Une lacune, l’anarchie en quelque sens
Libre lecture de L’anarchie - pour ainsi dire
L’anarchie est ou bien un mi-dire ou bien un dire muet. Comme mi-dire, elle est une promesse, c’est le je suis anarchiste de Proudhon. L’anarchie, c’est l’ordre, sans gouvernement, moins la Loi. Rien que des règles qu’on se donne et remplace quand elles ont fait leur temps.
Comme dire muet sur la liberté, qui réfute le vrai [il y a plus d’une vérité], elle s’écrit, c’est son paradoxe, pour être lue et laisser voir. Un éléphant qui danse dans la savane, c’est notoire, écrit sa liberté.
Où, au niveau du discours, il y a Dieu et sa supposition comme principe, on produit un autre principe, qui n’est que du vent, ou bien un rot ou bien un pet, le phallus ou sa con-soeur, l’âme. L’âme n’existant pas, c’est le mystère du 2 qu’on n’obtient en mathématique qu’à partir du 3.
Socrate, pour qui veut l’imiter, sauve l’âme ; aliénant sa pulsion de vie, il place sa liberté dans l’Un(Le Banquet). Comment ? Par une double identification, d’un côté, il s’identifie contre la démocratie, qui l’a condamnée à mort, à un mort ; de l’autre, il s’identifie à Éros. Un autre viendra, qui se disant le fils de Dieu, se fera reconnaître comme le fils de l’Homme. C’est fâcheux pour qui aime la vie. À l’origine, il y a, donc, bien la forge de l’éternité.
À l’origine, cependant, on peut, sans vendre son âme au Diable, partir d’autre chose que les Idées ou le Verbe. On peut ne partir que de la pulsion de vie. L’équivoque ironique sur Graeber, qu’il serait un verbe, n’est pas sans malice. Pour autant qu’il pourrait être autre chose que lui-même, elle engage un déni. Non, c’est non ! Graeber est un nom, le nom d’un anarchiste américain contemporain.
Délaissant le Verbe, Graeber part avec d’autres, des images, de l’autre imitation, celle qui induit l’art plutôt que la pensée. Il se fait, d’une autre manière que Joyce, qui rejette le discours de l’Université, avec ses amis, artiste. Un peintre, Monet par exemple, mais ça n’est pas plus vrai que pour le poète, en nous offrant ce qu’il voit de vivant, excède la représentation, pas Gérard Garrouste, qui, en impasse, plutôt la sature.
Qui aime la vie s’adonne à la manière d’Emma Goldman à la pulsion de vie pas au désir, qui en est la perversion : Aussi longtemps que l’homme voudra bien laisser le diable prendre soin de son âme, il pourra, [où l’arène politique n’offre d’alternative qu’entre l’âne et l’escroc], selon la même logique, laisser les politiciens prendre soin de ses droits. (La liberté ou rien. Contre l’état, le capitalisme, le patriarcat, Lux).
L’anarchie, ce n’est pas la folie, elle n’est pas la folie. Pourtant, souvent, ou bien on l’y confond ou bien on l’y assimile. On peut en avoir fait à ses dépens l’amère expérience. La figure du fou, son excentricité autant que son ex-timité, s’y prête. Le fou est si étrangement réel, inidentifiable qu’on impute à son désordre la plus grande liberté (Rabelais/Lacan).
Si elle n’est pas la folie, l’anarchie n’est pas davantage quelque anarchisme que ce soit, il n’est qu’une idéologie comme une autre, mais la mise en acte discursive, la pratique de facto de la liberté qui met en cause l’invention platonicienne et son ressort : la dialectique.
Alors la césure de Descartes. La coupure épistémologique que Descartes introduit entre nature et culture (civilisation), qui institue le « sujet moderne » et l’entérine est une fausse séparation si elle vaut comme appropriation de la nature. En effet, en instituant le moi comme « maître » de la pensée, Descartes en fait un propriétaire, il fait de la nature un bien. De la nature en son sens, nous ne sommes pas séparés, la nature, nous l’objectivons.
L’idéalisme est l’endroit du matérialisme, ils sont copains coquins, ils soutiennent l’individualisme (cf., près de nous, les détours de Bruno Latour pour sauver le sujet contemporain, où le marxisme soutient l’élitisme d’une classe dirigeante en sorte qu’Il y a incompatibilité de fait entre l’anarchie et la pratique hypocrite marxiste de la lutte des classes.
Les marxistes aussi bien que les socio-démocrates pensent en termes d’émancipation plutôt qu’en termes de liberté ; ils font du travail l’idéal de l’émancipation alors qu’il est la clé de toute domination.
Oui, le moi est haïssable, selon les raisons et l’expérience de David Graeber, pas selon celles de Pascal. Étant admis qu’il n’y a qu’une espèce de désir, qu’il n’est, où il n’y a rien, que manque insolvable, où il n’y a pas, contre Freud, de pulsion de mort, sinon la volonté maligne de quelque moi, le désir falsifie la pulsion de vie.
Ça porte un nom. En clinique, le must du désir meurtrier d’un moi, c’est le masochisme et son paradigme, la mélancolie. Au-delà du principe de plaisir, il y a la jouissance, le plaisir qu’on prend au malheur d’autrui. Un amour « emmêlé » peut comporter quelque traitrise (Edvard Munch).
L’Un tout seul n’existe pas (Maître Tchouang) et il faut du trois pour faire de l’un. Ce qui vaut pour Dieu, il y a le père, le fils et le Saint Esprit, vaut pour l’état, il y a l’exécutif, le législatif et la bureaucratie. C’est pareil pour qui est assujetti au langage, il y a le réel, le symbolique et l’imaginaire.
La question discursive que pose l’anarchie est relative à la levée du déni pervers qui assure la domination masculine. Où elle est possible, un par un, une par une, peut-elle l’être quand on fait collectif ? Sans doute, puisque le collectif, ce que nous avons en commun, de commun, commence aussi à trois. Où nous avons la liberté, nous pouvons avoir l’égalité et la fraternité. Sans elle, sans la liberté, on n’a rien.
Le capitalisme est - ce que de mon côté je montre aussi - ce que Edouard Jourdain (Théologie du capital PUF) soutient dans sa forme un événement théologique, la théologie chrétienne par le moyen de l’économie. L’éternité, le travail et l’argent sont en trop.
Alors le souvenir de Graerber, son expérience du harcèlement scolaire et du désarroi de son père, l’intimidation et son ressort social, le retournement contre la victime. Où la pulsion de mort n’existe pas, il y a bien une volonté meurtrière, assassine, une jouissance méchante à dominer de quelque façon l’autre. Un petit malin ou petite maline, mais déjà deux gros cons jouent de deux côtés à la fois. D’un côté, ils s’appuient sur l’autorité qu’ils mettent de leur côté ; de l’autre côté, sur le groupe qui laisse faire. Aussi Graeber imagine-t-il un ordre social anarchiste dont l’une des priorités serait de s’inoculer contre un tel mécanisme, il est le ressort psychologique qui justifie l’agression.
Où nous n’avons besoin que d’une morale et de quelques règles que nous puissions respecter, prenons soin de nos enfants et de nos ainés, apprenons aux uns à jouer et s’entraider et veillons sur autres que l’âge rend dépendants.
L’autre comme impossible, sauf à recomposer le fantasme (l’hypocrisie philosophique autant que religieuse), comme autre, nous est réel, singulier, unique.
balbino.bautista