Balbino Bautista

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Billet de blog 3 août 2019

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Remarques sur le discours dominant

Sur le sens du mouvement des gilets jaunes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Remarques sur la texture du discours dominant.

Poursuite du débat. Le noeud que nous devons trancher est composé de trois cordes, le marxisme, le freudisme et l’individualisme. Concrètement, notre mouvement le réfute horizontalement. Politiquement, il s’agit d’installer le plus grand nombre possible de communes dont le fonctionnement reposerait sur nos deux moteurs, la démocratie directe et le RIC. La condition est que notre mouvement y atteigne d’abord lui-même.
Où la méthode dialectique garde toute sa pertinence en matière d’analyse de notre situation, le « marxisme », qui le requiert, se révèle être, comme n’importe quel autre mouvement de pensée, une idéologie, une théorie relative au temps, et la psychanalyse, itou, qui contribuent à asseoir et à entretenir le discours « vicieux » auquel de nous-même nous nous aliénons.

Reprenons. Ce que je dis depuis un moment et d’engage à nouveaux frais, c’est que le marxisme et le freudisme procèdent de l’institution du discours dominant, qu’ils en sont, avec l’individualisme, que l’on confond, à tord avec l’anarchisme, la clef de voûte. À eux trois, ils instituent l’Un et l’Être en sorte que le marxisme, le freudisme et l’individualisme constituent le sujet contemporain. Mais pas seulement, ces trois-là font « monde », ils reproduisent la réalité, ce que nous pouvons penser. Or, il y a, à partir d’eux, qui font système et nient le « temps », deux choses en trop, l’« éternité » et l’« argent ».

J’ai dit, ailleurs, en appui de Joyce (Ulysse), que ces deux promesses étaient de trop, et qu’il convenait comme il le fait pour lui, de s’en séparer, de les écarter en défaisant leur nœud, lequel n’est autre que le nœud de Dieu. Cet enjeu de Joyce est aussi celui de notre mouvement. Pourquoi ? Parce que notre mouvement, s’il est hors système et sans autre principe que « sa » liberté (nous refusons l’élection, nous refusons d’être représentés), n’est pas hors discours : libres, nous voulons, comme les Communards, l’égalité (partager ce que nous avons en commun) et la fraternité (accueillir sans distinction toutes nos différences). Un tel enjeu de vie nous oblige à atteindre, au plan même de notre mouvement, dans nos fonctionnements, ce que, réellement, aujourd’hui, au yeux des autres, nous concrétisons ensemble : l’a-archie.

Un par un, une par une, nous pouvons, nous devons continuer à rejeter ce que nous réfutons de fait en mouvement, le marxisme, le freudisme et l’individualisme. On ne dépasse pas le marxisme, on réfute son rapport au travail comme condition de la liberté, comme on ne dépasse pas le freudisme, on réfute son rapport à la fonction phallique comme condition de la vérité, comme on ne dépasse pas l’individualisme, on réfute son rapport au moi comme condition d’une existence autre qu’altruiste. Défaire le nœud que le marxisme, le freudisme et l’individualisme constituent, c’est, d’un côté, refuser, malgré Murray Bookchin, le principe de toute élection (pas de chef) et, néanmoins, admettre, de l’autre côté, le principe identitaire de la majorité, l’expression directe en assemblées de nos volontés communes (les mandats).

Alors, le « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin.(note : Je me fie à Elias Boisjean). Murray Bookchin reproche aux marxismes, leur expression autoritaire (l’élitisme du centralisme démocratique) ; leur idéalisation de la classe ouvrière ; leur volonté de soumettre, en conformité avec le productivisme, en raison, la nature et, la fin justifiant les moyens, leur désintérêt pour la morale. Aux anarchismes, il reproche « leur condamnation de principe du pouvoir, leur aventurisme, leur individualisme, leur dogmatisme, leur rejet de tout système électoral, leur mépris du principe majoritaire ». Soit ! Mais relativement à l’anarchie, Murray Bookchin entretient un malentendu, il confond les anarchismes dans l’individualisme où nous pouvons, contre lui et malgré lui, retenir le principe du rejet de tout système électoral et soutenir, en même temps, le principe identitaire de la majorité.

Aux réformismes, nos démocraties représentatives, qu’il tient pour fondamentalement incapables de mettre fin à la dévastation capitaliste des écosystèmes, il oppose décisivement l’écologie sociale : il n’y a pas de problème écologique qui ne soit un problème social (Remaking Society). De là, son optimisme et deux affirmations ! « L’espèce humaine n’est pas l’ennemi : la minorité possédante en son sein, si » et « les outils technologiques ne sont pas un danger : ne pas les mettre au service de l’autonomie populaire, si ». Reste sa double exigence sociale et environnementale : pas de cohésion sociale sans le souci de ce qui nous est commun, notre environ matériel.

Au commencement nous sommes, sans municipalités, et sans qu’il y ait rien à fonder, notre mouvement nous porte autant que nous le portons, nous sommes une force politique, a-partisane, qui n’attend que de croître, à condition qu’elle s’organise et ne cède pas sur son double sens, l’écologie et la démocratie directe, et son objectif, l’insurrection qu’elle est : changer de régime social.
Le « groupe », que Murray Bookchin appelle, nous l’avons sous la forme de notre mouvement, à charge pour lui d’assurer, d’un côté, à son propre niveau, la démocratie directe qu’il promeut comme solution à nos maux institutionnels, la fabrique d’élites et de lier, de l’autre coté, les enjeux de proximité (vie quotidienne et travail) à l’écologie sociale. L’occupation des ronds-points, qui met en évidence la nécessité de se ré-approprier les espaces publics, contredit, en l’état, le fait que les cafés et les bars redeviennent des espaces de culture et de bouillonnement politique. La rue-même, qui nous est tolérée le temps de la dispersion d’une manifestation, n’est plus un espace public, nous y sommes menacés. Pour nos réunions, c’est pareil, nous ne disposons d’aucun espace, nous nous en remettons à la discrétion d’une bonne volonté.

À défaut d’espace, nous avons pour nous le temps. La base associative plutôt qu’institutionnelle de notre mouvement peut être celle-là même que préconise Murray Bookchin : une assemblée générale locale régulièrement déclarée, qui prend en charge les questions d’intérêt commun, les mobilise autour d’un ordre du jour et délibère selon des modalités de prises de décision convenues à l’avance. D’une assemblée générale à une autre, son « personnel » change. Toute décision prise par un vote direct à la majorité est appliquée tant qu’elle n’est pas remise en question par une nouvelle assemblée générale. C’est fort d’une telle notoriété et de sa morale, que nous pouvons rester hors système et, néanmoins, soumettre aux différentes listes de candidats aux élections municipales ce que serait un programme communal « gilet jaune » .

La « révolution » douce des petits pas dont rêve Murray Bookchin n’est pas pour demain, quelque chose qu’on confond avec la liberté d’expression, le « quant à soi de majesté », le narcissisme des petites différences, l’individualisme y objecte :

D’un côté,
« la liberté d’expression devra être « la plus complète », et ce qu’elles que soient les divergences idéologiques, éthiques ou partiaires. Les décisions seront prises, après débats, par votation et à la majorité – la minorité aura à s’y conformer, sans quoi la vie sociale « se désintègre[ra] dans une cacophonie d’individus hargneux ». Elle pourra sans contredit continuer d’exprimer ses désaccords et chercher à convaincre la majorité de réviser son jugement ; les dissidents devront exister : sans désaccords, une société ne pourrait être libre, vouée qu’elle serait à « sombr[er] dans la stagnation ». »
De l’autre côté,
« les candidats ne parleront jamais en leur nom propre : ils représenteront le municipalisme libertaire et auront à répondre, devant le mouvement, de leurs faits et gestes. Il conviendra de se montrer prudent avec les médias de masse – très certainement hostiles – et de privilégier les dispositifs « communautaires » et les espaces où la parole ne sera pas systématiquement tronquée et individualisée […] : le municipalisme libertaire aspire à s’appuyer sur le déjà-là (les conquis émancipateurs) tout en étendant et en radicalisant la démocratie ».

Des trois écueils possibles au mouvement, le marxisme, le freudisme, l’individualisme, qui soutient l’identification, est le plus insidieux. Voilà pourquoi Elias Boisjean l’épingle avec Murray Bookchin avec autant de passion.

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