Si voter blanc, c’était voter jaune
J’apporte ma contribution civile à notre débat propre et une suggestion politique accessoire. Je pense tout haut.
Ma contribution
Notre mouvement n’est rien de spontané, il n’est pas spontané, c’est une insurrection. Cette insurrection n’est pas sans raison, elle était prévisible, elle a une cause : l’argent, qui installe une double domination de l’argent par l’argent. La domination de l’argent est le fait des nombres [le calcul embrasse tout]. La domination par l’argent est le fait d’un mensonge [le mensonge que chacun ne vaut que ce qu’il gagne ou qu’on lui alloue].
Avec cette domination, il est possible aujourd’hui de finir, il y faut une volonté politique. Cette volonté, notre mouvement l’a. Il s’est inscrit dans un rapport de force à l’État ou au gouvernement qui dévoile son refoulé, la lutte des classes. Il lui suffit donc qu’il ne cède rien de ses principales revendications de justice et de liberté d’opinion. À charge pour lui d’inventer la démocratie et d’autres modes de représentation innovant sur les acquis du Conseil national de la Résistance.
Si la question de la visibilité du mouvement ne fait plus problème [les gilets jaunes sont partout remarquables], sa légitimité reste à prouver. Ce que j’ai dit des nombres [ils conduisent aux représentations collectives] s’oppose à ce que nous tirions notre légitimité du nombre que nous faisons. Néanmoins, si ce qui nous rassemble [inventer et apprendre la démocratie] est plus fort que nos « ego », nous pouvons tenir cette légitimité du « un par un ».
Ma suggestion
Il est une échéance, les prochaines élections européennes, et une occasion, renverser nos modes de représentation : ou le non n’a rien valu, le vote blanc vaut encore moins. Face à une classe arcboutée sur ses prérogatives féodales, il s’agit de faire du vote blanc une arme politique, l’arme politique qu’il faut au mouvement. Forger une telle lame, la lame de fond du vote blanc, assoirait le rapport de force de classe que le mouvement a initié.
Un vote blanc égale un vote jaune : « ni la gauche, ni la droite, ni l’extrême-droite ».
Voter blanc, c’est voter jaune. Voter blanc, ce n’est pas voter pour Macron, ni non plus, pour rien. C’est d’abord voter anonymement, négativement, pour soi, c’est affirmer son existence où des voleurs de vie sont occupés à nous prendre les nôtres. Voter blanc, c’est ensuite accepter de voter en même temps « un par un », en sorte que nous sortions ensemble et abandonnions ensemble le système que nous dénonçons : l’hégémonie de l’économie et son impasse sur le politique.
À charge pour nous d’inventer une autre façon de faire société et de continuer à nous constituer sur la base la plus large possible, de nombreuses commissions et d’autant d’assemblées dont les porte-parole sont tirés au sort ou changent à chaque nouvelle commission comme à chaque nouvelle assemblée, manière de nous tenir au plus près du réel de la lutte des classes : faire que la question politique par excellence [la justice sociale] l’emporte sur l’économique.
La lame du vote blanc, sa coupure, par une heureuse ironie de l'histoire (« nul », le vote blanc ne vaut rien) est le premier acte politique abolitionniste que nous ayons à notre disposition pour ré-instituer nos droits à l’éducation, à la santé, à la justice que nos gouvernements successifs n’ont eu de cesse de détricoter.
Si nous pouvions ainsi nous compter, un par un, assez nombreux, nous pourrions exiger d’engager en France, la bascule constitutionnelle pour que se tienne une assemblée constituante augurant d'une démocratie encore à venir. Il faut d'abord que chacun vote blanc, qu’il affirme qu’il vote jaune, ni pour la gauche, ni pour la droite, ni pour l’extrême-droite, et le revendique comme tel. Les compter pour nous-mêmes nous permettrait de faire valoir que, loin d'être un peuple de demeurés, nous ne sommes plus disposés à nous en laisser conter, mais bien décidés à nous prendre en mains.
Je suis parti d’un double constat, la nature du mouvement et sa nécessité, ce qui oblige : penser le proche, son avenir proche et sa possible étendue, qu’il reste une force, un mouvement, plutôt qu’il ne se transforme en parti politique.
Insurrectionnel, notre mouvement se caractérise par ce qu’il a imposé au monde entier : un rapport de force qu’il a intérêt à entretenir, malgré les risques et tentatives de récupération tant sur sa gauche que sur sa droite. Il doit publiquement écarter la violence de l’extrême droite, contenir nos différences [« ne nous regardez pas, rejoignez-nous ! » ; « je suis rien, je suis ! »], et trouver à pratiquer par lui-même ce qu’impliquent ses exigences démocratiques de justice. Pas de concession donc au débat voulu par Macron et à l’enfumage qu’il espère de nos propositions.
Si aux questions de la représentation et du vote, nous ne pouvons pas échapper, il est possible de parer aux effets délétères des petits et grands chefs en contrôlant les fonctions de représentation, en sorte que personne ne s’identifie à l’idéal de sa fonction.
Je poursuis mon rêve, je cours avec lui.
Ma proposition d’appeler à voter « blanc » concerne déjà la démocratie que nous voulons. Elle implique que nous considérions et abordions les prochaines élections européennes comme une grande opération « coup de poing » pacifique. De fait, elle prolonge d’une autre façon les actions des ronds points. Constituer une liste des gilets jaunes, c’est acquiescer au système que nous dénonçons ; c’est nous prévaloir, malgré nous, du collectif et de son fatal échec : le rassemblement sous un parti et sur quelqu’un, ce qu’aujourd’hui, au vu de notre fonctionnement démocratique, nous refusons. Pensons à la façon dont les grecs ont été trahis. Notre volonté, a contrario, c’est de sortir, en même temps et une première fois du système, « un par un » (le vote) et tous ensemble (son résultat). Les prochaines élections européennes en sont l’occasion et l’opportunité à condition d’en subvertir les modalités : faire d’elles autre chose que ce qu’elles prétendent être.
Pas de liste des gilets jaunes, seulement un appel à voter blanc. Cet appel est une invitation lancée à tous ceux qui, comme nous, n’attendent plus rien de nos gouvernements, pour qu’ils se nouent, au su nos revendications, à nous. À l’arrivée, nous pouvons être assez nombreux pour exiger et imposer l’assemblée constituante que nous voulons.
D’un point de vue concret, qu’est-ce que cela suppose ? Que partout où cela sera possible, que deux ou trois gilets jaunes participent à un bureau de vote, qu’ils y soient présents et comptent les bulletins blancs. Quelle meilleure reconnaissance de notre mouvement qu’une telle opération pacifique !
Les forces de l’ordre (toute la police) n’étant pas, jusqu’à preuve du contraire, pour l’heure, manifestement de notre côté, j’appelle à subvertir notre mode de représentation institutionnel, j’appelle à voter blanc, j’appelle à voter pour les « nuls » (Coluche) et nous comptions comme tels.
« Ni la gauche, ni la droite, ni l’extrême-droite, mais un acte politique civil : voter »