Un patrimoine partagé au-delà des appartenances
La France abrite un patrimoine religieux d'une diversité exceptionnelle. Des cathédrales gothiques aux synagogues médiévales, des mosquées contemporaines aux temples protestants, ces édifices racontent une histoire plurielle, souvent méconnue du grand public. Le projet "120 ans, 120 lieux" entend mettre en lumière cette diversité en documentant des sites représentatifs des traditions juives, chrétiennes et musulmanes.
Cette approche inclusive est particulièrement pertinente à l'heure où le fait religieux suscite tant de crispations. Car ce patrimoine, loin d'être la propriété exclusive des fidèles d'une confession, constitue un bien commun que chaque citoyen peut s'approprier, quelle que soit sa croyance ou son absence de croyance.
La Basilique Cathédrale Saint-Denis, nécropole des rois de France devenue monument national géré par l'État, illustre parfaitement cette conversion de lieux religieux en patrimoine accessible à tous. De même, la Maison Rachi à Troyes témoigne de l'ancienneté de la présence juive en France et de sa contribution majeure à la culture française. Quant au cimetière musulman de Bobigny, créé en 1937 pour les soldats musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale, il rappelle les liens historiques entre la République et l'islam, bien antérieurs aux immigrations du XXe siècle.
Le tourisme religieux, laboratoire du dialogue interculturel
À travers cette exploration du patrimoine cultuel français, le projet "120 ans, 120 lieux" invite à repenser le tourisme religieux non plus comme une activité réservée aux pèlerins ou aux amateurs d'art sacré, mais comme une véritable opportunité de dialogue interculturel.
En effet, la visite d'un lieu de culte d'une autre tradition que la sienne offre une expérience immersive unique. Elle permet de découvrir de l'intérieur les pratiques, les symboles et les valeurs d'une communauté, favorisant ainsi une meilleure compréhension mutuelle. Dans un contexte où l'ignorance nourrit souvent les préjugés, cette approche expérientielle du fait religieux peut s'avérer bien plus efficace que n'importe quel discours théorique sur la tolérance.
La laïcité, un cadre propice à la découverte du patrimoine religieux
Contrairement à une idée reçue, la laïcité dite "à la française" n'est pas un obstacle à la valorisation du patrimoine religieux. Au contraire, en garantissant la neutralité de l'État vis-à-vis des cultes, elle offre un cadre propice à la découverte sereine de la diversité religieuse.
C'est précisément parce que la loi de 1905 a clarifié les relations entre les pouvoirs publics et les religions que nous pouvons aujourd'hui, en tant que société, porter un regard apaisé sur notre patrimoine cultuel. La séparation n'a pas signifié rupture mais a permis l'émergence d'un nouveau rapport au fait religieux, où celui-ci est abordé non plus seulement sous l'angle du dogme mais aussi sous celui de la culture et de l'histoire communes. Ainsi, croyants et non croyants peuvent y avoir accès.
Cette approche est d'autant plus nécessaire que les récents sondages mettent en avant une méfiance des jeunes face au concept de laïcité qu'ils jugent instrumentalisé (étude Kantar, novembre 2023). Face à ce malentendu, qui témoigne d'une méconnaissance du principe même de laïcité, mais aussi parfois du jeu politico-médiatique, la médiation culturelle autour du patrimoine religieux peut jouer un rôle pédagogique crucial.
Pour un tourisme religieux citoyen
À l'heure où le tourisme de masse montre ses limites, tant écologiques que culturelles, le patrimoine religieux français offre une alternative précieuse : celle d'un tourisme de proximité, porteur de sens et créateur de lien social.
Les 120 lieux identifiés par le projet sont répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain, invitant à une redécouverte de nos régions à travers leur histoire religieuse. Cette répartition géographique encourage un tourisme diffus, qui profite à des territoires parfois délaissés par les circuits traditionnels. Mais l'enjeu va au-delà de la simple valorisation touristique. Il s'agit de faire de ces visites des moments d'apprentissage de la citoyenneté, où chacun, croyant ou non, peut reconnaître dans ce patrimoine pluriel un élément constitutif de notre identité collective.
En documentant ces 120 lieux à travers 11 parcours thématiques, le projet contribue à construire une mémoire vivante de notre diversité religieuse. Une mémoire qui, loin de diviser, peut devenir le socle d'un dialogue renouvelé entre les différentes composantes de la société française.
À l'aube des 120 ans de la loi de 1905, c'est peut-être là le plus bel hommage que l'on puisse rendre à ce texte fondateur : montrer comment la laïcité, correctement comprise, permet non pas d'effacer les religions de l'espace public mais de les inscrire dans un récit commun, accessible à tous.