Balbino Bautista

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Billet de blog 29 juin 2022

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État d’urgence vitale immanente. Rompre avec la représentation et la répétition

Actualité de la psychanalyse

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Etat d’urgence vitale immanente
Rompre avec la représentation et la répétition


Cas d’urgence aura dit Lacan où, s’agissant du sujet enfin en question, il eût convenu de dire état d’urgence vitale immanent. Ça ne vaut pour tous que parce que ça vaut pour chacune autant que pour chacun.
Qu’est-ce qui vaut ainsi pour tous, qui implique une politique de la psychanalyse ? Une domination, la subversion par le capitalisme du discours du Maître, notamment notre rapport au savoir, et accessoirement, notre rapport à un « parfait » automate, l’Inconscient. Les urgences, de quelque nature, qu’elles soient, l’apologue des trois prisonniers en est une, traitent la vie comme une valeur. Réelle autant que contingente, où la parlote, mensongèrement, l’aliène, la vie s’écrit, un singulier, un éléphant qui danse dans la savane, par exemple, ou un lierre qui grimpe à un arbre, l’écrivent. Est vivant, tout ce qui est mortel.

Alors, le temps logique lacanien où, déjà morts, les trois prisonniers ne peuvent que sortir ensemble. Les trois ne se font la paire qu’à faire un et collectif. Relatif à la question de leur liberté, le temps logique implique ce qu’emporte n’importe quelle urgence, un enjeu de vie et un calcul, ici, qu’un seul prisonnier ne se libère. Là, quitte à produire une guerre, sauver l’économie plutôt que protéger les populations. Le temps logique n’est pas le temps qui, à la manière de la rivière, jamais la même, passe sous un pont, il ramène au connu et son refoulé, sous le maître, le mépris de classe. Son intérêt est qu’il se répète. Fixant une origine hors sens [le trauma de la naissance n’est jamais qu’après coup. Où à sa place, il n’y a qu’un trou et une embrouille, la mort, basta ! ( le juge Falcone) il produit un récit (la lutte des classes), un mythe (Le meurtre de Chaos) ou quelque autre fiction (la Création, par exemple), qui recouvrent leur sans raison du mouvement même où ils supposent un autre pervers, qui contraint la pulsion et ne se prive pas de la tordre à ses fins propres. 

Fort de sa soumission aux lois du langage, la logique, justement, et la grammaire, un tel « Moi » dénie, où il s’identifie, qu’il parie sur sa liberté. Ne reculant pas sur sa jouissance, le directeur de prison ment aux prisonniers qu’il doit libérer. Ainsi en va-t-il de toute procédure instituante, elle s’institue d’un mensonge et d’un oubli, qu’il faut être, au moins trois, pour faire un et collectif quatre, ce qui, selon l’apologue des trois prisonniers, est le cas général su qui y intervient un mode d’aliénation particulier, une identification à l’autre.

Une élection où le vote utile est une magnifique escroquerie, qui se prête à la régression topique au stade du miroir, vu qu’elle fonde l’Eternel et réduit quiconque à ce qu’il vaut comme argent, l’élection présidentielle française, nommément, engage un pareil coup de force. Cette fois encore, la peur a gagné pour la troisième fois, a été élu président « un » qui a su jouer, une fois de plus, sur la haine autant que sur la terreur (l’ignorance) pour l’emporter. De fait, la haine et l’ignorance font bon ménage.

Une procédure inventée par Lacan pour répondre du passage au psychanalyste, la passe, y ramène aussi. Catherine Millot, par exemple, pour qui la pulsion de mort reste une énigme, « hystorise » sa passe dans « Un peu profond ruisseau... » (L’INFINI, nrf, Éditions Gallimard, 2021). Forte de Mallarmé (« Tombeau »), elle écarte avec Céline la menace de mort ; la mort étant pour rien, Catherine Millot souhaite mourir comme meurent certaines bêtes. Or, la mort n’est pas rien, elle est le signe de la disparition d’un être unique et singulier.

Alors, son récit. D’abord, son déni : la mort n’a jamais tenu une grande place dans sa vie consciente. A l’adolescence, cependant, il lui arriva d’être réveillée en sursaut en proie à un sentiment d’imminence. Puis, ces réveils disparurent.

Récemment, ayant été des premières personnes à contracter en France, la veille des élections municipales et du confinement, le coronavirus, elle a failli en mourir, brutalement projetée dans un autre monde, nommons-le : l’entre-deux-morts. 

Secourue par une amie, assommée par la fièvre, elle fut conduite, une première fois, par le Samu aux urgences de Cochin où un interne jugea qu’elle ne nécessitait pas une hospitalisation. Ayant demandé qu’on lui fasse un test diagnostic, il lui fut refusé. 

Dehors, il ne lui resta plus qu’à rentrer en taxi. Durant les trois jours qu’elle passa chez avant d’être hospitalisée, elle ne fut angoissée, ni par son état, ni par la solitude. Elle ne s’ennuyait pas, lire au lit ayant toujours été pour elle la vie rêvée. Rêver la vie, quel drôle de réveil ? 

Sans la décision de Livia, une amie, qui prit sur elle de rappeler SOS Médecins, Catherine serait à cette heure-ci, sans doute, morte, malgré ce qu’elle savait et avait appris du Dr M., que ce virus provoquait un état second, l’hypoxie heureuse, en bloquant les réflexes qui accélèrent la respiration quand l’oxygène dans le sang vient à manquer.

Elle se retrouva seule, à deux heures du matin, étrangement sereine, se disant à elle-même, qu’il y avait des lieux plus « sexy » pour mourir que le local où elle se trouvait. Projetée dans l’entre-deux- morts, des scènes de vie et de mort, elle se revit contemplant  « la mort chevauchant une rosse squelettique » du Palazzo Abatellis à Palerme, un tableau gothique du XVe siècle, qu’elle aura vu deux fois, avec Lacan et un an plus tôt avec R., dégageant une sorte de paix, la même que celle qu’elle éprouve là face, comme tant d’autres, à son exposition à un fléau mortel inéluctable. Où la mort triomphe, triompher d’elle ; la dénier encore ! Sous l’identification à Dieu, malgré l’Homme, s’abandonnant à la beauté d’un amour pur, les mystiques étreignent la Totalité.

Rendue à ce point précieux où quiconque est ramené à ce qu’il y a de plus irréductible, sa singularité, plutôt que, comme disait Genet, la solitude d’être exactement équivalent à tout autre, sa vie lui apparut dans sa doublure - d’un côté, avant le désastre qu’est la parole, à l’instar de Chaos, sa vie était ronde, pleine, satisfaisante et confortable, et de l’autre, telle une sphère retournée, dans l’ouverture illimitée de l’Eternité.

Pleinement en accord avec sa situation, toute à sa propre lumière, elle n’était pas cette nuit-là, moins indigne de Mme Guyon que d’Etty Hillesum. L’idée de mourir seule pouvait, comme elle l’écrit, ne pas l’affecter. Songeant à son père, mort comme elle aujourd’hui, sous oxygène, à deux heures du matin, elle ne peut qu’avouer sa méprise, que son père est mort seul parce qu’elle n’a pas compris lors de sa visite qu’il était mourant.

Reste l’excuse convenue, soixante-quinze ans est un bon âge pour mourir. Et, une embrouille : le regret de ne plus écrire depuis des années et sous sa brouille avec R., le constat amusé du contraste entre sa tranquillité actuelle et l’abîme d’angoisse où la plongeait toujours l’abandon de l’être aimé.

Son avais-je encore vraiment envie de vivre ? est ambigu, elle vient d’avancer que la volonté de vivre, quand elle procède, à la manière d’Edgar Poe dans son tonneau (O Solitude, p. 63) du calcul d’un moi, lui paraissait obscène. S’agissant de notre mort propre, sommes-nous aussi égaux qu’elle le dit, pour se rassurer, face à elle ? Un autre soupçon relatif au désir de mort et la pensée qu’elle n’avait jamais adhéré sans réserve à la vie troublent sa quiétude et sa méditation nocturne.

Le désir de mort, qui justifie la pulsion de mort, n’est jamais que le désir d’un moi, qu’il s’agisse du moi propre ou d’un autre moi et c’est toujours une affaire, plutôt qu’une question, de calcul, s’il y va des interêts d’un moi et de son hypocrisie. Plus tard dans la nuit, la pensée lui vint qu’elle n’avait jamais adhéré sans réserve à la vie. La pensée, voilà ce qu’il faut, avec Henri Michaux, sauver. 

Quant aux calculs d’un moi, Catherine Millot est, on ne peut mieux, servie lors de la visite du médecin de garde le lendemain matin. Il lui annonça ce qu’elle savait déjà, que si son état nécessitait une intubation, elle serait plongée dans un coma artificiel, ajoutant que cela pourrait durer trois semaines et précisa, à sa demande, qu’un tel traitement était suivi d’une rééducation, qui prendrait plusieurs semaines. Frappant, sous l’effet d’une inhibition active, l’entretien d’un blanc accusateur, elle resta sur l’impression d’avoir été l’objet d’un certain sadisme. Venue à l’hôpital pour y être soignée, elle s’en remit, cependant, aux autres, comme elle s’en était remise avec Mme Guyon, pour qui Dieu peut prendre le visage de quiconque, à la volonté divine.

Vivre fut une dure tâche. La répulsion alimentaire étant plus grande que lors de l’hépatite contractée trente ans plus tôt, Catherine Millot s’appliqua à manger, apparemment décidée, où la volonté qu’elle vive venait d’autres qu’elle, à sacrifier au dur désir de durer. De retour d’Inde, R., qui débarqua à l’aéroport de Roissy le lendemain, l’appela en soutien toutes les deux heures. Durant les trois jours qu’elle passa en réanimation, si tout effort physique lui était difficile, la lecture ne l’était pas. Entre les passages des soignants, les appels téléphoniques et les moments de lecture, elle dormit.

La toilette lui fera penser à sa mère centenaire, grabataire depuis plus de deux ans, qui se débattait quand on la lavait, et aux sept œuvres de la miséricorde du Caravage au Pio Monte de Naples : enterrer les morts ; visiter les prisonniers ; nourrir les affamés ; abriter les sans abris ; vêtir les nus ; visiter les malades ; rafraichir les assoiffés. Réconfortante et douce, sa vision la remplit de gratitude.

Le lundi, on lui apprit qu’elle quitterait le service pour le service de médecine interne où elle prit la mesure de la menace que représentait le virus pour qui en était porteur : c’était Tchernobyl ! Avisant le Dr M., elle refusa de participer à un protocole expérimental préconisé par le Dr D. Si tous les matins, elle se confrontait à la dure réalité de l’affaiblissement extrême de son organisme, accompagnée par « les cahiers de la maison morte », trouvés sur internet, elle n’était pas malheureuse, trouvant dans la vitalité que le héros découvre au sein de son malheur à revenir à elle.

Lorsque le Dr D., trois jours plus tard, l’examina, il n’observa plus de trace de pneumonie, mais une inflammation qui l’essoufflait et « autre chose », qui justifiait qu’elle soit sous anticoagulants. Avec l’espoir, nourries par les propos des médecins, les anxiétés renaissaient. Prévenue qu’elle serait bientôt transférée ailleurs, ne pouvant que s’incliner devant la décision du service, le chef de clinique qui ne l’avait pas encore auscultée, lui signifia, le dimanche, qu’elle partait pour la clinique B. Émue, elle fondit en larmes. Tenait-elle tant à la vie pour être aussi émue qu’on « la » lui ait sauvée ?

Face à la mauvaise grâce et beaucoup d’incompétence, Catherine Millot regretta tout le temps qu’elle resta jusqu’à la délivrance, que le médecin détache le tuyau d’alimentation en oxygène et lui dise qu’elle sortirait le lendemain, à la clinique B., l’hôpital de Cochin. Sortante le samedi matin, de retour à la vie sociale, elle traversa en taxi un Paris désert, retrouvant en bas de chez elle son secours. R., la précieuse amie, s’occupa de ses besoins le temps qu’il fallut ; trois mois au moins. 

Dans cette double expérience, celle d’une grande proximité avec la mort et celle d’une profonde atteinte organique, Catherine Millot a connu une ressource inattendue d’elle, la pulsion de vie, une force de vie au sein même d’une faiblesse extrême.

Maintenant, le mensonge pervers : « l’idéal autarcique  ou le comble de l’individualisme ». Cette passe à l’envers du maître, cette passe sans la coupure réelle d’un ou d’une, qui destitue sans feinte le sujet supposé savoir, c’est Stéphane Mallarmé qui la produit comme telle dans « Tombeau » ( « Verlaine caché dans l’herbe - Tombeau », Jean-Michel Maulpoix).

Lors d’une réunion bruxelloise organisée autour de la sortie de son livre « O Solitude », une interlocutrice interpela Catherine Millot sur le sort qu’elle faisait au Grand Autre, qu’elle identifiait, par déplacement, à une volonté de destruction placée dans la Nature. De fait, s’il est dans notre nature d’être mortels, la nature ne nous veut rien, poser qu’elle nous destine à la mort dissimule bien le fantasme fondamental ; où la mort est notre fin, imaginairement, la vaincre.  Le masochisme, d’un côté, la sublimation, le Beau comme masque, plutôt que voile de la pulsion de mort (Lacan), d’un désir de mort, de l’autre, suffisent.

Burke, un « vulgaire bourgeois » pour le jeune Marx, mais le modèle même de l’« homme d’Etat », soutient avant Kant que notre rapport au Beau, là où « l’ordre et l’harmonie constituent le règne du beau et font du goût le ciment le plus sûr d’une société et d’un État », décide de nos plus hautes vertus, politiques et militaires, et que, si le sublime y fait question, c’est qu’il nous confronte à la duplicité du moi selon qu’on y fait l’expérience de l’absolu de l’amour ou qu’on y maîtrise la terreur qui nous submerge à l’idée de notre propre mort. Burke pense que ces expériences sont irréductibles l’une à l’autre alors qu’elles sont, s’agissant de nier la mort, nécessaires l’une à l’autre. Croyant en Dieu, le servant dans l’amour du prochain, il a déjà, pour lui, l’éternité.

Pragmatique, Burke justifie, d’une autre manière que les romains avec les jeux du cirque, la violence d’Etat, son pouvoir d’anéantissement, par la délicieuse douleur que nous prenons à l’exhibition de tout spectacle de mort. Le paradoxe de la jouissance est que, s’il n’y a pas, comme Freud a pu le penser en inventant la pulsion de mort un au delà du principe de plaisir, il y a bien ce dont Lucrèce nous aura prévenu, le plaisir malin que nous prenons à quelque menace implicite de la mort. A condition d’être à l’abri, plus le spectacle d’une nature vivante et déchaînée est effrayant, plus notre jouissance est grande en sorte que le sublime, ce peut n’être que la bonne conscience maligne d’un esprit pervers, qui s’assure de sa puissance ; et la « raison » de l’échec de la civilisation. 

Rejetant Kant, retournant une second fois à Freud, Lacan, sèchement, tranchera : où il n’y a pas d’autre limite à la jouissance que celle qui mène de la chatouille, le câlin, aux camps d’extermination de la solution finale nazie, la crémation, il y a, consécutivement à l’institution d’un « Un » omnipotent, qui est toujours le propre d’un moi particulier, une volonté de destruction, laquelle passe par une double domination, la domination de l’Homme sur la nature  et sa terreur, son hostilité première, l’horreur de la différence : être né d’un corps de femme.

Alors, la feinte, qui fait le maître et consorts. Elle consiste à élever l’âme en prétendant la toute puissance de la Nature où, donnant raison à Burke, la proclamation de la mort de Dieu est une escroquerie, une double duperie. En effet, d’où vient l’étrange satisfaction prise à la représentation de notre propre anéantissement par une puissance supérieure ? De la distance où nous sommes de la nature dans notre écart à Dieu. C’est le tour de passe-passe que réalise le mystique et d’une autre manière, où notre aliénation au travail est la clé du rapport qui fonde le discours dominant, le capitalisme, nommément, un Burke fait l’éloge du travail et Locke celui de la propriété.

Dans ces eaux-là, en effet, nous ne sommes pas loin d’un Sade, qui incarne la nature et plonge l’âme dans un trouble qui la rend capable des plus grandes actions comme des pires passions. Ni, non plus, d’Edgar Poe, qui sublime son âme, mais vend la mèche, en ne se trompant pas sur le sens de sa supposition. Dieu ou la nature, ici, ce n’est pas tout un. En tout cas, le temps de la réanimation à Cochin, Catherine Millot se rapprocha d’Edgar Poe. Que la nature ne se soucie pas de nous et soit indifférente à notre anéantissement lui devint, sans q’elle entrave  sa sérénité, plus tangible face au fléau qu’était devenu le virus.

Alors, le secours ! Où Edgar Poe procède d’un calcul, il se défend de sa mélancolie, « n’être rien pour la puissance qui l’écrase » (O Solitude, p. 61), Catherine Millot sauve son âme, elle défend autrement son être. Parlant d’Edgar Poe, elle parle de « Sa Descente dans le maelström » en sorte que cette descente équivaut au « Tombeau » de Mallarmé comme elle équivaut, ailleurs, plus anciennement, au passage du Styx. Si l’abîme est un trou, n’étant qu’un faux trou, il est un trou dont on peut revenir. C’est l’expérience qu’il nous propose. Précipité dans le gouffre, il observe et compare la vitesse de descente des épaves vers le fond et constate que les formes cylindriques résistent mieux à la chute définitive. Quittant son embarcation, s’abandonnant à la puissance du tourbillon et à sa loi, Poe sait que si un siphon géant avale gloutonnement tout ce qui s’en approche, il finit par le rejeter, il saute de son embarcation dans le tonneau auquel, jusque là, il s’agrippait. Tout à sa jouissance d’être, il en revient autrement que son pêcheur.

Où Catherine Millot part d’une volonté de mort inscrite pour elle dans l’Autre, elle sait que l’homme est prédateur, elle parie sur un Autre miséricordieux, elle fait état d’un rêve de l’adolescence, une condamnation à mort, qui lui restera énigmatique, et d’un traumatisme, qui se répète, des abandons amoureux dont elle sortira victorieuse.

Le rêve est un rêve de jugement dernier, on l’avait condamnée à mort. Ses juges - mais étaient-ce des juges? - étaient d’une parfaite équanimité. Dans un paroxysme d’angoisse et de révolte, soudain elle consentit à mourir et ce consentement l’apaisa entièrement. La condamnation n’était pas un châtiment, elle n’était liée à aucune faute et le jugement n’était motivé par aucune hostilité. Naturelle, la « vraie vie » étant ailleurs, dans la littérature plutôt que la religion, la « mort est pour rien ». Ce retournement de l’angoisse de mort en sérénité, elle le reconnut plus tard dans la vie réelle au moment de sa première affectation et de son exil en province suite à sa conduite « suicidaire » sur la route, qui aurait pu lui être fatale. Quoiqu’il en soit, le sentiment d’être littéralement et brusquement sortie de soi, la conduisit à entreprendre une psychanalyse, qui n’aboutit pas.

 Abandonnée à son absurde condamnation à mort, elle chercha par l’écriture à en trouver les clefs. La clé, elle pense l’avoir trouvée dans son histoire et les conditions liées à sa naissance, elle serait morte d’un ictère si son père n’avait pas obtenu du médecin qu’on revienne à l’allaitement maternel. Où il n’y a pas d’autre vœu de mort inconscient que les identifications au père, la disparition béate de soi n’est pas « le meurtre heureux de soi-même » (Maurice Blanchot) et son antériorité «Le meurtre de Chaos » (Tchouang-Tseu).

S’agissant d’un discours qui proclame de « glorieux mensonges » et dénonce les ruses de la raison, la fenêtre ouverte par le rien nous propose une autre lecture de ce qui resterait, où il y a assomption, une obscure condamnation plutôt que son absurdité. « La mort est pour rien », en effet, se décline de différentes façons. Dans tous les cas, il n’y a pas sortie du discours dominant, on continue à le servir. Catherine Millot, pour qui la fin d’une psychanalyse coïnciderait avec la traversée du fantasme, plaide pour l’individualisme auquel nos modes d’être nous soumettent ; estimant que la psychanalyse en offre la condition suffisante : une solitude heureuse. En réalité, une fin de psychanalyse implique une rectification subjective pour quiconque s’y prête, homme ou femme et sa coupure réelle serait plutôt à trouver du côté du flâneur de Patagonie (William Henry Hudson) que du mysticisme ou de la littérature, dont, d’ailleurs, elle témoigne (O Solitude, p. 112/142).

Alors, le « toast » offert par Mallarmé au Rien ! Il concerne, ni plus ni moins, le discours de l’inconscient, qui enclenche l’automatisme de répétition et que Lacan qualifie de régression topique au stade du miroir. Où Mallarmé retient que le discours fait coïncider deux vides, celui de la parole et celui de la mort, il y en a trois, celui de la parole (l’imaginaire), celui pour lequel le  sujet, de n’être qu’un nom, est déjà mort (le symbolique) et celui de la mort, qui est hors sens (le réel). Cette coïncidence, que Lacan traitera en termes de noeud, est la façon dont une existence humaine répète sa manière de s’élancer en un bond solitaire vers le rien et d’y confronter la finitude à l’éternité.

Sommes-nous comme le pensaient Mallarmé et Lacan (Désir de mort, rêve et réveil, L’Âne, n° 3, p. 3) voués à ne jamais sortir du Rêve ? Toujours singulière, de la mort, il n’y a pas de savoir absolu ; l’idée d’absolu la dissout, il permet toujours de l’imaginer en sorte que le poète ment en conscience quand il la sublime en substituant le tombeau lyrique, le tombeau de l’âme, au tombeau du corps. Michel Deguy écrit dans « Actes » qu’on peut lire le poème comme un effort d’anticiper la mort en la figurant, de se hisser à sa hauteur, d’être capable d’accueillir son plus intense suspens, tout poème constituant une espèce de répétition générale en vue du silence. Catherine Millot a donc raison lorsqu’elle relève que son désir de mort procède d’une construction fantasmatique : la pulsion de mort et son pendant, la répétition. Relativement aux élargissements de son moi et ses traversées du fantasme, elle passe, où elle se soumet à la pulsion de vie, via l’identification, de la mystique guyonnienne à l'éthique beckettienne. 

Il y a urgence, une urgence vitale immanente : rompre avec la représentation et la répétition.

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