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Billet de blog 20 août 2022

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Ayez au moins, plus tard, la décence de vous taire jusqu’au bout…

LETTRE OUVERTE AU PARTI ÉCOLO SUR LE POURQUOI ILS N’AURONT PLUS MA VOIX: Texte écrit face au manque de réaction de la classe politique de mon pays d’origine et notamment du seul parti dont j’attendais un petit quelque chose... Mais, il faut croire que c’était faire preuve de naiveté que l’on peut changer les choses en bénéficiant des avantages du système politique actuel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Mauricio Centurión

5h30 du matin, les premiers rayons du soleil caressent mon visage. Ce qui, à cette heure, est une caresse deviendra bientôt une gifle. Ici, imaginer la perspective d’un réchauffement climatique accentué a de quoi glacer les plus sceptiques. Dans le nord-est syrien, trois mois durant le thermomètre ne descend plus, en journée, que rarement sous les 40.

26 mai 2019 : jour des dernières élections au surréaliste plat pays qui est le mien [la Belgique]. Cette fois elles sont fédèrales, régionales et européennes. Depuis des semaines, je me tâte et je cogite. ’To vote or not to vote, that is the question’ aurait, en réalité, dit Shakespeare vers l’an 1600. Cherchant la référence exacte, je découvre à quel point la suite de cette première phrase de l’acte III d’Hamlet fait écho aux atermoiements de mon esprit aujourd’hui :

«Y A-T-IL POUR L’ÂME PLUS DE NOBLESSE À ENDURER LES COUPS ET LES REVERS D’UNE INJURIEUSE
FORTUNE , OU À S’ARMER CONTRE ELLE POUR METTRE FREIN À UNE ARMÉE DE DOULEURS ?»

S’il y a un peu plus de trois ans j’ai fini par déposer un bulletin dans l’urne c’est avec la naïve espérance de donner du pouvoir (et plusieurs milliers d’euros par mois, par la même occasion) non pas à des compagnes.ons d’endurance mais bien à des ’camarades d’armes’. L’espoir naïf qui était le mien, en cette journée de mai, trouvait eau à son moulin dans le fait de connaître personnellement l’un.e ou l’autre candidat.e, leur parcours, leurs valeurs.

Mon illusion était que cela puisse faire ne fut-ce qu’une petite différence, à l’heure de nous lever ensemble face, non pas à une injurieuse infortune, mais bien à une intolérable injustice. Le résultat du suffrage amena ainsi des personnes dont je me sens proche à assumer des postes à responsabilités. Elles naviguaient sous une bannière verte que je savais déjà manquer cruellement de radicalité mais que je n’imaginais pas, à ce point, empreinte de lâcheté. Elles battaient un pavillon écolo que je trouvais déjà trop consensuel mais que je n’imaginais pas, si rapidement, adepte de la realpolitik. Soudain, j’hésite… Est-ce qu’écrire ce texte a un sens? Est-ce que ça parlera à quelqu’un ? Je fais une pause et vais me servir un café... ’turc’. La vie est ainsi faite, point encore de café chiapanèque sous ses latitudes.

6h30 du matin, les plus si ’premiers’ rayons du soleil tapotent mon visage. Ce qui, à cette heure, est une tapette deviendra bientôt une gifle. Cette absence de clémence solaire est d’autant plus rude à encaisser que les deux fleuves mythiques qui irriguent ces contrées sont, aujourd’hui, criminellement étranglés à leur source par le gouvernement turc. L’Euphrate et le Tigre, qui ont donné vie à tant de civilisations millénaires, se voient, ces jours-ci, amputés du plus gros de leur débit. Au cas où chars et drones ne suffiraient pas Ankara déploie aussi une plus silencieuse mais non moins dévastatrice guerre de l’eau1 . Si je me trouve sous ce soleil de plomb et ce ciel d’azur ce n’est pas en quête de vacances estivales bon marché. Si je suis là c’est pour découvrir de près l’expérience politique, avec celle du mouvement zapatiste au Chiapas, la plus inspirante de ce qui va de XXIème siècle.

Au Rojava, l’AANES (Administration Autonome du Nord-Est de la Syrie) pour son nom officiel, une révolution, au sens plein du terme, est en marche. Le 19 juillet 2022, elle fête ses 10 ans. Dans quelques jours, elle devra, sans doute, faire face à une énième attaque d’envergure. Dans cette région septentrionale du pays du boucher de Damas, des Kurdes et des Arabes (désormais probablement aussi nombreux voire même majoritaires) mais aussi des Assyriens, Chaldéens, Araméens, Turkmènes, Arméniens et Tchétchènes tentent de construire, envers et contre tout, une autre société2 . Ses piliers sont la démocratie directe, l’émancipation des femmes, l’écologie, et l’inclusion de toutes les composantes ethniques et religieuses de la société. Ça tombe bien, à-priori, le parti auquel j’ai fini par ’céder ma voix’ (voilà, au fond, ce que notre système pseudo-démocratique attend de nous: une ’cession vocale’, se délester de la possibilité d’être entendus) prétend ʺ rassembler celles et ceux qui veulent un monde plus vert, plus juste et plus démocratiqueʺ . Les parallélismes semblent couler de source, et pourtant…

Ce qu’il y a trois ans était une illusion déjà empreinte d’un certain scepticisme s’est mué, au fil du temps, en déception empreinte d’indignation. Ce qu’il y a trois mois était encore un espoir de trouver quelques relais pour rompre le silence est devenu, face à l’indifférence, un constat amer non dénué de colère. Ces dernières semaines seront venues planter le dernier clou dans le cercueil de ce mirage. Le sarcophage du parti Écolo était, pour moi, déjà bienrefermé, il est désormais scellé.

Si j’ai décidé d’étaler mes griefs envers ce parti ce n’est pas avec l’intention première de leur nuire ni de simplement vider mon sac. Ce n’est pas que je pense que les autres valent mieux mais que c’était celui dont j’attendais un petit quelque chose et auquel j’estime pouvoir exiger des comptes. Comme les adresses directes restent sans réponse, je prends la plume. Si le dernier clou est récent les précédents ont déjà presque rouillé, sans espoir à l’horizon de les retirer.

Il y avait eu l’arrivée du géant chinois Alibaba à Liège. Le mutisme écolo ne pouvant s’expliquer que par des pactes préalables avec leurs futurs comparses gouvernementaux, qu’ils n’ont jamais eu la décence d’assumer. Il y a eu leur rôle d’avant-garde répressive face à la pandémie du covid. Nul besoin de les pousser dans le dos à l’heure d’adopter des mesures autoritaires et nulle place à la critique sans se faire taxer illico d’un bien commode ’complotiste !’. Il y a eu, surtout, leur attitude sordide et leur basse trahison envers les grévistes de la faim sans-papiers de l’église du Béguinage. Leur menace de quitter le gouvernement en cas de décès ne mérite, à mes yeux, ni oubli ni pardon. Dorénavant, s’ajoute à cette liste non exhaustive leur silence assourdissant face à la menace qui pèse sur le processus révolutionnaire en ces contrées syriennes. Et ce n’est pas faute d’avoir été alertés, encore moins d’en connaître les tenants et aboutissants.

Lorsque la Turquie a attaqué le Rojava, en 2018 pour envahir Afrin, puis à nouveau en 2019, pour annexer une zone autour de Serekaniyé il y avait eu, de la part de certains élus verts, des prises de position en accord avec la gravité des faits. «Toute forme de coopération militaire avec la Turquie doit être immédiatement suspendue» ou encore «La Turquie et les États-Unis fragilisent notre sécurité. En effet, nous risquons de perdre le contrôle sur des milliers de combattants de l’État islamique.» pouvait-on entendre3 . Ces mots énoncent une vérité indiscutable: quand bien même nous n’aurions que faire des conceptions solidaires et humanistes, quand bien même notre adn politique ferait que le confédéralisme démocratique soit le cadet de nos soucis, ce qui se passe au Rojava nous concerne !

Si Daesch a pu être vaincu et des territoires sous sa coupe libérés c’est, bel et bien, grâce au sacrifice héroïque des YPG/YPJ (Unités de protection du peuple/de la femme). Si, aujourd’hui, l’organisation regagne en vitalité c’est, en bonne part, grâce aux agressions turques et au soutien d’Erdogan. Celui-ci n’a aucun mal à appliquer le pragmatique ’les ennemis de mes ennemis sont mes amis’ et ce peu importe le degré d’ignominie de ces alliés de circonstance. Tout cela le parti Écolo le sait aussi bien qu’il le savait il y a trois/quatre ans. Qu’est-ce qui a changé dès lors ? Ce même député qui avait eu la décence de nommer les choses par leur nom est désormais muet comme une carpe, étant devenu, entre-temps, membre de la majorité. La réponse est sans doute là.

Au-delà du manque de résultats, au sein d’une coalition ’Vivaldi’ dont la gestation interminable et la naissance bancale ne laissaient rien présager de bon, ce qui m’impressionne le plus c’est de voir, de près cette fois, la corruption du pouvoir, de prendre mieux conscience de l’insidueux pouvoir de la corruption.

Je ne pense pas une seconde que ces personnes que je connais aient reçu des dessous de table pour arrondir leur salaire pour le moins confortable4. La corruption est plus insinueuse, elle parvient à vous faire sentir important, tout en vous demandant de mettre sous le tapis vos principes, sous couvert de réalisme et d’efficacité. Ainsi, peu à peu, vous vous auto- satisfaites de ce que vous obtenez comme résultats bien qu’ils soient à mille lieux de ce qui serait nécessaire. Grisés par vos voyages, vos rencontres au sommet et vos prises de parole devant d’illustres parterres vous vous dites que vous faites, décidément, un travail important. Ainsi, peu à peu, vous perdez le sens des priorités militantes qui étaient les vôtres, tout en vous donnant corps et âme à votre métier. Désormais, vous n’avez plus le temps pour répondre aux interpellations de celles et ceux qui ont voté pour vous. Désormais, vous avez appris à manier la langue de bois et feignez être d’accord sans donner la moindre suite. Vous prenez de la bouteille autant que vous perdez en courage. Vous êtes super fier d’interpeller le parlement sur un point technique concernant un type d’explosif mais ne direz plus un mot de la résistance kurde ni des attaques criminelles d’un Erdogan dérivant allégrement vers le fascisme. Vous voulez faire carrière et pour cela vous apprenez chaque jour le prix à payer. Faire de la politique sa profession c’est apprendre à avoir l’indignation à géométrie variable !

Ici, depuis des mois, nous savons que la guerre est là chaque jour (les victimes sont quotidiennes) et qu’elle va devenir de grande ampleur d’un moment à l’autre. Chez nous, depuis des mois, une autre guerre est sur tous les écrans. Prendre parti pour le peuple ukrainien semble, à tou.tes, une évidence, prendre les armes redevient signe de bravoure et le contexte justifie toutes les concessions. Le président d’Ecolo a annoncé que ’la maturité’ justifiait, désormais, un énième report de la sortie du nucléaire. Dans quelque temps, ils donneront leur accord à la réouverture des mines de charbon. Nous vous avons de longue date interpellé.es sur ce qui se joue ici. Nous vous avons fait rencontrer des représentant.es de cette si noble et importante résistance. Vous avez acquiescé et dit être de tout coeur à leurs côtés. La suite n’a été qu’un interminable silence radio. Vous n’avez même pas eu l’honneur de faire preuve d’honnêteté. Si lorsque les morts se compteront par milliers des caméras occidentales daignent tourner leur objectif vers ce coin du globe, ayez la décence de continuer à vous taire. C’est le minimum de la décence et du respect. Vous le saviez et vous n’avez pas levé le petit doigt. Epargnez-nous vos bons sentiments lorsque vous vous direz que cela est dans l’air du temps et devient électoralement rentable. En tout cas, sachez, d’ores et déjà, qu’il y a au moins une voix que vous n’aurez pas lors du prochain scrutin. Probablement que cela ne vous fera ni chaud ni froid mais moi je m’avoue désabusé par si peu de consistance, par tant de compromissions. Par contre, je trouve, dans ce recoin de Moyen-Orient, la construction, pas à pas, d’une authentique alternative à notre paradigme moribond d’Etat-nation. A l’image de l’audace des compas zapatistes, ce qui se vit au Rojava, depuis dix ans, dans les pas d’Abdullah Oçalan, est non seulement digne de respect mais une véritable source d’espoir. Notre humanité qui, si on n’y prête pas garde, retombe constamment dans ses travers, a, plus que jamais, besoin de ces lueurs. A nous de les faire briller et d’en allumer d’autres, en dehors des tristes carcans qui nous limitent, en dehors de toute attente vis-à-vis des professionnels de la politique qui la dénaturent !

1 https://orientxxi.info/magazine/la-turquie-mene-une-guerre-de-l-eau-en-syrie

2 Le nouveau Contrat Social adopté en 2016, à l’heure actuelle en pleine refonte, est consultable en ligne ici: https://www.mdh-limoges.org/IMG/pdf/contrat-social-federation-democratique-syrie-du-nord.pdf

3 https://ecolo.be/actualites/la-belgique-doit-mettre-tout-son-poids-au-conseil-de-securite-a-leurope-et-a-lotan-pour-empecher-un-bain-de-sang/

4 Un député touche environ 6.000€ net/mois, un.e secrétaire d’Etat un peu plus de 10.000€. Les rétrocessions au parti Ecolo varient entre 35 et 45 % ce qui laisse de la marge vous avouerez (sans parler des indemnités de départ).

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