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Billet de blog 24 mars 2025

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La loi de 1905 : Une révolution législative à l’épreuve de l’histoire

Dans le cadre du projet "120 ans, 120 lieux", nous avons pu visiter l'Assemblée Nationale. En 1905, la France engage un tournant décisif dans ses relations avec le religieux en adoptant la loi de séparation des Églises et de l’État. Si ce texte demeure aujourd’hui un pilier de l’identité républicaine, il est aussi le fruit d’un débat houleux, dont le rapport parlementaire éclaire chaque étape.

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Loin d’être un texte unanimement accepté, la loi de 1905 a été au cœur d’une confrontation idéologique intense entre les partisans d’un État strictement neutre et les défenseurs d’un héritage religieux encore profondément enraciné dans la société française. Le rapport parlementaire nous plonge ainsi dans une époque où se joue un bras de fer entre tradition et modernité, entre pouvoir spirituel et autorité républicaine.

Un contexte explosif : La République face à l’Église catholique

À l’aube du XXᵉ siècle, la question religieuse est l’un des sujets les plus brûlants de la vie politique française. Depuis la Révolution, les rapports entre l’État et l’Église catholique oscillent entre compromis et affrontements. Sous la Troisième République, la situation se tend encore davantage, notamment en raison des décisions visant à réduire l’influence du clergé dans les affaires publiques.

Dans le rapport parlementaire de 1905, les rédacteurs insistent sur l’enchaînement de lois et d’événements qui ont rendu la séparation inévitable. La loi Falloux de 1850, qui renforçait la place de l’Église dans l’enseignement, avait déjà suscité des oppositions chez les républicains. Mais c’est surtout au début du XXᵉ siècle que la rupture devient manifeste : les congrégations religieuses sont progressivement expulsées et le budget des cultes est supprimé en 1904, un signal fort annonçant la fin du lien financier entre l’État et l’Église.

Le rapport met également en évidence un autre facteur déterminant : l'Affaire Dreyfus, qui, au-delà du scandale judiciaire, a cristallisé une fracture entre une partie du clergé catholique, perçu comme allié des milieux réactionnaires, et les républicains. Dans ce contexte de tensions exacerbées, la loi de séparation s’impose comme une nécessité pour mettre fin aux ingérences religieuses dans les affaires de l’État et garantir à chacun une liberté de conscience totale.

Aristide Briand, rapporteur de la commission parlementaire, défend cette approche avec fermeté. Il insiste sur le fait que l’État ne doit ni combattre ni soutenir aucune croyance, mais simplement ignorer le fait religieux dans sa gestion des affaires publiques. Cette neutralité absolue, qui semble aujourd’hui évidente dans le cadre républicain, constitue alors une véritable révolution politique et sociale. 

"L'État n’a pas à se prononcer sur la valeur des croyances religieuses. Il ne les combat pas, il ne les protège pas : il les ignore." – Rapport parlementaire de 1905

Une confrontation d’idées : entre défenseurs de la séparation et opposants farouches

Le rapport parlementaire illustre avec force l’âpreté des débats qui ont entouré l’adoption de la loi de 1905. D’un côté, les partisans de la séparation, portés par les républicains radicaux et certains socialistes, voient dans cette réforme l’aboutissement d’un long combat pour l'émancipation des institutions publiques vis-à-vis du religieux. Ils défendent une vision dans laquelle la laïcité est la garantie de la liberté de conscience et de l’égalité entre tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances.

Dans le camp opposé, les défenseurs du statu quo dénoncent un texte qui, selon eux, rompt brutalement avec des siècles d’histoire et de traditions. Ils redoutent une déstabilisation de la société et s’inquiètent des conséquences de la loi sur la conservation du patrimoine religieux. Pour eux, la République ne peut pas ignorer la dimension spirituelle qui a structuré la civilisation française.

"Dérober à la société les bases spirituelles qui ont soutenu sa civilisation, c’est menacer son équilibre même." – Opposants à la loi de 1905

Le débat ne se limite donc pas à une question de gestion administrative des cultes. Il soulève des interrogations profondes sur l'identité nationale, sur la place des traditions dans une République en pleine modernisation et sur l’avenir du lien entre les institutions publiques et la foi.

Le devenir du patrimoine religieux : une séparation qui n’efface pas tout

L’un des aspects les plus sensibles du rapport concerne le sort du patrimoine religieux après la loi de séparation. En abolissant le Concordat napoléonien qui liait l’État aux Églises, la République devait aussi statuer sur les nombreux biens religieux qui, jusqu’alors, dépendaient des financements publics.

La solution retenue fut un compromis : les édifices religieux construits avant 1905, notamment les églises et les cathédrales, restent propriété de l'Etat et des communes, mais leur usage est concédé aux fidèles par le biais d’associations cultuelles. Ainsi, si l’État cesse de financer directement les cultes, il demeure responsable de l’entretien de ces bâtiments, ce qui explique pourquoi, encore aujourd’hui, des fonds publics sont alloués à la restauration des églises et des cathédrales.

Le rapport insiste sur le fait que la loi ne doit pas être perçue comme une spoliation, mais comme une réorganisation des responsabilités. L’objectif est de garantir que ces monuments, qui font partie intégrante du patrimoine national, puissent être préservés sans pour autant remettre en cause la neutralité de l’État.

"La loi de séparation ne saurait être une loi de spoliation. Il ne s’agit pas d’exproprier, mais de restituer à la société civile les biens qui lui avaient été imposés." – Rapport parlementaire de 1905

Une loi toujours au cœur des débats

Plus d’un siècle après son adoption, la loi de 1905 demeure un sujet de discussion et parfois de tension. Le rapport parlementaire montre que cette réforme a été pensée comme un équilibre entre liberté religieuse et neutralité de l'Etat, mais certains de ses aspects continuent d’alimenter les controverses.

La question du financement du patrimoine religieux reste une source de débat, puisque l’État, bien qu’il ne subventionne aucun culte, finance encore l’entretien des édifices construits avant 1905. Par ailleurs, l’exception alsacienne et mosellane, où le Concordat est toujours en vigueur, montre que cette séparation n’a pas été appliquée uniformément sur tout le territoire.

Le rapport révèle aussi un autre point majeur : en 1905, la France était essentiellement confrontée à la question catholique. Aujourd’hui, l’émergence d’autres cultes, notamment l’islam, pousse certains à réinterroger l'adéquation de la loi aux défis contemporains. 

Un texte fondateur et un héritage toujours vivant

Le rapport parlementaire de 1905 n’est pas un simple document juridique : il est le témoignage d’un moment charnière dans l'histoire de la République. Il montre à quel point la laïcité française s’est construite non pas comme un rejet du religieux, mais comme une réorganisation du lien entre croyance et politique. Aujourd’hui encore, il éclaire les tensions et les dilemmes qui accompagnent toute réflexion sur la place du religieux dans une société laïque.

En relisant ce texte, on comprend que la séparation des Églises et de l’État n’a jamais été une évidence, mais une construction progressive, nourrie de débats passionnés et d’arbitrages délicats. Plus d’un siècle plus tard, cette histoire résonne toujours dans les discussions sur l’avenir du modèle laïque français.

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