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Billet de blog 14 août 2023

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« Le football féminin n’a aucun intérêt, le sport ça se regarde pour la performance »

Cet argument semble être le principal utilisé pour justifier le désintérêt pour la Coupe du Monde féminine qui se joue actuellement, venant souvent même des fans de foot les plus aguerris.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par cette phrase, il est sous-entendu deux choses :

  • Le sport ne se regarde purement que pour la performance, pour voir les plus grands concourir sur la scène internationale
  • L’état du football féminin aujourd’hui, bien inférieur au football masculin, est du fait des “limites biologiques” des femmes dans le sport par nature

Dans les faits, il n’y a rien de problématique à faire le constat que le niveau du foot féminin aujourd’hui est bas, car il l’est. Ce qui est problématique, c’est d’expliquer qu’il est bas par nature, et de comparer sa performance actuelle avec le football masculin qui lui a déjà maximisé les variables de son développement et de la découverte de ses talents.

Le niveau au football d’un pays dépend principalement de deux facteurs. D’abord, le nombre d’individus qui jouent au foot dès le plus jeune âge, qui est lui même est corrélé à la population du pays et sa culture footballistique. Par exemple, l’Inde a une très grande population, mais est très peu exposée au sport. De l’autre côté, la Croatie qui excelle, a une très petite population mais est bien plus encouragée à le pratiquer.

Le deuxième facteur, c’est le niveau de développement du foot dans ce pays en termes de coaching, d’infrastructure et de carrière potentielle pour les joueurs, lui même corrélé au budget mis sur la table par les structures sportives. Lorsque beaucoup de moyens sont mis en oeuvre pour améliorer le niveau des talents détectés au sein d’un pays, il permet de translater le niveau global plusieurs crans plus loin.

Ceci explique par exemple que l’Afrique, dont la population est nombreuse et fortement exposée au foot, ne produit toujours pas autant de joueurs de haut niveau que l’Europe qui a maximisé sa variable de développement de ses talents.

Illustration 1
Des garçons jouant au football - Hay Lalla Meriem, Casablanca

Arrivé ici je pense que vous voyez où je veux en venir. En proportion, beaucoup moins de femmes jouent au foot que les hommes, ce qui implique que les individus en queue de distribution des deux groupes, the best of the best, ont mécaniquement un niveau drastiquement différent.

Trouver des génies du football, 23 individus parmi des millions de potentiels au sein d’un pays, c’est un exercice probabilistique. Vous aurez simplement bien plus de chance de tomber sur le futur Messi si des millions de jeunes garçons sont encouragés à jouer au foot tous les jours, comparé aux quelques milliers de jeunes filles qui osent s’y aventurer.

Illustration 2
Détection des meilleurs talents - Masculins vs Féminins © Bahaeddine El Fakir

Combien de jeunes génies du football féminin avons nous perdu parce qu’on leur a expliqué que le foot, c’était une affaire d’homme?

Le second facteur, c’est le développement, qui là aussi est extrêmement déséquilibré. Le budget alloué au football masculin est incomparable à celui du football féminin. Il vient donc translater le développement des talents découverts chez les hommes encore plus loins sur notre axe, exacerbant les différences de niveau à un degrès incomparable.

Illustration 3
Détection des meilleurs talents - Masculins vs Féminins © Bahaeddine El Fakir

Combien de jeunes génies du football féminin n’ont pas pu correctement être prises en charge par les coachs les plus compétents ?

Combien voient leurs potentiels gâchés devant cumuler d’autres emplois pour subvenir à leurs besoins?

Illustration 4
© instagram.com/period.studio/

Oui le niveau du foot féminin aujourd’hui est bas. Mais ce n’est pas la conséquence de la nature des femmes à être moins bonnes au sport, mais bien dû à un sexisme structurelle (il fallait bien sortir le gros mot au moins une fois dans cette tribune). Et la meilleure manière de rendre le football féminin aussi attrayant que le masculin, c’est de le combattre.

Je ne rentrerai pas dans le débat des différence biologique, car aujourd’hui il n’a pas lieu d’être. On discutera des différences biologiques quand on pourra comparer le football masculin et féminin sur un pied d’égalité par rapport aux deux variables susmentionnées. Et comme vous l’aurez compris, on en est encore bien loin.

Comparer les deux niveaux aujourd’hui et conclure d’une différence biologique serait l’équivalent de comparer le niveau du foot africain et européen et en tirer la même conclusion. Sachez que c’était la théorie principale utilisée dans le passé par les occidentaux pour justifier le nombre de place risible allouées aux équipes africaines en Coupe du Monde.


Laissons maintenant de côté toutes discussions portant sur la performance stricte. En réalité, être un fervent supporter, fan de football, ça n’a jamais été question de niveau. On suit son équipe de coeur par amour, par identité, par fidélité et pour les émotions qu’elle nous procure.

On la critique acerbement lorsqu’elle sous-performe, on célèbre allègrement lorsqu’elle est victorieuse, mais on continue de la supporter envers et contre tous. Demandez à un anglais quelle équipe de foot il supporte et entendez-le parler avec ardeur d’un club au nom imprononçable bloqué en 4ème division depuis les 20 dernières années.

On suit le sport pour ses histoires et ses récits, pour ses retournements de situation et ses rebondissements, pour espérer secrètement voir l’arrogant favori être déchu par le modeste outsider. Quel français oserait dire qu’il ne ressent rien en regardant le finish du 4x400m durant le championnat d’Europe d’athlétisme féminin en 2014 ?

Finale relais 4x400m Femme Championnat d'Europe 2014 © Dasdil Waldaaf

Durant cette Coupe du Monde féminine, l’équipe du Maroc, 72ème au classement FIFA et participant au tournois pour la première fois de son histoire, a réussi à se qualifier pour les 8ème de final devant l’Allemagne, 2nde au classement, après pourtant s’être fait aplatir 6-0 contre elles lors de leur tout premier match du tournois.

Illustration 6
Premier match de l'histoire du Maroc en Coupe du Monde Féminine © instagram.com/equipedumaroc/

Personnellement, je n’y croyais pas une seule seconde avant le coup d’envoi décisif face à la Colombie. Devant suivre deux matchs à la fois, n’ayant pas un instant pour reprendre mon souffle, et face à l’improbabilité totale du scénario final, les émotions qu’elles m’ont procuré à moi étaient plus intenses qu’avec l’équipe marocaine masculine pendant la Coupe du Monde au Qatar. Et ce n’est pas peu dire.

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Classement final groupe H - Coupe du Monde Féminine 2023

En refusant de developper le football féminin et de le suivre actuellement en l’état, c’est aussi de ce genre de moment de communion, déjà bien assez rare dans notre quotidien, dont nous sommes entrain de nous priver collectivement.

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© instagram.com/josephouechen/

Contact instagram : @baha.elfakir

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