La mouvance Al Mourabitoune a pris comme cible le pays des hommes intègres pour les raisons premières suivantes :
- Fenêtre de tir idéale sur un pays en cours de réorganisation politique
- Déstabilisation d’une nation en passe de réussir sa transition démocratique, socle et modèle “dangereux“ pour les pays limitrophes qui voudraient suivre l’exemple
- Présence de bases militaires françaises, soutien logistique à la guerre en cours au Sahel, ce qui lui donne une empreinte occidentale
- Présence probable de complicités intétieurs, comme le soupçonne le ministre de la communciation burkinabé
- Situation stratégique de par les frontières communes avec le Mali et le Niger
Pour évaluer le niveau d'imbrication de ces facteurs avec la situtation intérieure burkinabé, une rapide immersion dans sa coiciété s'avère nécessaire.
Dépourvu d’accès à la mer, situé entre le Sahel au Nord - refuge des djihadistes –, la Cote d’Ivoire, Ghana Togo et Bénin au Sud, le Burkina Faso est un carrefour de l’Afrique. Une armée de sociologues ne suffirait à décrire le brassage entre les religions, la soixantaine d’ethnies et leurs traditions ancestrales. Parler de 19% de catholiques ou 60% de musulmans est réducteur. La tradition animiste (15%), généralement compatible avec la polygamie, a facilité la conversion à l’islam, pour ne prendre qu’un exemple. L’appartenance religieuse y est aussi importante que le burkinabé y est indifférent, au quotidien.
Pour le comprendre, mieux vaut s’attabler au jardin de l’Amitié, place des Nations Unies, auprès de groupes burkinabés. Ils sont réunis entre peuls, mossi, touaregs, bissa, polythéistes sénoufos, catholiques, musulmans, peu importe. L'indo-européen n’y reconnaît pas les appartenances ethniques parfois visibles, même si les parents sont souvent d'ethnies différentes. Le curieux leur demande, puisqu’ils n’en parlent jamais. Et ils répondent volontiers musulmans compris entre deux gorgées de Brakina, la bière locale. À Ouagadougou, le dogme religieux et ses interdits ne transparaissent pas. L’éditorialiste Newton Ahmed Bari illustre la remarquable mixité confessionnelle : « Le cardinal de Ouagadougou Philippe Ouedraogo a son frère imam, sans que cela ne pose aucun problème ». La tolérance entre confessions religieuses est un rampart puissant contre le fondamentalisme religieux. Le pilier central de la laicité, ne suffit pas à éviter les dérives intégristes, comme le cas français le rappelle amèrement. Le concept de laicité est onscrit dans la constitution burkinabé, et un débat national sur le sujet s'est tenu en 2012. Beaucoup de signaux sont au vert de point de vue.
Il n’est donc pas surprenant de constater que les terroristes morts après les massacres ne soient pas burkinabés ; les deux véhicules retrouvés à proximité de l’hotel Splendid sont en outre immatriculés au Niger.
La situation est très différente de la France, où les attaques de janvier et du 13 novembre 2015 ont été perpétrées par des français. Non pas que les musulmans de France soient intégristes, une immense majorité ne le sont pas. Mais la fragmentation spatiale et sociale sous fond de chômage fournit le terreau nécessaire à l’embrigadement.
La population burkinabé affiche au contraire une large solidarité et une intense coopération au sein d’activités artisanales et commerciales, dans des espaces urbains et villageois bien plus harmonieux. Les raisons socio-historiques ne manquent pas, citons le président panafricaniste Thomas Sankara, assassiné en 1987, qui est devenu une véritable icône (mythique plus que politique, à l’aune des 2.8% du parti Sankariste aux dernières élections), et dont le portrait trône dans de nombreux intérieurs et lieux publics de Ouagadougou.
Le contexte politique est trompeur. Les 27 ans de dictature constitutionnelle n’ont pas anéanti l’opposition qui est restée vivace, ni les syndicats qui se sont révélés unis et efficaces, notamment lors du coup d’état avorté de septembre 2015. Ces événements ont conforté le peuple dans la dynamique de démocratisation qu’il a su imposer en faisant fuir le dictateur Blaise Compaoré, exfiltré par les troupes françaises en octobre 2014. Sans parler des élections de novembre dernier, qui ont démontré la maturité républicaine des burkinabés. Bref, tout le contraire du chaos souhaité par les djihadistes.
Pour autant, le journaliste Ahmed Bari rappelle la présence de « réseaux dormants » installés au Burkina Faso sous l’ère de Blaise Compaoré. Ce grand ami de la France fut adoubé en juin 2013 par l’ex ministre PS Elisabeth Guigou, lui exprimant « notre gratitude pour le rôle que vous jouez et pour la vision que vous avez du développement de votre pays et du continent africain… ». Des éloges moins motivés par le taux d’alphabétisation de 25% des burkinabés, que par le rôle de Compaoré dans sa médiation pour la libération d’otages occidentaux.
Une capacité de négociation qui s’explique par une action internationale sulfureuse, démarrée dans les années 90, selon l’article de Tirthankar Chanda publié par RFI en 2014. Qualifié de « pompier pyromane » par certains détracteurs, Blaise Compaoré aurait eu un rôle trouble dans les guerres civiles du Liberia et de Sierra Leone, dont le bilan cumulé est estimé à 1,1 millions de morts par l’ONU, mais aussi en Côte d’ivoire et au Mali. Usant de ses relations africaines officieuses, il a « su se rendre indispensable à ses partenaires » de Paris et Washington, selon un rapport de l’ONG l’International Crisis Group, en faisant libérer « des occidentaux détenus par les mouvements islamistes opérant dans l’espace sahélo-saharien ».
Dans les grands hôtels de Ouagadougou, « il n’était pas rare de croiser des djihadistes notoires », témoigne N. Ahmed Bari, ajoutant qu’aujourd’hui encore résident au Burkina des membres étrangers de la Mujao (Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest, dont Al- Mourabitoune est une émanation), accueillis par l’ex dictateur. Jean-Baptiste Placa, éditorialiste de RFI, résume : « Il faut démanteler les petits trafics. Les preneurs d’otages étaient à Ouaga, les libérateurs aussi. Beaucoup se sont enrichis dans ce petit commerce. »
Les autorités burkinabés n’ont pas eu le temps de faire le ménage, trop occupées à assainir la situation intérieure héritée du dictateur. La réorganisation de l’armée et des services de renseignement ne se fait pas en un jour. C’est d’ailleurs une des raisons évoquées expliquant l’opportunisme des terroristes : profiter de la situation de fragilité transitoire au Burkina, un mois après les élections démocratiques, trois mois après la dissolution du régiment de 1300 soldats à l’origine du coup d’état raté de septembre.
Pour l'essentiel, la menace terroriste est extérieure à la volonté et à la dynamique démocratique du peuple burkinabé, vigilant vis à vis de son gouvernement pour qu’il se mette en phase avec ses aspirations. Pas d’angélisme : quelque soit la volonté politique des dirigeants, le Burkina Faso ne peut s’affranchir dans l’immédiat de sa dépendance aux puissances occidentales entretenues de longue date. Le besoin de protéger ses frontières au nord risque d’accroitre sa dépendance militaro-financière et maintenir l’argument djihadiste d’un cheval de Troie occidental qu’il faut abattre.
Cependant, la menace intérieure ne parait pas la plus difficile à combattre. Comme les locaux l’affirment, « au Burkina tout le monde se connaît », les soutiens terroristes "dormants" venus d’ailleurs devraient être identifiables.
Le principal risque, finalement, serait un mimétisme du pouvoir en place avec la réaction française : réponse exclusivement guerrière synonyme de privation de libertés, possible prétexte pour ne pas engager le chantier contre la corruption et le clientélisme installés par Blaise Compaoré. Une hypothèse que l'on ne peut exclure, mais qui n'a rien d'inéluctable.
(*): Les citations de Newton Ahmed Bari et Jean-Baptiste Placa sont issues de l'émission spéciale RFI du 17 janvier Newton Ahmed Bari