Bruno Latour est un idéologue conséquent, il part d’un vertige et d’une situation hallucinatoire : la destruction « appliquée » de notre planète. Alors ma question et sa façon de la reprendre : Les intellectuels et scientifiques de tous bords ont-ils une morale ? Auraient-ils perdu le « sens du commun » ? Alors ma question et ce qu’il répond :
« Il semble que nous sommes devenus ceux qui auraient pu agir il y a trente ou quarante ans et nous ne sommes aperçus de rien. Que faire quand on est obligé d’admettre que la terre est active (vivante) sans qu’elle ait pour cela besoin de posséder une âme ? »
Ce regret et le constat suivant qu’autour de lui, il ne voit que des égoïsmes, dont les uns, qu’il désigne, les « élites », sont plus forts que les autres. De là, le sauvetage de Descartes et de sa promotion du Moi. Nous n’avons jamais été « modernes ». Ça suffit pour légitimer son initiative de vouloir reprendre les choses à nouveaux frais.
Son diagnostic reste juste, il spécule sur un monde à instituer, où il le recompose, plutôt que le lâcher.
Oubliant que nos élites ont parié sur la disparition du prolétariat autant que sur la « dérégulation » de l’économie en se débarrassant toujours plus des fardeaux de la solidarité, mais convaincu qu’elles ne changeront pas d’avis, il parie sur un autre déni et il est tout à fait justifié dans son entreprise de subversion, il fait de l’Un avec du deux, le dualisme entre Civilisation et Nature, Symbolique et Réel, n’est soutenable qu’à engager un troisième (Freud/Lacan), qui se divise. D’un côté, Bruno Latour place sa liberté dans « l’Un » ; de l’autre côté, niant que « l’anarchie est autant la liberté individuelle qu’un ordre commun » (Catherine Malabou), il produit la nouvelle classe qu’il espère : « la classe géosociale ».
Admettant que la politique ne sera jamais une science, il la tire, non sans quelque raison, du côté de l’art, plutôt que d’une morale, c’est une question d’ordre et d’harmonie, il lui faut une esthétique qui pallie la morale. La politique ne serait qu’une question de goût où, de fait, il s’agit de notre liberté propre, plutôt que d’une émancipation.