Enfin, nous y voilà.
J’avais fini par croire que nous n’y parviendrons jamais, sans doute parce que j’avais diagnostiqué, à tort, un puissant syndrome de Stockholm chez Olivier Faure, Jérôme Guedj (que j'estime beaucoup) et d’autres caciques du Parti socialiste (PS). Pris d’affection pour un ravisseur qui leur a permis de se repositionner à gauche après le désastreux quinquennat Hollande, ils acceptaient jusqu’alors les provocations toujours plus nombreuses d’un homme dont le seul souci est de cliver en permanence, afin que ceux qui l’entourent se soumettent ou se démettent, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. Dans mon billet précédent, j’avais exposé en détail les motifs de cette stratégie qui devaient inévitablement nous conduire à la fin de la NUPES. Je dois néanmoins avouer que je ne pensais pas que les faits me donneraient si rapidement raison.
Car cette fois-ci, il en fut trop pour les partenaires de la France insoumise (FI) excédés par une nouvelle provocation indigne de la crise géopolitique extrêmement grave dans laquelle le Moyen-Orient est englué. En refusant de qualifier le Hamas comme un groupe terroriste, Jean-Luc Mélenchon et son état-major ont coulé dans l’océan de l’indécence, au milieu de ceux pour qui la barbarie est excusable si jamais celle-ci justifie une hypothétique pureté idéologique et la validation d’une stratégie politique. Pis, en se réfugiant derrière de fausses arguties juridiques, Jean-Luc Mélenchon et les siens ont rendu acceptables les outrances de l’extrême droite israélienne à propos de l’impossibilité de voir cohabiter côte à côte deux États, palestinien et israélien. Pendant longtemps, nous avions coutume de dire que Marine Le Pen était l’assurance vie d’Emmanuel Macron. Cette maxime est désormais obsolète. C’est Jean-Luc Mélenchon qui octroie des gages de respectabilité à Marine Le Pen à chaque fois qu’il se met à défendre l’indéfendable, en dépit des évidences. Voyez plutôt : alors que le PS, EELV et le PCF ont très clairement condamné les actes terroristes du Hamas tout en rappelant avec force la nécessité de revendiquer, conformément au droit international, la solution à deux États, ce qui suppose de mettre fin à l’abjecte politique colonisatrice mise en œuvre par le gouvernement israélien, cette parole a été étouffée par l’incapacité de la FI à mal nommer les choses, c’est-à-dire, selon Albert Camus, ajouter au malheur de ce monde. Les conséquences politiques de ce nouveau fourvoiement ne sont pas minces. Ainsi, Marine Le Pen, héritière d’un parti fondé par un Waffen-SS a pu se faire applaudir par une très grande partie de l’hémicycle de l’Assemblée nationale et sans doute par beaucoup de Françaises et de Français, tandis que la gauche historiquement aux côtés des juifs depuis l’affaire Dreyfus, se trouve obligée de courber l’échine et de disserter devant la presse à propos des pudeurs sémantiques de la FI.
D’ailleurs, pourquoi la FI refuse t-elle d’employer une qualification reprise sans ambages par l’ensemble de ses partenaires ? Jean-Luc Mélenchon nous a donné la véritable explication par anticipation le jour où il a reçu Julia Cagé et Thomas Piketty dans le cadre d’une rencontre organisée par l’Institut de la Boétie. À la question de savoir s’il fallait reconquérir la France des bourgs, Jean-Luc Mélenchon a répondu par la négative, estimant que sa stratégie consistait à accentuer son influence dans les quartiers populaires dans lesquels il a obtenu 80 % des suffrages, pour une participation de seulement 30 %. Selon Jean-Luc Mélenchon, l’augmentation du taux de participation dans les quartiers populaires est donc la condition sine qua non de son accession au second tour de l’élection présidentielle. Pour ce faire, il convient d’épouser les causes réelles, supposées ou fantasmées d’un électorat des « banlieues » essentialisé pour satisfaire au besoin d’un homme obsédé par la poursuite de son destin. C’est pourquoi la FI n’a pas appelé au calme au moment des émeutes survenues après la mort de Nahel. C’est pourquoi Jean-Luc Mélenchon est allé faire des courbettes à la monarchie marocaine, s’essuyant les pieds sur le combat historique mené par le peuple sahraoui. C’est pourquoi enfin, la FI refuse d’être trop sévère dans la condamnation du Hamas, considérant que la banlieue est foncièrement pro-Palestine et donc, peut-être, en partie en accord avec les actes meurtriers commis par le Hamas. Cette posture est à la fois insultante pour le peuple palestinien qui mérite mieux que d’être représenté par les fanatiques du Hamas, tout comme elle l’est pour nos concitoyennes et nos concitoyens des quartiers populaires à qui la FI impute le droit de raisonner et de penser autrement que par le seul prisme d’une appartenance religieuse.
Ce naufrage de la FI n’est pas une fatalité. Nous ne sommes pas obligés d’être les violonistes sur ce Titanic électoral alors que des canots de sauvetage se trouvent à notre disposition.
Certains n’ont pas hésité à s’en emparer. Ce fut le cas de Jérôme Guedj, bien sûr, dont personne ne peut suspecter une quelconque mauvaise intention à l’égard de la NUPES. Je pense au PCF, qui, par la voix de Fabien Roussel, Elsa Faucillon, Sébastien Jumel et Ian Brossat, a su dresser des perspectives politiques en phase avec la gravité de la situation. Une fois encore, André Chassaigne a été magistral dans son intervention durant la séance de questions au gouvernement. Tout a été dit en deux minutes, avec la hauteur de vue gaullo-mitterrandienne qui a toujours été celle de la France s’agissant du dossier israélo-palestinien. Le propos du président du groupe communiste suggère également qu’en matière de diplomatie, Emmanuel Macron a fait beaucoup de mal à la voix de la France en épousant systématiquement la ligne développée par Washington au détriment de ce qui a fait notre singularité sur la scène internationale.
Comment ne pas évoquer ensuite François Ruffin qui a permis à toute la gauche de respirer à pleins poumons grâce l’excellent entretien qu’il a accordé au journal Le Monde. Il a été suivi avec courage par Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danièle Simonnet et Rodigro Arenas. Je m’en voudrais de ne pas mentionner les élues et élus EELV qui n’ont pas manqué à leurs devoirs en faisant œuvre de solidarité aux côtés du peuple israélien, tout comme un certain nombre de leaders d’opinion et de journalistes. Fabrice Arfi, pour ne citer que lui, a redonné de la complexité au débat sans jamais s’affranchir de la clarté indispensable à la description de ce massacre perpétré par le Hamas.
Cette NUPES, aux mains de la FI, devait fatalement mourir car Jean-Luc Mélenchon en a décidé ainsi. Dont acte. Contrairement au défaitisme ambiant qui gagne parfois nos différents partis, je suis persuadé que la victoire de la gauche reste possible. Tout est désormais question de méthode. À quoi bon remplacer tous les musiciens d’une troupe talentueuse alors qu’il suffirait d’en changer de chef d’orchestre pour permettre à chacun d’exprimer son potentiel, en harmonie avec les autres.
Oui, la NUPES est morte. La gauche peut désormais respirer.