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Billet de blog 24 avril 2008

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Le complexe d'Arletty

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tandis que, pour le précédent billet, je me penchais sur le long portrait de Steen Reeslev publié par Nyheds magasin, un petit article a détourné mon attention : Spécialiste des différences, tel est l'intitulé de ce papier rédigé par Anne-Sofie Storm.

La journaliste raconte ici l'activité d'une société de marketing, Red Associates.

Cette boîte danoise s'efforce de comprendre, et parfois d'anticiper, les échecs commerciaux que peuvent rencontrer les entreprises et les produits innovants. Pourquoi tel «bon» produit ne marche pas à tel endroit et pour tel groupe de personnes ? La réponse est alors culturelle au sens le plus large du terme. En effet, ces «spécialistes des différences» sondent le terrain social avec les outils des sciences du même nom : éthnologie, sociologie, psychologie, anthropologie. Ils déminent les cultures étrangères – avec leurs tabous, leurs résistances, leurs réseaux de signifiants - pour que l'industrie puisse passer avec toutes ses infinies nouveautés. L'innovation et sa proposition sont mises en regard des sociétés, décrites comme toujours singulières, à conquérir.

Bonne nouvelle ! s'écriera le narquois : l'éthno-sociologue a désormais un autre avenir que celui des crédits du labo à la baisse, des obscurs colloques et autres contributions à des revues confidentielles : il pourra, grâce à Red Associates, faire vendre les mobiles Samsung en Inde et en Afrique.

Je ne crois pas qu'il y ait là une si grande nouveauté. Il me semble bien avoir déjà lu cela, sinon cent fois, au moins quelques unes.

Ce qui était beaucoup plus singulier, à mon sens, c'est la présentation qu'en faisait la journaliste.

L'article commence ainsi : «Red associates se situe à Copenhague, sur Konprinsessegade [une rue chic de la ville], mais en dépit de cette apparence danoise, elle ne fait pas partie des entreprises danoises. Ses clients sont en fait... etc etc ». J'ai conservé la répétition de l'adjectif dansk, qui ne gène pas en danois, mais fait encore plus sens en français.

Qu'est-ce qui me chiffonne-là ?

On commence par s'interroger sur l'identité nationale de l'entreprise – curieuse interrogation, peu imaginable aux Echos - pour affirmer peu après qu'elle n'en a pas – tiens donc ! - et dans le même mouvement, on va nous expliquer combien l'identité culturelle prédomine dans les affaires – ben voyons ! - et cela bien plus que la technologie - heureux de l'apprendre.

Autrement dit : « nous n'avons pas d'identité, nous marketeurs de Red Associates, mais vous en avez, vous, vous les consommateurs. Nous sommes nous «globaux», et nous analysons vos différences... dont nous sommes mêmes spécialistes. » (Je force le trait mais il y a de cela).

Je n'entends pas dénoncer une sorte de situation du type Metropolis, même si je crois qu'on pourrait analyser la contorsion "identitaire" de l'article ainsi. Comme on dirait chez les républicains français, nous avons affaire à des « élites mondialisées ».

Je relierai plutôt cette contorsion autour de l'identité, du fantôme de l'identité qui parcourt tout l'article, à cette tension interne au Danemark : la volonté collective d'exister en tant que nation passe par un engagement résolu dans le compétition mondiale. Plus ils voudront «tenir» collectivement, plus il faudra se fondre dans le jeu.

Il faut être cela et son contraire, dans le même temps moral.

On aboutit, pardonnez-moi, à ce complexe d'Arletty : le coeur est danois, tandis que d'autres parties du corps (social) sont internationales.

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