Balbino Bautista

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Billet de blog 19 janvier 2015

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Trois enfants de France perdus pour la république

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1 Trois enfants de France perdus pour la république 

 Ceux dont la cause se perd, qui n'ont pas voix au chapitre, sont rejetés du discours dont tout maître se soutient. Il reste néanmoins permis de relever, quand elle existe, cette voix que le discours victorieux écrase. De fait, cette petite voix, toujours elle trouve, fut-ce comme ici en impasse, à passer et ouvrir sur un autre régime de discours, de réelle fraternité, celui-là.

Il y en a un, Saïd Kaouchi, qui s'est compté autrement que les autres, qui a laissé sa carte d'identité dans la voiture, mais pas selon ce qu'on veut lui faire dire, par un lapsus : son identité française, il l'a déclinée. Suicide librement consenti donc en un acte éminemment politique. Par ailleurs, la vidéo d'Amedy Coulibaly n'a pas le même sens, elle dénote l'ambiguïté d'un embrigadement, de tout embrigadement s'il peut servir n'importe quelle cause. 

Il y a une différence entre les deux actes, la vidéo et la carte d'identité n'ont pas la même portée : là où un des deux frères décline sa nationalité française, Coulibaly s'efface derrière son idéologie et les images qu'il envoie, il ne s'engage pas dans son nom. Sa revendication fait question, il n'est pas dans l'acte. Il se donne en spectacle, s'il décline en un sens son identité, il ne se divise pas : il ne dénonce pas sa nationalité française du même mouvement qu'il s'en séparerait telle Antigone et son désir pur. Il est lui dans le passage à l'acte, agi plus qu'il n'agit, de là, derrière sa détermination, le détachement et l'indifférence, il est déjà mort.

Coulibaly reste dans la logique qu'il dénonce. La vidéo respecte les codes des procédures anthropométriques et des interrogatoires policiers, sans doute signe-t-il en un sens, mais c'est à la façon d'un rat pris dans une nasse, il ne cadre que le fantasme dont il est prisonnier, le mirage maléfique de l'imaginaire quand il se veut "communicant." D'ailleurs, on a depuis appris qu'il avait déjà été interviewé par le monde en 2008 à propos d'une vidéo qu'avec quelques autres il avait faite clandestinement en prison du temps où, plus instruit que les frères Kouachi, il espérait encore sans doute qu'on l'entendrait.

Les actes ne sont donc pas les mêmes. Coulibaly est tellement français qu'il s'en prend à ceux que depuis un fond rassis et nauséabond la vindicte populiste et fasciste nous désigne depuis toujours comme les ennemis héréditaires, les juifs, là où les frères Kouachi font éclater les limites de la transparence en visant le cœur même de nos malentendus, que la communication serait transparente en elle-même pourvu que soit respecté le principe de la liberté d'expression : bévue s'il en est, selon ce que soutient éthiquement Marie-José Mondzain, il est urgent, façon de restituer le politique dans son droit, de re-séparer la culture d'avec la communication et d'entretenir leur rapport d'exclusion a contrario de ce qu'on a fait des écoles d'art dans les écoles d'art.

Pierre Desproges disait qu'on pouvait rire de tout, mais pas avec n'importe qui, ce qui suppose de savoir d'où on s'adresse à l'autre, pour le provoquer ou le saluer. Méchant je suis, je ne suis pas Charlie et je ne suis pas, non plus, en guerre,  je ne me reconnais pas dans les guerres que nos états initient, trop heureux de l'occasion pour nous soumettre une fois de plus au politiquement correct de la pensée unique.

Le signifiant de la terreur

Ce que les caricatures du prophète provoquent dans le monde musulman montrent s'il en est besoin que le blasphème n'est pas un signe de liberté : blasphémer, ce n'est pas être libre, c'est obéir à un dieu obscur, s'y soumettre. Nombreux sont les petits français musulmans, qui ne peuvent pas se reconnaître dans Charlie, à le savoir quand ils s'opposent aux dires de leurs enseignants en un entêtement réfléchi. Trouvons à faire en sorte qu'on arrête avec cette question biaisée de faire le jeu de nos états en mal de légitimité.

Les blasphémateurs où sont-ils ?

Des deux côtés, ce sont les mêmes. On peut gratuitement tuer avec un crayon comme on peut tuer plus sordidement en ordonnant la terreur, ce que font actuellement nos états (en Belgique, pas plus tard que hier, les perquisitions sont devenues de banales opérations anti-terroristes). Du reste, je suis de ceux qui souscrivent au vœu d'Albert Jacquard, que toute les religions proclament solennellement à l'ONU, en tout cas à la face du monde, que toute guerre en leur nom est blasphématoire. Il ne s'agit pas de s'attaquer les uns les autres, de nous renvoyer dos à dos, nous avons l'occasion, une occasion inouïe, de serrer ensemble un réel commun qui repousse de la bonne façon la bête en chacun en redonnant au politique sa raison, l'être ensemble : nous ne vivons ensemble que d'être ensemble.

Le fanatisme et l'obscurantisme totalitaire 

On se méprend sur ce qu'est le totalitarisme. Pour l'avoir identifié dans le nazisme et les expériences malheureuses du communisme, on n'a rien voulu savoir de plus, on ne veut plus rien en savoir. Est totalitaire l'autre qu'on identifie comme ce à quoi on échappe ou échapperait. Or, le totalitarisme est interne au signifiant, il est au principe même de son commandement du seul fait que des différences il y en aura toujours, de là l'échec du même. Et cependant sa prétention qui est rejet de l'altérité selon ce qu'a édifié le désastre auto génocidaire cambodgien.

Avec le blasphème, on est de plein pied au niveau du miroir et de son point aveugle. Tout caricaturiste, tout humoriste le sait, c'est pourquoi la bonne façon de faire, c'est de rire de soi, pas de l'autre ou si on rit de l'autre, c'est d'un entre nous qu'il s'agit, sinon on ne sait pas ce qu'on suscite et produit. Le propos de Desproges, qu'on peut rire de tout quand on est de la même chapelle, de la même mosquée, de la même synagogue, suppose donc qu'on sache d'où on s'adresse à l'autre, pour le saluer (salut qui pourrait s'arrêter à la reconnaissance de notre différence s'il n'y avait la tentation de ramener la différence au même) ou pour le provoquer (provocation qui va de l'insulte à la limite du blasphème), c'est-à-dire dans tous les cas, d'une manière ou d'une autre, l'agresser et, donc, impliquer le risque du dérapage mortifère et meurtrier qu'est tout passage à l'acte.(1)

Toulouse, le 19 janvier

Bautista

(1) Pour me reconnaître depuis ce qui m'est le plus proche, Freud admet que passer de la barbarie (entendons l'état de guerre) à l'insulte est l'indice d'un progrès, l'effet de civilisation. Lacan précisera que l'insulte (entendons son rabattement topique) est le premier et dernier mot du dialogue. Avouons que c'est court.

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