Un lieu de mémoire plurielle sous protection républicaine
Situé dans les Vosges alsaciennes, le camp de concentration de Natzweiler-Struthof constitue un témoignage unique de la barbarie nazie sur le sol français. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'État français a pris conscience de l'importance de préserver ce lieu comme patrimoine mémoriel national. Classé monument historique en 1950, puis enrichi du Centre européen du résistant déporté en 2005, le site illustre parfaitement comment la République laïque assume la protection d'un lieu où la dimension religieuse est omniprésente.
La mémoire de toutes les victimes, au-delà des appartenances confessionnelles
Le Struthof a vu défiler des déportés de toutes confessions : catholiques, protestants, juifs, orthodoxes, mais aussi libres penseurs et athées. La politique mémorielle mise en œuvre par l'État français s'attache à honorer toutes ces mémoires sans hiérarchisation ni distinction. Cette approche incarne parfaitement l'esprit de la laïcité française qui, en principe, loin d'effacer le fait religieux, garantit sa libre expression dans le respect mutuel.
Lors des cérémonies commémoratives officielles, des représentants de différentes confessions sont invités à s'exprimer, témoignant de cette volonté inclusive qui caractérise la politique mémorielle de la République.
Une muséographie respectueuse des sensibilités religieuses
La scénographie du Centre européen du résistant déporté, inauguré par Jacques Chirac en 2005, reflète cette attention particulière portée à la dimension spirituelle de l'expérience concentrationnaire. Les objets religieux conservés – chapelets de fortune, étoiles de David dissimulées, pages de prières clandestines – sont présentés avec une grande dignité, témoignant de l'importance de la foi comme ressource de résistance intérieure pour de nombreux déportés.
Le Mémorial de la déportation et ses espaces de recueillement
L'État français a également veillé à ce que le site comporte des espaces adaptés au recueillement, quelle que soit la confession des visiteurs. Le Mémorial de la déportation, avec sa flamme éternelle et sa crypte, constitue un lieu de commémoration universel, tandis que des espaces plus discrets permettent des moments de prière ou de méditation personnelle.
Cette configuration illustre parfaitement l'équilibre trouvé par la République laïque : permettre l'expression des sensibilités religieuses sans imposer une lecture confessionnelle du lieu, et offrir également un cadre adapté pour un recueillement non religieux. En effet, dès 1945, l’architecte en chef des Monuments Historiques, Bertrand Monnet, imagine un projet d’un monument commémoratif sur le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler. Il réalise plusieurs esquisses d’une « Flamme-Mémorial » à partir de l’été 1952, puis dessine les plans définitifs du monument en octobre 1953. Dans les années 1950, la mémoire du conflit reste largement dominée par celle de la Résistance. Ainsi, sous l’impulsion d’anciens déportés, l’Etat décide, en octobre 1953, d’ériger un mémorial de la déportation. Lors de sa conception, le mémorial du Struthof est pensé comme un « mausolée pour les milliers de corps inconnus » réduits en cendres dans le four crématoire, privés d’un digne lieu de sépulture. Il doit être la tombe symbolique de ceux dont on ne retrouvera jamais les corps. Phare de la Mémoire de 40 mètres de haut et visible depuis la vallée de la Bruche et les hauteurs du Donon, il représente une flamme et arbore la silhouette émaciée d'un déporté. Le corps du déporté inconnu, symbole de toutes les victimes de la déportation est placé à l'intérieur du caveau au pied du Mémorial. A l'intérieur, une crypte contient 14 urnes renfermant de la terre ou des cendres anonymes provenant de différents camps de concentration.
Un modèle de laïcité inclusive
Le traitement mémoriel du Struthof par l'État français démontre que la laïcité, correctement comprise, n'est pas l'effacement du religieux mais bien son intégration respectueuse dans l'espace public et dans notre histoire commune.
Une éducation à la tolérance et au respect mutuel
Le Centre européen du résistant déporté accueille chaque année des milliers de scolaires dans le cadre de programmes éducatifs soutenus par l'Éducation nationale. Ces visites sont l'occasion d'une sensibilisation non seulement à l'histoire de la Shoah et de la déportation, mais aussi au respect des différences culturelles et religieuses.
Les médiateurs du site abordent la question des persécutions religieuses, notamment antisémites, tout en soulignant comment la diversité des victimes appelle aujourd'hui au respect mutuel entre citoyens de toutes convictions. Cette dimension pédagogique s'inscrit pleinement dans les missions d'un État laïc qui, tout en restant neutre, promeut les valeurs de tolérance et de respect.
« L’honneur du pays exige qu’une sépulture recueille en terre française les cendres des déportés morts en terre étrangère et non réclamés par leur famille. Au symbole du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe doit correspondre celui de la Nécropole nationale des déportés et internés de la Résistance.» Assemblée Nationale, 6 septembre 1951.
Un exemple pour d'autres lieux de mémoire
La gestion mémorielle du Struthof par l'État français constitue un modèle inspirant pour d'autres sites patrimoniaux confrontés à la question religieuse. En démontrant qu'un État laïc peut valoriser la dimension spirituelle d'un lieu sans compromette sa neutralité, le Struthof illustre une conception apaisée et mature de la laïcité.
Alors que notre société s'interroge régulièrement sur la place du religieux dans l'espace public, l'exemple du Struthof rappelle que la République a su trouver des équilibres respectueux pour préserver un patrimoine mémoriel où le spirituel et le civique s'entremêlent inextricablement.
Conclusion
Le Struthof incarne ainsi une laïcité en actes, qui préserve la mémoire religieuse comme partie intégrante de notre patrimoine commun. Loin des caricatures réductrices qui opposeraient République et religions, ou, au contraire, d'une instrumentalisation de la mémoire à des fins d'exclusion du fait religieux, ce lieu témoigne d'une approche inclusive où l'État assume pleinement son rôle de gardien d'une mémoire plurielle.
En visitant ce site, on comprend que la laïcité française, telle qu'elle se déploie dans nos politiques patrimoniales, n'est pas l'effacement du religieux mais sa reconnaissance comme composante essentielle de notre histoire et de notre identité collective. Une leçon précieuse, 120 ans après la loi de 1905.
Cet article fait partie de notre série "120 ans, 120 lieux" qui explore le patrimoine religieux français à l'occasion du 120ème anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l'État. Le camp du Struthof s'inscrit dans une des 120 visites organisées en 11 parcours thématiques : le parcours 10 mémoire militaire et religieuse. Retrouvez d'autres lieux sur www.iletait1foi.com
STRUTHOF
Route départementale 130 67130 NATZWILLER Tél. : + 33 (0)3 88 47 44 67
Les visites guidées ont lieu tous les jours à 10h00, 11h00, 14h00, 15h00 et 15h30. La durée est d'une heure environ.