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Billet de blog 20 avril 2016

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De quoi le cannabis est-il le nom ?

Les propos récents de Jean-Marie Le Guen ont relancé le débat sur une "libéralisation contrôlée" du cannabis, dans un pays où environ 44% de la population en a consommé au moins une fois dans sa vie. Mais de quoi parle-t-on lorsqu'on parle de cannabis ? Quels sont ses effets connus sur la santé ?

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Jean-Marie Le Guen s'est prononcé le 11 avril dernier, sur le plateau de BFMTV, en faveur d'une "légalisation contrôlée" du cannabis : « La répression comme nous l'appliquons aujourd'hui, tant aux consommateurs de cannabis qu'aux producteurs ou qu'aux revendeurs, ne fonctionne pas. Il faut situer le débat sur le terrain sanitaire, et pas sur celui de la morale. Il faut peut-être voir si une solution de "légalisation contrôlée" ne serait pas plus efficace pour réduire le trafic et la consommation. »

Alors que la production, la détention, et la consommation de cannabis sont interdites en France, environ 44% de la population en a consommé au moins une fois dans sa vie et 500 000 personnes sont dépendantes au cannabis. Se posent donc les questions d'un renforcement de l'application de la législation actuelle ou d'une "légalisation contrôlée". Comme le ministre et médecin le souligne, les débats de société ont en général deux types de réponse : une réponse morale, avec en général une peur de la décadence, et une réponse qui prend en compte la santé/le bien-être de l'individu et de la population. On ne discutera pas ici des arguments en faveur ou non de la légalisation contrôlée du cannabis (lutter contre ou épuiser le marché de la drogue, un contrôle de la vente et de la composition du cannabis) mais des questions suivantes : de quoi parle-t-on lorsqu'on parle de cannabis ? Quels sont ses effets connus sur la santé ?

Le cannabis contient 60 cannabinoïdes.

Le cannabis (Cannabis sativa indica), ou marijuana, est une plante d'origine d'Asie centrale. Elle produit une soixantaine de résines appelées cannabinoïdes, dont principalement le Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Les cannabinoïdes n'ont pas tous les mêmes effets sur le système nerveux. Par exemple, le THC est le principal responsable des effets psychoactifs et de dépendance du cannabis, alors que le CBD a un rôle neuroprotecteur et tempère l'action du THC.

Les plants de cannabis n'ont pas toujours eu la même composition en cannabinoïdes. On pense qu'initialement ils comportaient beaucoup de CBD et peu de THC. Cependant, depuis quelques décennies, les plants de cannabis se sont enrichis en THC et appauvris en CBD : avant 1995, le cannabis contenait moins de 5% de THC alors qu'il en contient au moins 17% aujourd'hui (certaines résines, jusqu'à 30%). La raison de l'enrichissement en THC est une sélection positive de la part des cultivateurs de cannabis. Ils ont préféré garder les plantes qui donnent le plus d'effets psychoactifs, pour satisfaire les consommateurs : sans le savoir, ils ont gardé les plantes plus riches en THC et plus pauvres en CBD.

Le système nerveux contient naturellement des endo-cannabinoïdes, autres que le THC et le CBD, qui participent à la mise en place de réseaux neuronaux pendant le développement cérébral et plus tard à leur plasticité, c'est-à-dire leur capacité à s'adapter à l'environnement. La plasticité neuronale est fortement impliquée lors de l'apprentissage et la mémorisation. Les endocannabinoïdes jouent un rôle principalement dans les aires cérébrales impliquées dans l'apprentissage, la mémoire, les fonctions motrices, cognitives et émotionnelles. Les endocannabinoïdes agissent sur leurs neurones cibles en se fixant à des récepteurs aux endocannabinoïdes qui sont à leur surface.

Le THC est psychoactif car il peut se fixer très facilement à ces récepteurs, contrairement au CBD.

Le cannabidiol a des avantages thérapeutiques.

Le cannabis était utilisé il y a au moins 3000 ans pour ses effets contre la douleur, l'anxieté, les nausées et les vomissements. La médecine occidentale la redécouvert au XIXème siècle. Il a ensuite été retiré dans les années 1940-1950 à cause de ses effets psychoactifs.

Si le rôle de chaque cannabinoïde présent dans le cannabis n'est pas bien connu aujourd'hui, un grand nombre d'études scientifiques montrent un rôle positif du CBD. Il agit par exemple contre l'anxiété, la douleur, et augmente l'appétit. Sa grande quantité dans les plants initiaux de cannabis pourrait expliquer l'usage du cannabis par la médecine d'il y a 3000 ans. Cependant, les plants actuels en contiennent beaucoup moins, rendant leur usage médical a priori moins pertinent.

Si le cannabis d'aujourd'hui contient moins de CBD, les laboratoires pharmaceutiques peuvent synthétiser la molécule en laboratoire, comme pour la morphine, principal agent actif de l'opium. Le CBD est par exemple un constituant de certains médicaments, administrés par spray buccal, utilisés contre la douleur chez les patients atteints de sclérose en plaque, ou contre les nausées et vomissements chez certains patients atteints de cancers. Des études indiquent que le CBD pourrait être utile pour les patients atteints d'anorexie, de la maladie de Huntington ou d'Alzheimer.

Le cannabis double les risques de schizophrénie chez les adolescents.

Etant donné que le THC se fixe aux récepteurs aux endocannabinoïdes, il perturbe le rôle des endocannabinoïdes dans la formation du cerveau ; il est donc fortement délétère pour le fœtus et le jeune enfant. Le cerveau termine sa maturation vers 20-25 ans. Le THC peut altérer cette maturation : on observe par exemple chez des consommateurs de cannabis une diminution de la taille des aires cérébrales de la mémoire, de l'apprentissage et des émotions, due à la mort de neurones qui ont accumulé beaucoup trop de THC.

Le cannabis doublerait aussi le risque de schizophrénie chez les adolescents, ce qui est d'autant plus problématique que le premier joint est fumé en France en moyenne à l'âge de 16 ans et que 30% des jeunes de 16-24 ans consomment du cannabis. Ce risque augmente avec la teneur en THC du cannabis, la durée de consommation et l'âge de la première consommation. La consommation de cannabis pourrait augmenter les risques de boulimie et favorise les comportements sexuels à risque.

Toutefois, tout le monde ne semble pas touché de la même manière. Environ 20% des consommateurs ont ressenti des effets de type psychotique (hallucinations, paranoïa, délires) lors de leurs premières consommations, signes qui sont souvent annonciateurs d'une évolution vers une schizophrénie. Environ 30% de la population aurait des récepteurs aux endocannabinoïdes moins sensibles au THC, ce qui les protègerait des effets négatifs du THC sur la maturation cérébrale.

Les autres effets négatifs du THC sont de la tachycardie, une baisse de la tension artérielle, une trop grande relaxation des muscles, une digestion ralentie, des vertiges, des dépressions. Le THC pourrait aussi être à l'origine de cancers testiculaires. Comme les autres drogues, le THC induit une dépendance. Fumer du cannabis a les mêmes effets négatifs sur les poumons que fumer du tabac, à cause de produits toxiques dans la fumée.

En conclusion, le débat sur la "légalisation contrôlée" ou non du cannabis doit distinguer son usage thérapeutique de son "usage récréatif". L'industrie pharmaceutique et les médecins peuvent contrôler la composition des médicaments en cannabinoïdes, choisis en fonction de leur rôle thérapeutique, comme c'est déjà le cas pour la morphine. L'"usage récréatif" du cannabis est fortement déconseillé, surtout aux adolescents et jeunes adultes dont le cerveau est encore en maturation, à proscrire pour les enfants et les femmes enceintes. Si "légalisation contrôlée" il y a, la composition du cannabis en cannabinoïdes devra être abordée et contrôlée (notamment la proportion de THC), et l'étude des cannabinoïdes autres que le THC et CBD approfondie.

Sources non exhaustive :

The role of cannabinoids in neuroanatomic alterations in cannabis users. Lorenzetti V. et al. Biological Psychiatry, April 2016 : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006322315009907

Cannabidiol, neuroprotection and neuropsychiatric disorders. Campos A. et al., Pharmacological Research, February 2016 : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1043661816000396

Site de l'INSERM sur la schizophrénie (http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/schizophrenie) et les addictions (http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/addictions).

Voir aussi : https://www.mediapart.fr/journal/international/140814/legaliser-le-cannabis-37-mamie-devrait-elle-fumer-des-joints?page_article=1 et https://www.mediapart.fr/journal/france/240814/legaliser-le-cannabis-67-la-france-saccroche-au-tout-repressif et https://www.mediapart.fr/journal/france/031115/drogues-illicites-23-milliards-deuros-de-chiffre-daffaires-en-2010

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