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Billet de blog 23 avril 2008

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Maersk et le fantasme de l'origine

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Parce que sa vie se confond avec celle de l'empire entrepreneurial qu'il a bâti, on conçoit que Mc Kinney-Møller, monsieur «Maersk», ne soit pas si pressé de tourner la page. Partir, c'est mourir un peu, dit-on – alors, qui reprochera au très vieil homme de s'accrocher encore un peu ?

Sauf que ça fait vingt ans que l'armateur danois n'en finit pas d'organiser sa propre succession. Les plus habiles Maerskologues – car l'empire du milliardaire danois vaut bien, pour ses intrigues, ses silences et ses coups d'éclat, le Kremlin des grandes époques russes – finissaient eux aussi par trouver le temps long. Mais cette fois, après soixante-huit ans de vie professionnelle, et deux successions avortées, l'ami de la Reine, le mécène, le constructeur de l'opéra de Copenhague, l'armateur, le transporteur aérien, le distributeur, l'assureur... enfin Maersk quoi, s'en va – ou presque.

On avait tenté de remplacer Mc Kinney Moller par un seul homme, ce fut un échec. On s'y était mis à deux et le tandem Søderberg - Rasmussen explosa brutalement. Cette fois, il seront quatre : Jan Leschly, Poul Svanholm, John Bond et Steen Reeslev.

Les observateurs de la vie économique danoise soulignent combien la nouvelle équipe est marquée par cette «culture globale», entendez anglo-saxonne, qui tranche avec la longue tradition très «nationale» du groupe. John Bond, le nouveau directeur financier, est un britannique, ancien de la HSBC. Steen Reeslev, qui sera le grand communicant d'un empire longtemps muet et secret n'a jamais caché sa fascination pour les Etats-Unis, et affirme dans tout Copenhague sa volonté d'ouvrir Maersk à la transparence...

Qu'on se le dise, quitte à se répéter en choeur, les temps changent.

Evoqué par Jens Hansen dans son article du 20 Avril, un point a pourtant focalisé ma réflexion : cette internationalisation du groupe va de pair avec un retour de l'état-major dans une petite ville de Fionie, Troense. Il se trouve que c'est à Troense que le groupe était né, voici un peu plus de cent ans. Un retour aux sources, en quelque sorte.

On pourrait voir là une énième manifestation de la communication paradoxale : trouver toujours le symbole qui contredit exactement les choix réels d'une politique. On pourrait également penser à une métaphore maritime : la haute-mer de l'engagement international, et le port des racines danoises du groupe. Un mystique cinéphile dans mon genre songera aussi à la boucle proposée dans 2001, Odyssée de l'espace, quand la vieillesse et l'origine finissent par se rejoindre.

Je serais tenté de proposer une autre lecture, probablement plus polémique.

Si la dimension danoise de l'entreprise ne s'exprime plus que par le choix d'un lieu, et en l'occurrence d'une toute petite ville où tout aurait commencé, origine des origines, c'est bien qu'une soif de modernité assèche jusqu'à la modernité même.

Pour demeurer danoise, Maersk n'avait pas forcément besoin de s'épanouir entre de petites maisons de bois peint dans une bourgade isolée. Les méthodes de travail, les relations entre salariés, l'architecture audacieuse, le mobilier intérieur design, la qualité, et même Copenhague simplement... tout ceci était déjà moderne et encore danois.

Si l'on balance tout ça, ce qui fait que nous sommes ceux-ci et non ceux-là, si nos dirigeants ne pensent plus dans NOS termes, dévalorisés, mais dans ceux d'une expérience outre-atlantique, survalorisée, alors, effectivement, l'identité collective ne peut s'exprimer que dans un retour, archaïque, à l'origine.

Le nous ne peut plus être moderne. Le nous est "de retour" et seulement de ce retour. Le "nous" n'est plus Copenhague, mais le village-musée. Le nous est une nostalgie, voire, pire, une mélancolie.

Et l'intuition angoissée surgit : nos ancêtres, les barbares ?

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