L’arbre Roussel avait fini par masquer la forêt des ambiguïtés.
En effet, depuis quelques mois, il était à peu près acquis que le principe de laïcité, tel que défendu par la place du Colonel Fabien, s’était délesté d’un certain nombre de compromissions incompatibles avec la ligne politique très majoritairement approuvée à l’occasion du dernier congrès.
C’était sans compter sur l’attitude de certains élus communistes, lesquels nous obligent, comme Sisyphe, à poursuivre ce travail sans fin.
Commençons avec Stéphane Peu, député communiste de Saint-Denis, qui s’est rendu dans une mosquée de la ville pour célébrer la fin du ramadan avec des fidèles musulmans. Ce n’est pas une première pour l’élu dionysien qui assume de le faire chaque année, tout comme il revendique sa participation à la célébration publique de Hanouka et des pâques chrétiennes, au nom, je le cite « du respect et de la recherche d’unité d’un peuple que beaucoup veulent diviser. »
Puis ce fut au tour de Patrice Bessac, maire communiste de Montreuil, d’être filmé dans une mosquée — sans doute à son insu — après la prière de fin de ramadan, discourant sur les actions de la ville pour permettre l’extension de ladite mosquée et la construction d’un nouvel édifice, dans le bas Montreuil. La vidéo a été publiée par Damien Rieu, militant d’extrême droite, raciste notoire, qui s’est bien évidemment gargarisé de cette trouvaille, mettant en exergue les « Allah Akbar » prononcés par les fidèles musulmans entre chaque annonce faîte par Patrice Bessac.
Dans les deux cas, les réactions n’ont pas manqué. Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne, a interpellé Stéphane Peu sur le réseau social X, pour lui signifier son désaccord.
Patrice Bessac s’est lui fendu d’une réponse directe à Damien Rieu, dans laquelle il « assume tout », se réfugiant derrière « la loi de laïcité (qui) est une loi de liberté religieuse, politique, philosophique. »

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Par honnêteté intellectuelle, je ne rentrerai pas dans un débat de philosophie politique consistant à déterminer si la religion est source de progrès social pour les peuples et singulièrement pour les classes travailleuses. La réponse me semble tellement évidente et si solidement étayée sur le plan historique qu’elle se passe de commentaires. Chacun devrait se demander pourquoi nos augustes prédécesseurs se sont très majoritairement placés du côté des anticléricaux.
Tenons-nous-en aux règles en vigueur.
Ainsi, la loi de 1905 ne serait donc qu’une loi de liberté religieuse.
Pauvre de nous. Nous n’avions rien compris à l’œuvre de Jaurès, Briand et Buisson.
Nous pensions que la loi de 1905 était une loi de séparation des Églises et de l’État, actant définitivement la division du spirituel et du temporel, préalablement initiée par les révolutionnaires de 1789.
Nous pensions que la loi de 1905 impliquait la neutralité de l’État en matière religieuse, concept qui sera décliné par Anicet le Pors, ministre communiste de la fonction publique, dans sa loi instituant le statut de fonctionnaire, aujourd’hui ciblé par le gouvernement.
Nous pensions que la loi de 1905 garantissait la liberté de culte, c’est vrai, mais aussi et surtout, la liberté de conscience.
Nous pensions que la loi de 1905 consacrait l’égalité des droits et la citoyenneté.
Au terme du premier article de la constitution de 1946, nous pensions que la République était laïque, grâce à l’intervention décisive du député communiste Étienne Fajon.
Nous serions-nous trompés ? La réponse est non.
En vérité, Stéphane Peu et Patrice Bessac se sont servis de la laïcité pour maquiller leurs desseins clientélistes. C’est pourquoi ils sont allés dans ces lieux de culte en leur qualité d’élu, espérant tirer les bénéfices politiques de cette attitude communautariste, par essence contraire aux principes républicains.
En ce sens, je reproduis ici le texte du sénateur communiste Pierre Ouzoulias que je partage en tous points :

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Je rappelle également qu’au moment de la loi « séparatisme », Alexis Corbière avait déposé d’excellents amendements proscrivant la présence d’élus, ès qualités, durant des cérémonies religieuses. Hélas, ces propositions ont été rejetées, faute de soutien, entre autres, des députés communistes.
Je m’en remets aussi au très bon texte écrit par Léna Raud, secrétaire nationale de l’UEC, que je reçois comme une note d’espoir. Les jeunes communistes ont manifestement mieux compris que leurs ainés à quel point la laïcité pouvait être protectrice et émancipatrice : https://lavantgarde.fr//la-laicite-nest-pas-une-contrainte
L’affaire est grave, car elle nous nourrit l’extrême droite et son récit, selon lequel la gauche aurait abandonné la laïcité — même dans une version minimaliste — au profit d’un modèle anglo-saxon. Pire, elle accrédite l’idée que les vrais laïques se trouvent désormais chez Mme Le Pen, alors que l’extrême droite française s’est historiquement construite contre laïcité et ses promoteurs.
Nous aurons toutes les difficultés du monde à critiquer la droite et l’extrême droite qui tapent injustement sur nos compatriotes de confession musulmane, installent des crèches dans leurs mairies et proposent de constitutionnaliser les racines chrétiennes de la France, si nous ne comportons pas en laïques intransigeants. Nous aurons beau jeu de critiquer la présence de Macron à la messe du pape et l’allumage des bougies à l’Élysée si nous tordons nous-mêmes le cou à la séparation des Églises et de l’État.
C’est une nécessité politique et une protection que nous devons à nos concitoyens de confession musulmane, jetés en pâture à l’extrême droite, alors qui n’ont rien demandé à personne, si ce n’est fêter dignement la fin de leur ramadan. Se comporter ainsi revient à la mettre inutilement en porte à faux, dans un moment où la société française demeure profondément crispée.
Au fond, j’en viens à me demander ce que ces élus auraient à dire aux communards, eux qui avaient décrété une séparation stricte des Églises et de l’État en avril 1871, considérant que la liberté de conscience est la première des libertés, suivant une philosophie absolument contraire à celle prônée par Patrice Bessac :

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Où se seraient-ils placés dans l’hemicycle pour les débats entourant la loi de 1905 ? Auprès de Jean Jaurès ? Auprès de Maurice Allard ? De l’autre côté, auprès de l’abbé Gayraud et ceux qui refusaient mordicus la séparation des Églises et de l’État ?
La question est ouverte. Le PCF doit désormais y répondre, sans se cacher.