LES ÉLITES FACE AUX « GILETS JAUNES » Une philosophie du mépris
Par Bernard Pudal, professeur de science politique à l’université Paris Nanterre
LE MONDE diplomatique – MARS 2019
Morceaux choisis et remarques.
La thèse de Bernard Pudal est que : « Depuis son accession à la présidence, M. Emmanuel Macron a souvent assimilé les classes populaires à un groupe de fainéants incultes et braillards [et que] ce faisant, il rompt avec la duplicité des chefs d’État successifs vis-à-vis des milieux défavorisés : les comprendre en parole, mais négliger leurs revendications. Et surtout ignorer la domination structurelle dont ils font l’objet ».
[Cette thèse mérite examen, si Macron n’ignore pas la domination structurelle dont le peuple, en raison de son hétérogénéité même, fait l’objet. Il ne rompt pas, par incompétence ou inexpérience politique, avec l’hypocrisie des chefs d’États précédents, il renforce leur duplicité, il la redouble, il cherche un affrontement frontal avec les dites classes populaires, il poursuit au nom d’une doctrine économique, la soumission de populations entières par le travail, et la mise en place de lois scélérates, une volonté ancienne appliquée pendant la guerre d’Espagne, l'extermination de populations entières pour leurs idées, un fantasme commun aux élites, dont la fondation Terra Nova et un Bernard Arnault attestent. L’une invitait en 2011 la gauche socialiste à faire le « deuil » de son peuple ; l’autre, plus froidement, rêve tout haut de la disparition des gilets jaunes, de leur élimination pure et simple.]
Son analyse, par ailleurs, est remarquable :
[…]
« À la sempiternelle question « Qu’est-ce que le peuple ? », le président répond : c’est ceux qu’il faut éduquer, voire rééduquer, ceux qui sont réfractaires, qu’il faut guider, ceux qui se plaignent au lieu de se prendre en main et de se responsabiliser, ceux qui, trop souvent, ne sont rien ».
[…]
« Des « classes dangereuses » aux « foules déchaînées », des « mauvais pauvres »aux « racailles », des « déclassés aux « cas sociaux », la conceptualisation du mépris des classes populaires a une longue histoire… [et des effets pervers : le déni de leur être social, qui passe par l’usage d’un véhicule, l’automobile].
[…]
« Tout groupe social érige des frontières symboliques afin de valoriser les qualités dont il s’estime dépositaire, d’évaluer à cette aune les comportements des groupes dont il cherche à se différencier, en haut ou en bas, et d’interpréter le regard que ces derniers portent sur lui. De ce point de vue, les classes populaires subissent un traitement convergent de tous ceux qui les prennent pour « objets », [qui ne voient pas en eux ce, qu’en principe, comme eux, ils sont, des « agents »], à l’école, au travail, sur leurs lieux d’habitation, dans les loisirs, dans la vie sociale la plus ordinaire. Cette réduction de l’autre populaire au statut du « mauvais objet » structure l’ensemble de notre vie sociale.
Pierre Bourdieu n’a cessé de rappeler la nécessité de s’interroger sur les effets symboliques de notre système scolaire [ : s’agissant d’obtenir que la raison économique prévale sur la raison politique, et non l’inverse, son adhésion à la servitude volontaire et au consentement forcé] ».
[ …]
[Pierre Bergounioux, écrivain et professeur de collège, soulignait que] « Quelque effort que puissent faire certains enseignants, le monde de l’école n’épargne pas aujourd’hui les enfants des classes populaires, sommés de se soumettre à l’ordre des légitimités culturelles et renvoyés, à défaut, à leur « misère » morale et culturelle. L’une des dimensions de la généralisation de l’enseignement secondaire et supérieur […] n’est autre que l’apprentissage pour beaucoup de leur indignité ».
[…]
« Ce déni, [prendre un agent comme soi pour un objet] peut s’insinuer dans les situations les plus quotidiennes […] et l’une des dimensions des cultures populaires réside dans cette pensée qui interprète sans cesse les mille signes, détails ou anecdotes, propos ou attitudes corporelles par lesquels, comme dans la situation coloniale, l’ « individualité » vous est refusée ».
[…]
« CETTE PERCEPTION s’est affirmée et transformée depuis un demi-siècle, avec la généralisation – inachevée, chaotique et ségrégationniste – de l’enseignement secondaire et supérieur, et avec La croyance de plus en plus partagée en la disparition des classes populaires, alors que celles-ci représentent plus de la moitié de la population… ». [c’est un tel monde qu’il s’agit de renverser]
Billet de blog 7 mars 2019
À propos des élites face aux « gilets jaunes »
Des raisons subjectives d’une domination masculine
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.