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Billet de blog 17 mars 2025

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Détection des émotions par EEG : une avancée majeure grâce aux modèles hybrides

Une étude récente publiée dans Sensors montre comment les modèles hybrides d’apprentissage profond améliorent la précision et l’applicabilité en temps réel de la détection des émotions à partir des signaux EEG.

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La détection des émotions à partir des signaux électroencéphalographiques (EEG) est un domaine en pleine expansion, avec des applications prometteuses dans la santé mentale, l’informatique affective et les interactions homme-machine. Une étude récente, publiée dans la revue Sensors en mars 2025, propose une approche innovante pour améliorer la précision et l’efficacité de ces systèmes. Menée par une équipe de chercheurs de l’Université Paris Nanterre et de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, cette recherche s’appuie sur des modèles hybrides combinant apprentissage machine et apprentissage profond pour décoder les états émotionnels à partir des signaux EEG.

Contexte et enjeux

Les émotions jouent un rôle central dans la communication humaine et sont un indicateur clé de l’état mental d’un individu. Les technologies de reconnaissance des émotions, basées sur l’analyse des expressions faciales ou des signaux physiologiques, sont déjà utilisées dans divers domaines tels que la santé, le marketing ou l’éducation. Cependant, les méthodes actuelles se heurtent à des défis majeurs : manque de précision, difficultés d’interprétation des résultats, et limitations dans leur application en temps réel.

L’électroencéphalographie (EEG), qui mesure l’activité électrique du cerveau, offre une voie prometteuse pour une détection plus objective des émotions. Toutefois, les signaux EEG sont complexes et souvent bruités, nécessitant des techniques avancées de traitement et d’analyse. C’est dans ce contexte que cette étude propose une nouvelle approche hybride, combinant plusieurs modèles d’apprentissage machine et profond pour améliorer la classification des émotions.

Méthodologie et résultats

Les chercheurs ont utilisé le jeu de données DEAP (Database for Emotion Analysis using Physiological Signals), une référence dans le domaine, contenant des enregistrements EEG de 32 participants exposés à des vidéos musicales conçues pour susciter différentes émotions. Les signaux EEG ont été prétraités pour éliminer les artefacts et isoler les fréquences associées aux états émotionnels, telles que les ondes delta, thêta, alpha, bêta et gamma.

L’équipe a testé plusieurs modèles, allant des méthodes classiques comme les K-plus proches voisins (KNN) et les machines à vecteurs de support (SVM) à des architectures plus complexes comme les réseaux de neurones convolutifs (CNN), les réseaux de neurones récurrents (LSTM et GRU), et les transformeurs. Leur approche hybride, combinant ces techniques, a atteint une précision de 85 à 95 %, rivalisant avec les méthodes les plus avancées tout en offrant une meilleure efficacité computationnelle.

Un des points forts de cette étude réside dans l’utilisation de SHapley Additive exPlanations (SHAP), une méthode permettant d’expliquer les décisions des modèles en identifiant les caractéristiques les plus contributives. Cette transparence est cruciale pour des applications dans des domaines sensibles comme la santé mentale, où la confiance dans les systèmes d’IA est essentielle.

Applications potentielles

Les implications de cette recherche sont vastes. Un système de détection des émotions en temps réel, comme celui développé dans cette étude, pourrait révolutionner le diagnostic et le suivi des troubles mentaux. Par exemple, des dispositifs portables équipés de capteurs EEG pourraient fournir un retour d’information instantané aux cliniciens, permettant des interventions plus personnalisées et rapides.

Dans le domaine de l’informatique affective, cette technologie pourrait améliorer les interactions homme-machine, rendant les systèmes plus intuitifs et réactifs aux émotions des utilisateurs. Imaginez un assistant virtuel capable d’adapter ses réponses en fonction de votre état émotionnel, ou un jeu vidéo qui ajuste son niveau de difficulté en fonction de votre engagement.

Défis éthiques et réglementaires

Cependant, le déploiement de ces technologies soulève des questions éthiques et réglementaires importantes. La collecte et l’analyse des données EEG, qui relèvent des données biométriques, doivent être encadrées pour protéger la vie privée des individus. L’étude aborde ces préoccupations en adhérant aux lignes directrices éthiques, notamment en garantissant la confidentialité des données et en minimisant les biais dans les modèles.

En Europe, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) impose des restrictions strictes sur l’utilisation des données biométriques, ce qui pourrait limiter l’application de ces technologies. Les chercheurs soulignent la nécessité de développer des systèmes transparents et responsables, capables de gagner la confiance du public tout en respectant les normes réglementaires.

Perspectives futures

Les auteurs envisagent plusieurs pistes pour approfondir leurs travaux, notamment l’élargissement du jeu de données à un échantillon plus diversifié de participants et l’optimisation du système pour des applications cliniques et industrielles plus larges. Ils prévoient également d’explorer d’autres dimensions émotionnelles, comme la dominance et le plaisir, pour offrir une analyse encore plus nuancée.

En conclusion, cette étude représente une avancée significative dans le domaine de la détection des émotions par EEG. En combinant précision, interprétabilité et efficacité computationnelle, elle ouvre la voie à des applications innovantes dans la santé, les technologies interactives et au-delà. Cependant, son succès dépendra de la capacité à relever les défis éthiques et réglementaires, garantissant que ces technologies soient utilisées de manière responsable et bénéfique pour la société.


Référence :
Mouazen, B.; Benali, A.; Chebchoub, N.T.; Abdelwahed, E.H.; De Marco, G. Enhancing EEG-Based Emotion Detection with Hybrid Models: Insights from DEAP Dataset Applications. Sensors 2025, 25, 1827. https://doi.org/10.3390/s25061827

Licence : CC BY 4.0

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