Depuis Accra, capitale du Ghana, Valls écrit au journal Le Monde : « L’Afrique n’est pas en train de se relever : elle est debout, fermement installée dans l’Histoire ». Cette réponse à l'inoubliable "discours de Dakar" de Nicolas Sarkozy, restera-t-elle dans les mémoires comme la "Lettre d'Accra" de Manuel Valls? Pas sûr. Si s' opposer à un ex-président donne une stature de présidentiable, cela pourrait du moins l' y aider.
Le « Kim Jung-un d'Afrique »
Du côté de Lomé, au Togo, il était très attendu sur la question démocratique. Un parisien de la diaspora togolaise m'a confié un jour le surnom donné à Faure Gnassingbé, président du Togo depuis 11 ans : " le Kim Jung-un d' Afrique", du nom du dictateur de Corée du Nord. Gnassingbé est en effet réputé pour se débarrasser de ses opposants comme de son entourage le plus proche, dés qu'ils commencent à lui faire de l'ombre, faisant régner une terreur sourde au sein de la population. Sans surprise, c'est donc de Paris que l'historien Godwin Tete a rédigé une lettre ouverte (au nom d'un groupe de la diaspora) à l' attention de Manuel Valls, en voici la conclusion : « Nous vous saurions gré de prendre langue avec les représentants de l'opposition togolaise et de la société civile qui sont les vraies caisses de résonance de l'impasse que traverse le pays ». Valls a bien arpenté le port de Lomé géré par Vincent Bolloré, mais nulle trace de poignée de main aux opposants. Il est vrai qu' un de leur leaders, Alberto Olympio, vient d'être condamné à 5 ans de prison suite à un "litige commercial".
S'adressant aux togolais, « votre pays change, il avance, il progresse, nous voulons l’accompagner. Il faut plus de présence française, plus d’échanges, plus de coopération », Valls a évacué les sujets fâcheux, comme « les scandales financiers ignominieux qui pèsent sur le climat des affaires au Togo » évoqués par le journal en ligne iciLome. Par ces manquements diplomatiquement corrects, le représentant de la France est inaudible au point d'exaspérer des lecteurs de iciLomé : « La France doit savoir que l' homme noir n' est pas dupe. La France a toujours et est en train de vaporiser la richesse de l'Afrique avec des musiques dont les disques sont datés, expirés, rayés ».
En Côte d'Ivoire, tout va bien... pour Monsieur Valls
De passage à Abidjan, Manuel Valls amortit le déplacement : son « ami » Alassane Ouattara (appelé ADO dans les médias) lui remet la distinction de "Grand Officier de l’Ordre National ivoirien". Hasard ou non, sa visite coïncide avec un referendum constitutionnel controversé, notamment à cause de fortes tensions au sein de la société ivoirienne. Tensions qui trouvent leurs sources dès 2002, où la rebellion menée par Guillaume Soro, après avoir échoué à prendre le pouvoir au président Laurent Gbagbo, parvient à garder le contrôle du Nord du pays, du fait l'intervention militaire française (opération Licorne, menée officiellement pour éviter un bain de sang). C'est donc dans un pays divisé que ADO accède à la présidence en 2011, suite à des élections contestées par les deux camps, et à l'intervention militaire réitérée de la France en sa faveur (plus de détails ici). Autant dire que la Françafrique post-coloniale reste vivace dans les têtes de nombreux ivoiriens et africains. Le procès de Laurent Gbagbo au TPI (Tribunal Pénal International) pour "crimes contre l'humanité" est vécu comme une injustice supplémentaire, car des massacres non jugés ont été commis par les alliés du camp Ouattara (à Duékoué notamment). Selon la journaliste Stéphanie Maupas, le TPI tend à devenir une arme diplomatique aux mains de certains États seulement.
Dans ce contexte serein, Valls a félicité ADO qui « fait tant pour la Côte d’Ivoire, pour sa réconciliation, pour la paix et le développement ». Un point de vue peu partagé par le Mouvement de Solidarité Démocratique qui a écrit depuis Paris (ville refuge des oppositions, visiblement) une lettre ouverte : « Cette crise se manifeste par une profonde division dans le pays, du fait de la cherté de la vie ; d’une corruption galopante ; des emprisonnements pour des opinions politiques […] Le projet de référendum divise encore plus les Ivoiriens. Nous demandons par conséquent à Monsieur Manuel Valls de renoncer à ce voyage qui, s’il est maintenu sera interprété comme un soutien à la dérive dictatoriale de Monsieur Ouattara ».
Manuel Valls affirme à RFI que la Françafrique « est derrière nous », et que « la démocratie s’installe progressivement ». Au Togo ou en Côte d'Ivoire, Manuel Valls escamote les réalités du terrain et fournit un soutien implicite à des dirigeants contestés par une part importante de leur population. Ce qui laisse penser que cette « démocratie qui s'installe », la France en freine ou en sabote le processus. Au nom des intérêts commerciaux ou stratégiques de la France, qui rapportent plus souvent aux multinationales françaises qu'aux français eux-mêmes. Qui trop souvent spolient les africains de leurs ressources, à l'exception de quelques élites bien placées.
Malgré cette stratégie de l'autruche, ou bien du poker menteur, il est possible que les pays africains gagnent leur autonomie. Ils pourront alors tourner le dos à une France qui aura joué jusqu'au bout un marché de dupes.
Manuel Valls a beau énoncer un certain nombre de vérités historiques dans sa lettre écrite à Accra, elles dissimulent mal les intentions profondes de la France officielle et entrepreneuriale. Dans son article intitulé Manuel Valls ou la France qui "assure" ses intérêts, le journal en ligne iciLomé conclut : L’Afrique étant « le continent de l’avenir », il faut savoir caresser chaque pays dans le sens du poil, pour s’emparer des pitances des pauvres populations africaines pour que se pérennise la « Puissance légendaire de la France ». Certains chefs d'Etat africains demeurent peut-être des «pantins», mais les peuples y voient clair, même si les réactions manquent encore.