Adapté d’un article publié dans Découverte, revue éditée par le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie (http://www.palais-decouverte.fr/fr/ressources/revue-decouverte/n-401-novembre-decembre-2015/edito-et-sommaire/), n°401, novembre-décembre 2015.
«Parfois, je pressais mes doigts sur mes oreilles, pour encore plus de silence – un silence qui n’a jamais été statique pour moi mais toujours en mouvement, onctueux et transpirant tout autour de ma tête, comme de la condensation. Au moment de fermer mes yeux, je l’imaginai aussi doux et cristallin que possible. »[1] Ces quelques lignes ont été écrites par Daniel Tammet, jeune écrivain anglais, dans son livre Je suis né un jour bleu. Certains connaissent Daniel Tammet pour ses livres, d’autres pour son exploit d’avoir pu réciter 22 514 décimales de π, d’autres encore pour ses capacités linguistiques – il maîtriserait au moins 12 langues. D’où tient-il ces capacités intellectuelles hors normes ? Daniel Tammet est autiste, plus particulièrement atteint du syndrome d’Asperger.
Il peut paraître étrange d’expliquer de telles capacités par une maladie. Cela semble d’ailleurs contradictoire avec le fait que de nombreux enfants autistes souffrent de déficits intellectuels. De nombreuses idées reçues existent concernant l’autisme, comme « les autistes sont hors normes», «ils sont incapables d’avoir des sentiments», « ils sont incapables d’imiter les autres », « les enfants sont autistes à cause d’une mère castratrice». Cette méconnaissance de ce qu’est l’autisme a pour conséquence que seuls 87% des enfants autistes sont scolarisés en France en école élémentaire, 11% au collège et 1,2% au lycée.
Qu’est-ce que l’autisme ?
C’est le pédopsychiatre Léo Kanner (Baltimore, États-Unis) qui définit l’autisme en 1943. Il regroupe plusieurs troubles autour de trois caractéristiques communes : 1) anomalies de la communication orale et/ou non verbale, 2) anomalies des interactions sociales et 3) des centres d’intérêts restreints. Ces signes peuvent être détectés à partir de l’âge de dix-huit mois et avant trois ans, touchent 1% de la population et 4 fois plus de garçons que de filles.
La personne avec autisme perçoit mal les signaux sociaux de son environnement. Par exemple, il lui est difficile de « lire » sur le visage de l’autre pour identifier son état d’âme (joie, tristesse, surprise, peur, etc.). Si elle a réussi à acquérir le langage pour s’exprimer avec les autres, la personne avec autisme a plus de difficultés à écouter, surtout si l’autre personne utilise des sous-entendus ou manie l’ironie. La citation de Daniel Tammet en est un exemple : le bruit environnant est difficile à vivre et l’enfant cherche à s’isoler en se bouchant les oreilles. Un enfant avec autisme ne partage pas ses intérêts avec les autres, comme ramener un objet ou un dessin à ses parents. De plus, on observe plus souvent des gestes stéréotypés et répétés. Cet attrait pour la répétition reflète un besoin d’une routine et d’une peur de la nouveauté. L’enfant avec autisme peut mettre en place des rituels pour des moments précis de la journée. Si l’entourage ne suit pas l’ordre des gestes et paroles à suivre, cela est source de stress. Il a longtemps été pensé que les personnes avec autisme ont du mal à imiter les autres. Il a récemment été montré que ce n’est en fait pas le cas.
L’existence de plusieurs troubles pour une même définition explique pourquoi tous les autismes ne se ressemblent pas. On parle de spectre autistique pour rendre compte de la diversité des cas d’autisme. La moitié des personnes avec autisme souffre d’un déficit intellectuel, qui est grave pour 16% d’entre eux. Parmi l’autre moitié, sans déficit intellectuel, 3% présentent des capacités hors-normes, comme Daniel Tammet.
Des « mères frigidaires » aux modèles neuro-génétiques.
En définissant l’autisme, Léo Kanner (1894-1981) avançait aussi l’hypothèse que le comportement maternel – froid ou castrateur – pouvait en être responsable. Cependant, Edward Ornitz (Université de Californie, États-Unis) avance en 1981 l’hypothèse que l’autisme serait d’abord un trouble perceptif. Les perceptions seraient mal modulées, mal hiérarchisées. Des expériences d’enregistrement de l’activité électrique cérébrale ont confirmé cette hypothèse. Elles consistaient à étudier le traitement d’informations sensorielles (notamment auditives et visuelles) par le cerveau d’enfants avec autisme. Plusieurs étapes de la perception ont été considérées : la réception du signal (dans l’oreille interne ou la rétine), sa transmission au cerveau (nerfs auditifs et oculaires), et son intégration par différentes régions cérébrales (tronc cérébral, thalamus, cortex). Les phases de réception des signaux sonores et visuels se passaient normalement. En revanche, les phases de transmission et d’intégration étaient affectées. Surtout, l’association de deux sens semble être difficile : l’enfant ne pourrait voir et entendre en même temps. Ces difficultés de perception pourraient expliquer les difficultés de communication.
A partir des années 1990, la génétique s’est intéressée à l’autisme. Il existe des familles avec une proportion de cas d’autisme plus importante que dans la population, ce qui suggère une transmission génétique. De plus, la probabilité que deux vrais jumeaux soient tous les deux autistes est plus importante que celle où un seul le serait. Aujourd’hui, 20 à 30% des cas d’autisme ont une cause génétique avérée. L’enjeu maintenant est de trouver le lien entre les gènes impliqués dans l’autisme et les anomalies décrites par enregistrements de l’activité cérébrale.
Il n’y a pas LE gène de l’autisme.
Les génomes[2] d’un grand nombre de personnes avec autisme ont été comparés à des personnes sans autisme et ont permis d’identifier des gènes de vulnérabilité. Ces études génétiques n’ont pas permis d’identifier LE gène de l’autisme. L’autisme est extrêmement hétérogène au niveau génétique. Chez certaines personnes, une seule mutation semble suffisante pour causer l’autisme, alors que chez d’autres, c’est l’accumulation de plusieurs mutations[3].
Les premières altérations génétiques qui ont été détectées par les généticiens étaient celles visibles au microscope. Il s’agissait de disparitions d’une partie d’un chromosome ou de parties de chromosomes présentes en double. Cela expliquerait 1 à 5% des cas d’autisme. Des études récentes ont permis d’identifier d’autres altérations à une échelle plus fine. Tout le monde a appris dans ses cours de biologie, que nous avons 23 paires de chromosomes avec 23 chromosomes provenant du père et 23 venant de la mère. Chaque chromosome est une longue double hélice d’ADN (acide désoxyribonucléique). Les gènes sont des portions d’ADN qui s’enchaînent le long du chromosome. Nous avons au total environ 25000 gènes, chacun en deux copies, appelées allèles. Un allèle est sur un chromosome hérité de la mère. L’autre sur un chromosome hérité du père. Seulement, certains de nos gènes sont présents en plusieurs copies et ce nombre de copies est variable d’un individu à l’autre. Ce nombre est même variable au sein d’une même famille et entre deux jumeaux. Le nombre de copie d’un gène influe sur la quantité d’ARN (acide ribonucléique), et donc de protéines, qui sera produite pour le gène en question. On appelle ce phénomène la variabilité du nombre de copies (copy-number variation en anglais). Il serait responsable de 10 à 20% des cas d’autisme.
5% des cas d’autisme seraient dus à des mutations ponctuelles, c’est-à-dire décelables uniquement par séquençage[4]. Ces mutations d’un seul gène sont souvent associées à un syndrome génétique. Un syndrome génétique est défini par un ensemble de symptômes, qui sont chacun la conséquence de l’absence d’expression d’un gène dans un organe donné. Les syndromes génétiques, dont l’autisme est l’un des symptômes, sont, entre autres, les syndromes de l’X-fragile, de Rett, d’Angelman et la sclérose tubéreuse de Bourneville (caractérisée par des tumeurs bénignes qui se forment un peu partout dans le corps). Chacun de ces syndromes est la cause d’environ 1% des cas d’autisme. Parmi ces mutations, certaines ne seraient pas présentes chez les parents mais apparaîtraient lors de la formation des gamètes (ovules et spermatozoïdes) ou très tôt au cours du développement de l’enfant. On parle alors de mutations de novo. On estime que 75% des cas de mutations de novo se situent dans les spermatozoïdes et leur probabilité d’apparition augmente avec l’âge du père.
Parmi les 70% de cas non expliqués, beaucoup ont probablement aussi des causes génétiques, mais non identifiées. Les études actuelles n’auraient en effet permis d’identifier que les mutations avec un effet très fort et très fréquentes chez les personnes avec autisme. De plus, chaque patient n’a pas nécessairement un seul gène muté mais peut en avoir plusieurs. Parmi les formes d’autisme encore mal comprises figure le syndrome d’Asperger.
D’autres origines, non génétiques, ont été trouvées. Elles concernent des atteintes du système nerveux lors de la grossesse. Ces atteintes sont d’origine infectieuse (comme la rubéole) ou toxique. Parmi les substances toxiques responsable d’autisme, citons l’acide valproïque (anti-épileptique), la thalidomide (anti-nauséeux donné dans les années 1950), mais aussi l’alcool. Par ailleurs, des enfants trouvés dans des orphelinats roumains après la chute de Ceausescu présentaient des signes d’autisme. Ces enfants avaient enduré de graves privations physiques et sociales lors de leurs premières années de vie.
Ce que les souris nous disent.
Afin d’étudier les conséquences des mutations identifiées chez les patients, les chercheurs les ont reproduites chez des animaux, notamment des souris.
Tout d’abord, les souris mutées présentent des signes comparables aux patients autistes. La souris est une espèce sociale. En effet, des souris vivant dans une même cage vont former un nid commun. On observe un comportement sexuel entre les mâles et les femelles et parental entre la mère et ses petits. Des expériences pour tester les interactions sociales entre les souris ont été réalisées. Lorsqu’une nouvelle souris arrive dans la cage, le nombre de contacts (physiques, vocaux ou par phéromones) entre cette souris et celles qui étaient déjà présentes peuvent être comptés. Si la cage contient deux types de nourriture, la mère peut indiquer aux petits celle qu’elle trouve la meilleure. La préférence des petits peut ensuite être testée pour voir si la mère a transmis sa préférence. Les souris mutées vont moins interagir avec les autres souris de la cage et vont répéter certains gestes, comme se laver très souvent.
Les cerveaux des souris mutées ont ensuite été étudiés. Il y apparaît de mauvaises connexions – ou synapses – entre les neurones ou une atteinte de ce qu’on appelle la plasticité synaptique. Celle-là est la capacité pour les neurones de modifier leurs connexions (en les renforçant ou en les réduisant) ou leur activité au cours du temps. Elle est impliquée dans l’apprentissage et nous permet de nous adapter à chaque élément nouveau. Par exemple, on observe chez des personnes devenues aveugles que les aires visuelles sont activées par le toucher, ce qui n’est pas le cas chez les personnes voyantes. Ces données permettent d’expliquer la mauvaise transmission des signaux sensoriels ainsi que leur mauvais traitement.
Perspectives thérapeutiques et de recherche
Nous l’avons vu, les explications génétiques avancent à grand pas mais nous ne connaissons aujourd’hui que la partie émergée de l’iceberg. De plus, comment soigner une maladie dont la cause n’est pas la même chez tous les patients ? Une étude publiée en 2012 par Yehezkel Ben Ari (INSERM[5], Marseille) et Eric Lemonnier (Centre hospitalier régional universitaire de Brest) qui consistait à donner pendant trois mois un diurétique à des enfants atteints du syndrome d’Asperger a permis de diminuer les signes d’autisme. Des données expérimentales chez la souris indiquent que les neurones inhibiteurs ont un comportement inversé et deviennent excitateurs, à cause d’une trop grande concentration en chlore à l’intérieur de ces neurones. Le diurétique diminue la concentration en chlore et rétablirait le comportement normal des neurones inhibiteurs. Des résultats similaires avaient été obtenus en 2010 par Angela Sirigu (Université Claude Bernard - CNRS, Lyon) avec administration d’une hormone, l’ocytocine, connue pour être impliquée dans l’attachement maternel et le lien social. Une autre piste serait de prélever chez les patients un peu de peau et de reprogrammer les cellules en neurones. Il serait possible de tester un grand nombre de médicaments sur ces neurones pour trouver lesquels permettraient d’obtenir un réseau de neurones sain.
« C’est par une approche pluridisciplinaire, entre neuroscientifiques, généticiens et médecins, et en formant des consortiums internationaux, comme nous sommes en train de le faire en ce moment au niveau européen, que nous parviendrons à faire de grands pas dans la dissection des mécanismes neurologiques conduisant à l’autisme. », pense quant à lui Thomas Bourgeron, directeur du laboratoire étudiant l’autisme à l’Institut Pasteur (Paris).
Dans tous les cas, un dépistage précoce (avant l’âge de trois ans) et une prise en charge individualisée sont nécessaires. Cela permettrait à beaucoup de personnes avec autisme d’apprendre les règles d’interaction et de communication avec autrui, et de vivre ainsi de manière autonome.
Pour aller plus loin :
- Uta Frith, L’énigme de l’autisme [« Autism : Explaining the Enigma »], Editions Odile Jacob, 2010, 369p. (ISBN 978-2738117717), (traduction française d’Ana Gerschenfeld).
- Page de l’INSERM sur l’autisme : http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/autisme
[1] Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu [« Born on a Blue Day »], Éditions Les Arènes, 2007, 240 p. (ISBN 978-2352040286), (traduction française de Nils C. Ahl)
[2] Le génome est l’ensemble de l’information génétique, d’un individu ou d’une espèce, contenue dans l’ADN, qui constitue les chromosomes. Il contient, entre autres, les gènes.
[3] Une mutation est une modification du génome, en particulier de la séquence d’un gène.
[4] Voir l'article “Le séquençage global, nouvel outil de diagnostique ?”, Découverte, n°395, novembre-décembre 2014.
[5] Institut national de la santé et de la recherche médicale.
