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Billet de blog 16 mars 2025

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Vitraux dévoilés : L'art sacré à la lumière de la République

Dans le cadre du projet "120 ans, 120 lieux", nous revenons de Troyes, plus précisément à la cité du Vitrail, où l'histoire religieuse française se révèle sous un jour nouveau, illustrant parfaitement l'esprit de la loi de 1905.

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Quand le verre raconte notre histoire commune

Pénétrer dans les salles de la cité du Vitrail, c'est entrer dans un dialogue silencieux mais éloquent avec notre Histoire. Ici, la lumière filtrée à travers les panneaux colorés n'éclaire plus les fidèles en prière, mais tous les visiteurs, croyants ou non, enfants ou adultes. Cette métamorphose – du sanctuaire au musée – incarne l'essence même de la laïcité française : non pas l'effacement du religieux, mais sa transformation en patrimoine commun accessible à tous.

Les vitraux exposés ici proviennent de diverses églises, cathédrales et chapelles de France, et même de la synagogue : nous en parleront dans un prochain épisode. Certains ont été sauvés de bâtiments en péril, d'autres ont été démontés lors de restaurations, d'autres encore ont été spécifiquement créés pour être exposés en contexte muséal. Leur présence dans cet espace laïc raconte une histoire fondamentale : celle de la République française qui, tout en séparant les Églises de l'État, a choisi de préserver, valoriser et transmettre le patrimoine religieux comme bien culturel commun.

La visite débute avec un parcours informatif sur l’art du vitrail en général, en tentant de répondre aux grandes questions que le visiteur peut se poser : qui fait du vitrail ? Comment crée-t-on un vitrail ? Le vitrail n’est-il que religieux ? Fait-on encore du vitrail aujourd’hui ? Pourquoi y a-t-il autant de vitraux dans l’Aube ?...

L'art du vitrail : témoin d'une spiritualité française plurielle

Les vitraux médiévaux aux couleurs profondes nous plongent dans une époque où la foi structurait la société. Les scènes bibliques, représentées avec une simplification nécessaire pour être comprises par des populations majoritairement illettrées, remplissaient alors une fonction didactique essentielle. Ces "bibles des pauvres", comme on les appelait, racontent à leur manière l'histoire du christianisme en France, mais aussi celle des techniques artistiques, des influences culturelles et des sensibilités spirituelles qui ont évolué au fil des siècles. Matériaux, formes, couleurs ...

La Renaissance apporte ses innovations techniques et stylistiques, avec des vitraux aux compositions plus complexes, inspirés par l'humanisme. Les verrières du XVIIe et XVIIIe siècles reflètent quant à elles les bouleversements de la Réforme et de la Contre-Réforme. Puis vient le XIXe siècle, période de renouveau pour l'art du vitrail, avec des artistes comme Eugène Viollet-le-Duc qui restaurent le patrimoine médiéval tout en créant de nouvelles œuvres. Ce parcours chronologique nous mène jusqu'aux vitraux contemporains, où des artistes comme Marc Chagall ou Pierre Soulages réinterprètent l'art sacré avec une sensibilité moderne.

Mais ce qui frappe particulièrement dans cette collection, c'est la présence de vitraux témoignant de la diversité religieuse française : quelques rares vestiges de synagogues anciennes, des motifs d'inspiration islamique intégrés dans certaines compositions du XIXe siècle, et même des créations contemporaines dialoguant avec différentes traditions spirituelles. Cette diversité rappelle que la France, bien avant la loi de 1905, était déjà terre de pluralité religieuse.

La laïcité en lumière : du lieu de culte à l'espace culturel

L'histoire de ce musée illustre parfaitement l'évolution de notre rapport au patrimoine religieux. Le Conseil départemental de l’Aube a pris en 2011 la décision de créer à Troyes un établissement dédié au vitrail, fondant la légitimité de cette initiative sur la richesse exceptionnelle du patrimoine vitré conservé dans l’Aube. Cela s'inscrit dans cette tradition française de préservation culturelle initiée bien avant la loi de 1905, mais que celle-ci a paradoxalement renforcée en clarifiant les responsabilités de l'État envers le patrimoine religieux.

Car contrairement aux idées reçues, la loi de séparation des Églises et de l'État n'a pas cherché à effacer le fait religieux de l'espace public, ou à le reléguer à la sphère privée, mais à définir un nouveau cadre permettant la coexistence harmonieuse des différentes convictions. En classant de nombreux édifices religieux comme monuments historiques, en prenant en charge leur entretien et leur restauration, la République a affirmé que ce patrimoine, bien que d'origine confessionnelle, appartenait désormais à tous les Français, et donc, au domaine public. Il a donc pour vocation à être vu de tous !

Le parcours muséographique nous invite à comprendre cette subtile alchimie républicaine : les cartels explicatifs replacent chaque vitrail dans son contexte religieux d'origine, tout en soulignant sa valeur artistique, technique et historique. Le visiteur est ainsi invité à appréhender ces œuvres sous différents angles : esthétique, historique, technique, symbolique – et religieux pour ceux qui le souhaitent.

Une pédagogie renouvelée du fait religieux

"Plus de la moitié des enseignants se sont déjà autocensurés pour éviter de possibles incidents sur les questions de religion," nous rappelle une étude de l'IFOP citée dans notre dossier de presse. Face à ce constat préoccupant, le musée représente un outil pédagogique précieux pour aborder sereinement le fait religieux.

L'équipe éducative du musée a développé des ateliers permettant aux élèves de découvrir les techniques du vitrail, mais aussi de décrypter leur iconographie et leur symbolique. Dans un espace neutre, dépassionné, les jeunes peuvent ainsi s'approprier des éléments de culture religieuse sans prosélytisme ni jugement. Un professeur d'histoire-géographie nous témoigne : "Ici, je peux parler des représentations de Moïse, de Jésus ou des saints sans crainte. Le cadre muséal désamorce les tensions potentielles et permet d'aborder ces sujets comme des éléments de notre patrimoine commun."

Une mémoire lumineuse pour l'avenir

En intégrant ce musée dans notre projet "120 ans, 120 lieux", nous souhaitons mettre en lumière une vérité souvent mal comprise : la laïcité ne vise pas à effacer les religions de l’espace public, mais à en garantir la coexistence harmonieuse. Elle permet à chacun d’accéder à ce patrimoine commun, qui fait partie intégrante de notre histoire culturelle et artistique.

Cependant, la manière dont la laïcité est aujourd’hui interprétée et appliquée crée paradoxalement une barrière à la compréhension de ce patrimoine. Sans culture religieuse, il devient impossible de saisir la signification des vitraux, des œuvres d’art sacrées ou de l’architecture des lieux de culte. Ce qui était autrefois un langage visuel accessible à tous devient un mystère, et nous risquons ainsi de passer à côté de notre propre héritage.

C’est précisément dans cette optique que l’association ILETAIT1FOI agit, en proposant des clés de lecture pour retrouver le sens profond de ces éléments patrimoniaux. Le projet "120 ans, 120 lieux" s’inscrit dans cette démarche : redonner à chacun la possibilité de comprendre l’Histoire et la richesse culturelle de ces espaces, afin que le patrimoine religieux redevienne une source de connaissance partagée plutôt qu’un simple décor déconnecté de son sens originel.

Les vitraux, par leur nature même – fragiles mais durables, lumineux mais mystérieux – symbolisent parfaitement cette alchimie républicaine. À travers eux, nous percevons comment la République française, en 120 ans, a su transformer le patrimoine religieux en héritage commun. C'est pour cela qu'il nous semble essentiel de revenir à cette conception originelle et apaisée de la laïcité. Une conception qui, loin d'opposer les traditions, permet leur rencontre et leur transmission dans un cadre commun.

Visiter ce musée, c'est comprendre que la lumière qui traverse les vitraux n'appartient à personne en particulier – elle se donne à tous ceux qui acceptent de lever les yeux.

Dans le cadre du projet "120 ans, 120 lieux", nous vous invitons à découvrir la cité du Vitrail.

A découvrir à Troyes dans l'Aube en Champagne Le vitrail à hauteur de regard | Cite Vitrail Aube

Pour plus d'informations, rendez-vous sur l'onglet 120 ans 120 lieux du site iletait1foi.com

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