sur l’idée selon laquelle il s’agirait d’une recherche objective de données pour décrire la vérité telle qu’elle est, d’autant que la plupart des recherches en sciences humaines adoptent cette méthode pour étudier les faits sociaux sur le terrain selon les méthodes de recherche scientifiques.
Le mot « enquête » prend encore davantage de valeur de vérité et d’honnêteté lorsqu’elle est réalisée par infiltration du groupe « étudié », laissant libre cours à l’imaginaire d’un enquêteur courageux, usant de méthodes quasi policières pour révéler ce qui est caché ou dissimulé par une bande à caractère secret, fermé et foncièrement hostile à l’extérieur. Selon Omar Youssef Souleimane, il a été contraint de se déguiser pour assister à des manifestations pro-palestiniennes : « Porter des lunettes de soleil, un keffieh, le drapeau palestinien et du fond de teint sur le visage pour ne pas être identifié ! ». Mise en scène ou réalité ?
En parcourant l’ouvrage, on ne trouve ni enquête ni preuves concrètes pour soutenir ce que promet le titre : l’existence de liens cachés et d’une complicité entre la gauche et les islamistes. On y rencontre seulement des juxtapositions d’événements, d’histoires, de personnalités et de déclarations, qui constituent les seuls « arguments » avancés pour étayer les suppositions de l’auteur.
Ses conclusions se fondent sur des inférences hâtives, des raccourcis simplistes et des généralisations reposant sur des exégèses biaisées ; il suffit, au sein d’une manifestation réunissant 20 ou 50 000 personnes, qu’une dizaine d’individus scandent tel ou tel slogan pour être qualifié d’antisémite ou d’islamiste. « Je constate que Mehdi Meftah, membre du parti des Indigènes de la République et ami de Tariq Ramadan, est présent à chacune des manifestations ; il se montre souvent à la tribune d’Urgence Palestine aux côtés d’Ersilia Soudais, de Manuel Bompard et de Thomas Portes. » Donc LFI serait proche de Tariq Ramadan et des Frères musulmans. « Le 15 octobre 2024, lors d’un rassemblement organisé par LFI pour soutenir Gaza […] Rima Hassan, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Sébastien Delogu, Thomas Portes et Louis Boyard ne se tiennent jamais bien loin de la tribune d’Urgence Palestine, où Omar Alsoumi appelle à la résistance armée », donc LFI serait proche d’Alsoumi et adopterait cet appel à la violence (la résistance armée).
Enquête ou récit personnel ?
L’auteur parle avec l’assurance de celui qui a tout vécu : la clandestinité, la torture, les histoires familiales, les mauvaises rencontres en Jordanie et dans les métros de Paris, les trahisons, les secrets… Chaque récit semble chargé d’expérience. « Mon origine, source de souffrance, est aussi un outil pour enquêter sur cette alliance trouble : je viens de ce monde », affirme-t-il. Un argument qui, d’ailleurs, fonctionne parfaitement auprès d’un certain public, notamment à l’extrême droite ou parmi les anti-LFI déjà convaincus. Leur commentaire le plus récurrent sur les réseaux sociaux résume bien cette réception : « Il est d’origine syrienne, il sait de quoi il parle. » Les origines de l’auteur sont présentées comme un gage de vérité, mais on sent toutefois que ces histoires échappent à toute vérification. La frontière entre souvenir et invention se brouille-t-elle ? Y a-t-il un arrangement avec la vérité ? Le lecteur n’a d’autre choix, pour répondre à ces questions, que de se fier entièrement à la parole du narrateur, ou non.
De plus, certaines informations inexactes, hasardeuses ou peu fiables peuvent être facilement repérées par tout connaisseur averti du Proche-Orient. Lorsque Omar Youssef Souleimane affirme : « Depuis son arrivée au pouvoir, Assad (père) soutenait officiellement le mouvement Fatah. Ce soutien comprenait une formation militaire, un financement et la fourniture de territoire syrien comme base pour des opérations contre Israël », cette affirmation est complètement fausse, car il est connu, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde, que la relation entre Hafez el-Assad et le mouvement Fatah était hostile et conflictuelle.
Il déclare aussi : « Je viens d’un monde où le mot “Juif” est une insulte. […] À la mosquée, où nous allions réciter une page du Coran par jour, l’imam répétait ce hadith selon lequel le prophète aurait dit : “Chaque fois qu’un Juif se retrouve seul avec un musulman, il a l’intention de le tuer.” » Une telle essentialisation de l’islam et des Syriens paraît pour le moins étrange. Tous ceux qui connaissent bien cette région du monde, la Syrie et plus largement le Proche-Orient, savent qu’elle est composée d’une grande diversité de religions, de confessions, d’ethnies et de cultures, ainsi que de visions de l’islam parfois très différentes, y compris d’un quartier à l’autre. Dans un tel contexte, il est très imprudent d’utiliser un « nous » généralisant et de projeter des histoires personnelles ou familiales sur l’ensemble d’une population.
Beaucoup de Syriens, y compris l’auteur de ce texte, ont grandi dans un climat de tolérance interculturelle et interreligieuse, et ont entendu de nombreux récits de personnes âgées racontant qu’à Damas ou à Alep, commerçants musulmans, chrétiens et juifs travaillaient côte à côte en parfaite harmonie et fraternité.
L’auteur affirme également qu’il ne pouvait pas téléphoner à sa famille et à ses proches en Syrie pendant douze ans, car ils auraient pu être harcelés par la mafia d’Assad pour avoir contacté un « traître ». Tout Syrien ou toute Syrienne opposant(e) à ce régime sait que cette information est inexacte, exagérée, et que l’auteur cherche à faire primer l’émotion sur la preuve.
De même, on peut remarquer facilement que l’auteur réduit la Palestine, la question palestinienne et les manifestations pro-palestiniennes au Hamas, au 7 octobre et à la guerre entre les religions, une lecture qui est souvent défendue par l’extrême droite et par les partisans d’Israël.
L’auteur condamne sévèrement le communiqué du groupe parlementaire LFI-NUPES du 7 octobre 2023. C’est bien sûr son droit le plus légitime. Mais le fait de découper des phrases du texte pour leur prêter des intentions qu’elles ne portent pas relève d’une certaine malhonnêteté intellectuelle, d’autant plus que le communiqué(1) appelle justement à la prudence, à l’apaisement et à la négociation. Sachant que La France insoumise, dans son communiqué du 7 octobre 2024 (2), a clairement condamné l’attaque du Hamas et l’a qualifiée de crime de guerre.
Blâmer LFI parce qu’elle refuse d’utiliser des termes chargés d’histoire et d’idéologie pour qualifier le 7 octobre, tels que « terroriste » ou « pogrom », est une chose ; affirmer qu’elle a défendu l’attaque du Hamas en est une autre.
De longues pages sont consacrées à Rima Hassan, à ses projets artistiques, ainsi qu’à LFI et à son prétendu antisémitisme. On y présente les propos de Shannon Seban et de Caroline Yadan comme des vérités incontestables, tandis que la rhétorique partisane d’Israël y est relayée sans la moindre réserve.
Une promotion médiatique et publicité gratuite sans précédente
Pour certains médias, il suffit d’être anti–La France insoumise (LFI), islamophobe et xénophobe pour être invité régulièrement sur les plateaux de télévision, dans les studios de radio et dans les colonnes de la presse, et surtout dans ceux des médias néolibéraux ou proches de l’extrême droite. Et si l’on est d’origine arabe et pro-israélien, c’est encore un bonus parfait pour ces médias : « la parole des concernés » ou « l’Arabe qui dit ce que les autres Arabes n’osent pas dire ».
L’auteur de Les complices du mal a bénéficié d’une véritable couverture médiatique de la part de BFM TV, CNews, Le Figaro, Le Point, L’Express, Europe 1, entre autres. Deux semaines avant la sortie de son ouvrage, Omar Youssef Souleimane a été régulièrement invité à en faire la promotion, matin, midi et soir. Le tout avec des mots et des formules loin d’être anodins, tels que : « enquête inédite », « infiltration », « le livre qui fait trembler LFI » ou encore « le livre que Mélenchon veut censurer ». Cette dernière expression fait référence à la demande des avocats de LFI, adressée à l’éditeur, simplement pour consulter l’ouvrage avant sa parution, mais elle a été transformée en : « le livre que Mélenchon veut censurer ou interdire ».
Ainsi, à la mi-octobre, l’ouvrage se trouvait en tête des ventes, trouvant un écho particulièrement fort chez les électorats de droite et d’extrême droite, pour qui ce livre confirme leurs attitudes islamophobes ou leur hostilité envers La France insoumise. Mais pour d’autres lecteurs, ceux qui cherchent réellement des preuves, cet ouvrage ne constitue qu’un épisode de plus dans le lynchage médiatique dont LFI fait l’objet depuis le 7 octobre 2023, et la première phrase qui leur vient à l’esprit après lecture pourrait bien être : « Tout ça pour ça ».
(1) : https://lafranceinsoumise.fr/2023/10/07/israel-palestine-pour-une-paix-juste-et-durable-stop-a-lescalade-communique/
(2) : https://lafranceinsoumise.fr/2024/10/07/hommage-aux-victimes-du-7-octobre-et-a-celles-provoquees-depuis-par-les-offensives-israeliennes-sur-gaza-la-cisjordanie-et-le-liban-cessez-le-feu/