L’histoire de notre déficit prend racine aux plus jeunes heures de notre république, la crise budgétaire s’alourdit à chaque mauvaise décision rendue par Matignon, et la récession est avant tout liée à l’explosion du coût de l’énergie et des matières premières. Et pourtant, croyez le ou non, pour les gros bonnets de l’aménagement et leurs amis de notre gouvernement : c’est l’archéologie qui coûte cher. Oui, c’est bien nous ! les pinceauteurs et gratteurs de cailloux ! Sales et claudiquant que nous sommes, arpentant été comme hiver vos champs, vos jardins privés et vos ruelles pour y trouver des os, de l’or, des trésors ! C’est connu : nous menaçons l’économie du pays en freinant son développement ; nous étranglons la France ! … Difficile d’y croire, tout de même, lorsque l’on sait que l’archéologie interrompt temporairement l’avancée d’un chantier que dans 1,7 cas sur 100 (Sophie Krausz, France Culture, 30 mai 2025). Le coût de l’archéologie est dérisoire, et pour autant, ce que cet amendement propose, c’est de nous empêcher légalement d’intervenir dans les affaires que l’Etat juge important. Par la proposition de cet amendement (article 15, bis A et bis B), que les médias présentent et critiquent abondamment depuis quelques semaines, le parti Horizon souhaite officiellement privilégier le développement du territoire au détriment de la compréhension de notre histoire. C’est un choix… L’Ukraine fit le sien en choisissant de mener des fouilles archéologiques même par temps de guerre, y compris dans les tranchées successivement devenues des lignes de front. Notre gouvernement, évidemment plus pragmatique, doit bien avoir des raisons de penser autrement. Par cet amendement (dont les termes sont forts vagues…), il semble choisir de faire la guerre à l’archéologie dans l’espoir d’accroître la marge bénéficiaire de nos grands champions de l’aménagement (Eiffage, Vinci, Eurovia, SNCF, Veolia, Amazon etc.) Mais je ne suis pas là pour soupçonner quiconque de clientélisme… Non. Je crois d’ailleurs religieusement à l’intégrité républicaine des membres de notre présent gouvernement, si bien que toute la communauté archéologique, comme moi en cet instant, peine à comprendre l’objet de cette attaque…
Une attaque, oui. L’archéologie française ne traverse pas une énième crise budgétaire née de la récession. Comprenez que nous ne craignons pas pour notre profession, mais pour notre discipline. Aujourd’hui, sous motif de participer au maintien de l’économie nationale, c’est notre utilité qu’Horizon remet publiquement en cause. À l’Assemblée se fomente un vote que je perçois comme une tentative de muselage. Car en cherchant à empêcher toute intervention archéologique sur les chantiers d’aménagement de superficie et d’importance jugée majeure, l’Etat privera les services archéologiques publics et privés d’une grande partie de leurs ressources, et donc de leurs effectifs. Et parce qu’ils devront fonctionner avec moitié moins de bras, ces derniers n’auront plus guère de temps à accorder à la recherche, aux questionnements ; là nous ferons des trous pour faire des trous… Et alors, que se passera-t-il ensuite ? Libéré de cette contrainte scientifique, le gouvernement, quel que soit son bord politique, n’aura plus qu’à s’emparer de nos bouillies de données non analysées pour les détourner à sa guise, au profit de son discours, en adéquation avec ses projections politiques. Je ne crois pas exagérer en vous soutenant cela, car c’est d’ores et déjà ce que nous constatons et subissons au quotidien.
Notre science est détournée par la politique, nos découvertes sont falsifiées par ses prophètes ; la politique a besoin de l’histoire pour s’accomplir, mais d’une histoire toute faites. Or, 20 à 40% des archéologues disparaissent du territoire – chose que semble promettre l’application de cet amendement –, c’est réduire l’archéologie préventive au simple curage d’espaces constructibles, c’est permettre des découvertes archéologiques sans plus laisser de créneaux pour la recherche ; du pain bénit pour nos démagogue professionnels. Personnellement, je refuse de produire des munitions pour les polémistes de plateaux télé et les politiciens fous d’ambition, et je pense que l’ensemble des archéologues du territoire me rejoignent sur ce point.
Nous sommes des scientifiques. Notre fonction consiste à chercher des fragments de vérité susceptibles de participer à la reconstitution de cette fresque morcelée et changeante qu’est notre histoire. Nous sommes des créatures du passé, des « non contemporains » comme l’écrivit Ernst Bloch. Et parce que la préservation de notre passé est fragmentaire, la compréhension de notre histoire est condamnée à rester imparfaite. Mais cela ne nous autorise pas, comme certains personnages d’extrême droite, à la considérer comme toute faite, et à la vouloir immuable. La France n’est pas catholique ; la France n’est pas l’Afrique. Ce pays n’est qu’une vaste question. Et c’est notre fonction de participer à sa résolution. Quand le politique s’empare de notre histoire, c’est pour en faire un roman national. Une supercherie. Nous autres archéologues n’avons pas à cœur de produire le schéma historique envisagé par le politique, nous l’affirmons, parfois haut et fort, et nous constatons désormais, par cet amendement, que ce dernier ne veut plus de nous. « Il ne s’agit que d’une petite réforme ! » cherchez-vous sans doute à me rétorquer, pensant qu’il ne s’agit là que d’une mesure temporaire visant à sortir du déficit dans lequel nos gouvernements nous ont plongés. Mais l’Histoire est dense et pleine d’exemples analogues : nous étions gênants, nous devenons superflus ; et de superflu à trouble-faits, j’imagine qu’il n’y a qu’un mandat… Nous vivons dans un pays où nos représentants gouvernent encore par l’influence davantage que par la force (pour combien de temps ?). Mais pour y parvenir, l’Etat se doit de pouvoir manipuler les repères auxquels se rattache naturellement l’opinion publique (l’histoire, la culture, la géographie, la religion…) afin d’obtenir une pleine liberté dans le processus de création de son discours (les flux migratoires, l’écologie, la guerre, l’égalité des sexes et de genre…). En amputant l’archéologie de l’essentiel de ses moyens, cet amendement tend précisément à nous faire taire, nous qui, par nos recherches et nos découvertes inédites, contribuons, à notre manière, à alimenter ce contre-pouvoir que fait vivre toute la communauté scientifique et critique. Ne laissons pas ceux qui monopolisent déjà la parole – et qui de facto sont dangereux – décider de ce qu’est notre culture et de ce qui compose notre histoire.
Cette réforme est une menace. Elle ne sauvera pas notre économie, mais impactera terriblement toute notre archéologie. En conséquence, les archéologues de la France entière se mobilisent le 12 juin prochain, lors d’une grève générale dans les rues de la capitale. S’unir contre le vote de cet amendement (motion de censure), c’est garder le contrôle de notre identité, de notre passé. George Orwell n’écrivit il pas : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir ; qui contrôle le présent contrôle le passé » ? Alors agissons. Sur les réseaux sociaux, dans les journaux comme dans les rues, montrons à ceux qui contrôlent le présent que nous sommes encore maîtres de notre histoire.
Et si vous ne le faites pas pour l’archéologie, faites le pour le reste. Je crois qu’il est urgent d’agir ; en tant qu’enthousiaste des phénomènes météorologiques je puis vous le dire, des courants extrêmes se profilent à l’Horizon…