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Billet de blog 21 septembre 2023

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Jean-Luc Mélenchon n’est plus un camarade

En comparant Fabien Roussel au collaborationniste Jacques Doriot, Sophia Chikirou et Jean-Luc Mélenchon espèrent cliver, une fois de plus, afin de faire exploser la NUPES, de sorte que le septuagénaire soit libre de soumettre sa candidature en 2027. En agissant ainsi, celui qui aurait dû ramener la gauche vers les sommets nous condamne irrémédiablement au suicide.

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Ma vie avec Jean-Luc Mélenchon est celle d’une romance contrariée. J’ai beaucoup aimé ce tribun du peuple aux qualités exceptionnelles et si singulières dans le champ politique français. C’est pourquoi, en 2012, j’ai voté pour lui avec enthousiasme. C’est pourquoi, en 2017, j’ai été actif au sein d’un groupe d’action, convaincu que la marche de l’histoire était enfin accessible, grâce à la campagne extraordinaire menée par cet homme qui semblait avoir tout compris de son époque.

Il faut dire que j’étais très en phase avec lui sur le plan intellectuel. Je me délectais de ses nombreuses références à la Révolution française et à la Commune de Paris. J’admirais la façon dont il avait revisité un matérialisme historique parfois un peu trop sec. Je me plongeais bien volontiers dans les nouvelles perspectives offertes par un écosocialisme qui rompait avec certaines lunes du productivisme. Bref, j’ai vu en lui un Jean Jaurès des temps modernes. Quelqu’un qui aurait le droit à une place particulière dans nos manuels d’histoire.

Puis, comme dans toutes les relations qui s’approfondissent, j’ai appris à connaître ses défauts. Jean-Luc Mélenchon est colérique, impatient, cyclothymique. Dont acte. Personne n’est parfait et j’ai longtemps considéré que bien entouré, il pouvait contourner les obstacles que des chiens de garde toujours plus nombreux allaient poser sur son chemin.

Mais il est un défaut qui est devenu ingérable au fil de temps, à mesure que Jean-Luc Mélenchon augmentait son audience : cet homme est persuadé d’avoir un destin, au même titre que François Mitterrand, son maître de toujours. Tellement persuadé qu’il est prêt à sacrifier l’intérêt général pour se donner raison de penser ainsi, tout comme il n’a jamais hésité à balancer par-dessus bord celles et ceux qui lui font barrage. Parlez-en à Raquel Garrido et Alexis Corbière (pour ne citer qu’eux), compagnons de route de 30 ans, passés du jour au lendemain du statut de frères d’armes à celui de pestiférés, tout juste bons à devenir des notes de bas de page dans ses mémoires. Quel crime ont-ils bien pu commettre pour mériter une telle disgrâce ?  

Ils ont osé demander plus de démocratie au sein de la France insoumise (FI). Or cela, le « vieux » — c’est ainsi que Trotsky et Lambert étaient appelés par leurs militants, parmi lesquels figuraient Jean-Luc Mélenchon — ne peut pas l’accepter, car introduire de la démocratie reviendrait de facto à contester une légitimité déjà bien érodée après une troisième défaite à la présidentielle. Jean-Luc Mélenchon sait qu’il a commis une erreur en ne se représentant pas aux législatives. En dehors du réacteur, il ne peut pas contrôler à sa guise les mouvements des aspirants au pouvoir tels que François Ruffin et Clémentine Autain, lesquels ne veulent plus attendre leur tour pour y aller. Le raisonnement est le même pour les candidats figurant dans les autres partis de la NUPES. Pour atteindre son but, l’ancien sénateur socialiste doit rompre l’alliance sans se donner des airs de régicide. Il compte pour cela sur de jeunes élus de la FI, trop contents d’avoir remplacé leurs ainés pour jouer aux durs.

En ce sens, conformément à une méthode lambertiste éculée, il convient de façonner de nouveaux clivages, quitte à se renier (Europe, laïcité, police, rôle de l’État, pratique institutionnelle), afin d’être certains que les autres partenaires ne pourront pas suivre. Ainsi, depuis juin 2022, tout ceux qui s'opposent à la FI sont d’extrême droite. Tous ceux qui refusent de se montrer solidaires des sorties de piste de Jean-Luc Mélenchon sont des salauds. Tous ceux, au sein de la NUPES, qui arpentent d’autres chemins que ceux empruntés par la FI sont des traitres, à qui il est régulièrement rappelé qu’ils ont été sauvés in extremis en juin 2022 par la bonté d’un roi auquel il ne manque que la couronne. La volonté d’enjamber les élections sénatoriales et européennes s’inscrit dans cette stratégie. La démarche unitaire de la FI n’existe que parce que Jean-Luc Mélenchon et les siens savent pertinemment que chaque parti veut concourir avec sa propre étiquette aux européennes, sans que cela ne condamne en rien une candidature commune pour 2027. Il faut agir vite, proposer l’union et espérer qu’elle sera refusée, afin de pouvoir affirmer à la face du monde qu’ils ont tout tenté pour que la NUPES perdure, mais que la responsabilité de cet échec incombe au PCF, au PS et à EELV. Place nette sera alors faite à Jean-Luc Mélenchon, candidat pour une quatrième fois, à 76 ans.

Au fond, le sujet n’est pas tellement l’insulte - gravissime - reçue par Fabien Roussel (je reviendrai dans un prochain billet sur l’histoire tumultueuse entre le PCF et la FI), qui sert ici de fusible pour faire exploser la NUPES. Depuis 2018, l’état-major de la FI se trompe de diagnostic sur le PCF, sous-estimant de manière dramatique le niveau de ressentiment existant chez les communistes après deux campagnes durant lesquelles les militantes et les militants ont fait office de pots de fleurs. Au moment où chacun était en droit d’attendre des preuves d’amour, Jean-Luc Mélenchon a tracé sa route, misant à tort sur quelques minoritaires du parti qui lui ont certainement assuré que le PCF basculerait vers lui. La suite est maintenant bien connue. Fabien Roussel a été réélu avec 82 % des voix, tout en devenant une figure incontournable de la gauche.

Ce qui est recherché derrière l'outrance, c'est la fin de la NUPES. Cette stratégie nous condamne tous. Quelle que soit l’obédience des uns et des autres (pro-Roussel, pro-Ruffin, pro-Autain, pro-union de la gauche), chacun sait désormais qu’il n’y aura pas de soleil à l’horizon tant que Jean-Luc Mélenchon restera dans les parages. Il est un obstacle aux faibles chances de victoire qui sont les nôtres pour 2027. Nous devons rompre avec celui qui aurait pu être un formidable passeur, mais qui a choisi de se comporter comme un fossoyeur.

Je n’écris pas ses mots de gaieté de cœur. Jean-Luc Mélenchon a été un grand amour politique. Dans les bons jours, je me souviens des raisons qui m’ont fait l’aimer. Aujourd’hui, je sais pourquoi je l’ai quitté.  

Jean-Luc Mélenchon n’est plus un camarade.

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