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Billet de blog 27 avril 2020

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LE JEUNE FLIC ET SON DÉMON GARDIEN

Il est bien dommage que le racisme cimente la police. Parabole sur l'allégeance nécessaire du jeune flic en milieu anxiogène

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Cher lecteur, sache d'entrée que ceci est une fable.

J'ignore tout de ce qui s'est passé dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 avril 2020 à l’Île Saint Denis. J'ai simplement lu l'article que le site Internet de France Info a consacré à cette affaire et visionné la vidéo diffusée par Taha Bouhafs.

À partir de là, j'ai imaginé. Et je n'affirme pas que ce que je vais te raconter puisse avoir une valeur autre que d'imagination. Extrapolation ? Plutôt une parabole.

Un groupe de policiers de Seine Saint Denis veut interpeller un homme. Ce dernier s'enfuit et saute dans la Seine. On le repêche.

Parmi les policiers, un flic mature, expérimenté, sûr de lui, de son bon droit, de la supériorité que lui donnent sa fonction et l'idée qu'il se fait de lui-même. Raciste, porté sur la violence, les blagues machistes, l'apéro prolongé. Il aime diriger, dominer, impressionner les bleus. Il déteste les Arabes. Il déteste pas mal de gens et pas mal de choses, d'ailleurs. Et un jeune flic, peu expérimenté, impressionnable, vulnérable dans ce contexte particulier de la Saine Saint Denis ; il a besoin de modèles, de repères, besoin de s'intégrer, d'être apprécié et soutenu dans son milieu professionnel. Il n'a pas d' a priori contre les Arabes, mais ils donnent visage à l'adversaire quotidien et ne lui ménagent pas leurs insultes en intervention.

« Un bicot comme ça, ça ne nage pas » commente le gros con raciste.

« Ça coule, tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied », renchérit le jeune bleu pour se faire bien voir.

Ils rejoignent leurs collègues près du fourgon dans lequel le fuyard repêché va être transporté.

« Il s'est jeté direct à la Seine, ce con !! » s'exclame le jeune flic.

En fait, il a eu une peur terrible : peur que le fuyard se noie. L'homme a sauté en voulant échapper à la police, il aurait perdu la vie dans sa fuite. La police ne l'aurait pas sauvé. Les policiers auraient sa mort sur la conscience. Même s'ils avaient fait tout leur possible pour le sauver sans y parvenir, la mort de cet homme aurait hanté le jeune flic. Il mesure le drame qui vient de se dérouler, la tragédie qui aurait pu être. Il mesure ce à quoi l'homme et lui-même viennent d'échapper de justesse.

Mais pas question de montrer d'empathie pour l'homme face au gros con raciste. Pas question non plus de montrer son angoisse. Pas question de montrer quelque sentiment que ce soit. On tourne le drame à la rigolade. Parce qu'il faut tenir le coup, parce que la même chose peut se reproduire demain, parce qu'un jour, un caïd de quartier peut tenir sa vie au bout d'un flingue et, ce jour-là, il sera bien content que le gros con raciste lui vienne en aide sans état d'âme.

Parce que, pour exercer un métier si dur, il est nécessaire de faire corps avec le groupe, d'y faire preuve d'une solidarité totale, sans faille. Fût-ce au prix d'un verrouillage de l'empathie, du respect, de la dignité. Il faut tenir et, parce qu'on ne peut pas tenir seul, ne pas fragiliser le groupe. Donc ne pas mettre les collègues en cause, surtout ceux qui s'affirment et dirigent.

« Tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied » : toute l'ambiguïté de la position du jeune flic est dans cette phrase. « Tu », pas « je ». Avec un boulet au pied, il aurait coulé, comprend le gros con qui explose de rire. Avec un boulet au pied, il n'aurait pas pu sauter dans la Seine, comprend la conscience du jeune flic, bien cachée derrière la blagounette complaisante.

Il est fort dommage que des gros cons racistes sévissent au sein de notre police. Les jeunes flics ont besoin d'autres modèles. Si son supérieur hiérarchique, ou simplement son binôme d'expérience, était un homme digne, montrant l'exemple de compétence et d'humanité, le jeune flic pourrait développer ses qualités personnelles au lieu de se sentir obligé, pour survivre, de complaire aux pires bassesses.

Certains ont un ange gardien. Ce jeune bleu a un démon gardien. Dommage.

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