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Billet de blog 14 février 2020

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Face à l’urgence écologique et sociale, un nouveau modèle d’aménagement est possible

Projets de rénovation urbaine portés par l’ANRU, construction du Village olympique et du Centre aquatique pour les JO, arrivée des gares du Grand Paris, besoin de logements… J'appelle les architectes, les urbanistes, les chercheurs et les associations à contribuer à imaginer le futur urbain de Saint-Denis. Par Bally Bagayoko, maire-adjoint de Saint-Denis.

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Projets de rénovation urbaine portés par l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), construction du Village olympique et du Centre aquatique pour les JO, arrivée des gares du Grand Paris, besoin de logements… Saint-Denis, et, plus largement, le territoire de Plaine Commune, sont au cœur d’une frénésie de reconstruction et de transformations des territoires. Ces transformations prennent trop souvent appui sur des démolitions plutôt que de préserver ce qui l’est. Ce modèle de croissance interroge de plus en plus et relève désormais du non-sens écologique, économique et social. 

Nous souhaitons ainsi défendre une nouvelle conception de l’aménagement urbain dans le Grand Paris, et des projets ANRU en particulier, au regard des exigences écologiques et démocratiques. Nous devons rompre avec les modèles de développement et d’aménagement qui ont prévalu jusqu’alors et d’en inventer de nouveaux plus en phase avec les aspirations de la population.

Avec 24 projets d’intérêt national et 10 projets d’intérêt régional, la Seine-Saint-Denis et plus particulièrement le territoire de Plaine Commune avec ses 9 villes sont particuliérement concernés par ces enjeux  . 40 % de l’espace bâti est ainsi amené à muter dans les trente prochaines années - et en particulier à Saint-Denis. Le territoire mute, se densifie, sous la pression foncière qui oblige les populations à se loger toujours un peu plus loin de Paris et sous la voracité des spéculateurs immobiliers. Le territoire a connu une croissance sans précédent ces vingt dernières années. Si celle-ci a eu des vertus (construction de logements accessibles, dynamique économique), elle a également entraîné une sur-densification du territoire. Préemptant la moindre parcelle disponible.  Les partenariats publics-privés sont devenus « incontournables ». Les promoteurs jouent désormais un rôle central dans la construction de nos quartiers, imposant une rentabilité, une nouvelle conception de la ville, souvent trop éloigné du bien commun. Alors que les revendications d’une pratique plus responsable de l’urbanisme se multiplient, le renforcement du rôle des acteurs économiques interroge profondément les dimensions écologiques, sociales et démocratique de ces projets urbains.

A Saint-Denis, le projet de rénovation du Franc-Moisin (un quartier de près de 13 000 habitants) dans le cadre du NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain) en est emblématique.Si la nécessaire requalification de ce quartier est indiscutable, sa traduction en actes pose de nombreuses questions et interroge notre vision même de l’urbanisme aujourd’hui. Si cette rénovation est indispensable à l’amélioration de l’habitat, à la création d’espaces de respiration, elle doit prendre appui sur l’existant et surtout sur une réelle construction commune avec les premiers concernés.  Au Franc-Moisin, plus de 500 logements seront détruits, remplacés essentiellement par du logement privé locatif et en accession à la propriété.  Dans un contexte où le financement du logement social est menacé, la destruction d’habitation de PLAI (Prêt Locatif Aidé d'Intégration) - dont relève plus de 70% des demandeurs de logement sur notre ville – apparaît de fait comme une manière de déloger les plus modestes dans l’un des tout derniers endroits de la petite ceinture encore épargnés par la gentrification.

Les concertations en façade ne peuvent plus fonctionner, il ne suffit pas de demander a posteriori, mais d’engager, avant la naissance même du projet, un débat contradictoire, permettre la controverse et l’émergence de propositions alternatives. D’autres solutions existent.

Ce modèle economique urbain est déconnecté des enjeux démocratiques et écologique qui profite plus aux entreprises qu’aux habitant.e.s de Saint-Denis. Cette immense machine à construire, détruire et reconstruire est incompatible avec une ville écologique. L’impact environnemental, écologique des destructions massives doivent nous interroger (des tonnes de bétons, de déchets à traiter). A tous points de vue (écologique, démocratique, social), ce modèle de « renouvellement » n’est plus tenable ni souhaitable. Que ferons-nous de ces territoires bâtis trop vite, où les malfaçons se multiplient, de ces projets hors d'échelle et sans usage pour les initiatives locales ?

Nous revendiquons un urbanisme à taille humaine, qui préserve l’environnement, qui consolide notre socle social et qui prend appui sur une démocratie permanente.

C’est une nouvelle façon d'appréhender le rapport de l'urbain à la nature. Plus respectueux de l'environnement en utilisant de nouvelles méthodes de constructions, de nouveaux matériaux, de nouveaux modes de déplacements, pour une ville donnant plus de place à la naturalité comme élément de qualité de vie…

Nous proposons de dépasser la notion d’éco-quartier pour aller progressivement vers une « éco-ville » (non seulement des exigences de consommation énergétique mais aussi d’autres exigences sur l’eau, les déchets, la biodiversité, l’accessibilité, les transports, la densité minimale, la mixité sociale et fonctionnelle).Cette ambition est évidemment au service de toutes les personnes habitant ou ayant un « usage » de la ville (salarié, étudiant etc). Il participe à un meilleur partage des ressources dont les populations les plus précaires sont les plus souvent éloignées.

C’est la raison pour laquelle nous proposons un moratoire sur la construction de l’immobilier de bureaux à Saint-Denis et de revenir sur les opérations programmées de démolition/reconstruction. Nous sommes convaincus que la sobriété urbaine est aussi une manière de lutter contre les inégalités sociales. Aux grands projets peu utiles et coûteux, nous voulons répondre par des projets locaux, co-construits avec les habitants, les usagers de la Ville. Nous voulons, préserver les friches, utiliser ces espaces libérés, en faire de lieux de créations de communs (jardins partagés, friches culturelles, emplois locaux), mettre en place un important réseau de ressourcerie (valorisation des déchets, du réemploi), lutter contre la précarité énergétique. Et surtout, renforcer le pouvoir d’agir des habitants dans l’élaboration, la réalisation et le fonctionnement des projets. 

Alors que tout destine Saint-Denis à être la ville du « renouvellement » au sein du Grand Paris, nous pensons qu’elle peut et doit porter avant tout un renouvellement des pratiques et de la ville, pour les habitant.e.s et les générations futures. Il faut écrire une nouvelle étape dans l’histoire de notre territoire en repensant les relations entre les populations, les collectivités territoriales et l’État en se réappropriant les choix d’aménagement. Agir sur l’urgence écologique et sociale ne pourra se faire sans ce changement radical.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.