La démarche que j’entreprends est d’une banalité confondante, au sens où elle est une contribution parmi des centaines d’autres depuis que « l’affaire Médine » a éclaté. Elle ne changera pas la face du monde et dit sans doute bien plus sur la part narcissique de son auteur que sur la réalité d’une opinion partagée.
Je crois néanmoins que refuser de prendre position dans le débat public contribue à affaiblir notre identité citoyenne, et ce pour le plus grand bonheur du projet néolibéral, qui entend faire de nous des atomes écervelés, consommateur de biens et de services. Mais avant de livrer mon avis, je me dois de faire œuvre réflexive et de vous dire qui je suis, où, comme il était coutume de le faire dans certaines assemblées générales, de dire d’où je parle.
Je suis membre du parti communiste. Mes doigts sont posés sur le fil historique qui débute en 1789, passe par 1793, 1848, la commune de Paris, la loi de 1905 et s’étend jusqu’au Front populaire. Je considère que la politique n’est au fond rien d’autre que l’intendance des lumières, ce courant de pensée extraordinaire qui a bouleversé notre vision anthropologique en impulsant l’émancipation de la personne humaine au cœur de notre projet politique.
Je suis par ailleurs trentenaire, amateur de rap depuis l’enfance et parfaitement au fait des procès qui sont sans cesse intentés à cette culture, laquelle, n’en déplaise aux gardiens de la pensée dominante, est devenue la plus populaire dans notre pays. De par mon parcours, je n’ignore rien de l’impact que certains textes ont pu avoir sur moi-même ou sur des proches. IAM, NTM, la Fonky Family, Kery James, Lunatic, Sniper, Sinik, Youssoupha, Orelsan, Alpha Wann pour ne citer qu’eux. Tous ces artistes ont fait de moi l’homme engagé que je suis. Et, suivant la leçon de Pierre Bourdieu, je refuse d’opérer une distinction entre mes goûts, persuadé que certains mots entendus dans des morceaux, au même titre que les plus belles pages des romans, des livres d’histoire et de philosophie que j’ai plaisir à dévorer, ont constitué des bouées de sauvetage quand la violence sociale à laquelle j’étais confronté devenait insupportable.
Passée cette présentation non exhaustive, j’aimerais partager ma réflexion à propos de la polémique entourant la participation de Médine aux universités d’été d’EELV et de la FI, ainsi qu’à la fête de l’Humanité.
Pour tout vous dire, je n’avais pas vu venir l’orage, tout simplement parce que l’actualité sociale et écologique me paraissait tellement brulante et incontournable que je ne voyais pas comment d’autres sujets auraient pu s’y immiscer. J’avais sous-estimé la médiocrité du système médiatique et la perfidie de certains acteurs du champ politique dont je fais pourtant partie. Sans doute ai-je été candide en considérant que la canicule, l’inflation, la crise de l’hôpital et la nouvelle saignée budgétaire annoncée par le gouvernement allaient constituer les points saillants de l’agenda politique de la rentrée.
Mais j’avais oublié à quel point la gauche est devenue faible. Car au fond, c’est bien de cela dont il s’agit. Certains peuvent arguer que cette polémique est montée de toute pièce par l’extrême droite et la macronie, la réalité est autrement plus triviale. Rendez-vous compte : depuis trois semaines, nous sommes collectivement incapables de dire qu’un homme qui a soutenu Dieudonné, fait des quenelles, fréquenté des crapules et tout récemment tenu des propos antisémites, n’est pas un homme recommandable et encore moins un phare qu’il faudrait suivre dans nos luttes politiques. Non, nous ne parvenons pas à le dire, pensant, à tort, que le faire contribuerait à nous rendre encore plus minoritaires que nous ne le sommes déjà. Certains camarades estiment le plus sincèrement du monde que de désapprouver les positions politiques de Médine reviendrait à cracher sur les habitants des quartiers populaires. C’est précisément le contraire. Pourquoi diable faudrait-il essentialiser des citoyennes et des citoyens sous prétexte de leurs origines ou de leurs lieux d’habitation ? N’est-ce pas là une réflexion profondément antirépublicaine, stigmatisante et paternaliste ?
Médine, en tant qu’artiste, doit être respecté, tout comme celles et ceux qui l’écoutent. J’attends de pied ferme ceux qui viendront contester son droit à l’expression tout en se réclamant de Charlie Hebdo sans y voir une once de contradiction.
En revanche, Médine, en tant que citoyen, doit être combattu sur le plan des idées, et ce même si celui-ci est grossièrement repeint en défenseur de la veuve et de l'orphelin, comme l'Humanité a tenté de le faire, dans un nouvel égarement qui pose question au communiste que je suis. Tergiverser sur ce point revient à se rapprocher d’un précipice dont on ne revient pas.
Depuis l’affaire Dreyfus, la gauche a choisi le camp de l’humanisme, de l’universalisme et de l’antiracisme. Elle était avec Léon Blum quand celui-ci a manqué de se faire tuer par les Camelots du roi au moment des obsèques de Jacques Bainville, l’historien de l’action française. Elle faisait partie de la bande à Manouchian et de tous ces étrangers tombés pour la France au nom de la haute idée qu’ils se faisaient d’elle. Elle pleure toujours les morts du métro de Charonne et celle de Malik Oussekine. Elle souscrit aux magnifiques mots de Frantz Fanon lorsque celui-ci affirmait « quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ».
Renoncer à défendre cet héritage, c’est nous faire quitter l’arbre sur lequel nous nous trouvons depuis des siècles au profit d’un terrain glissant, propice à des compromissions intellectuelles inacceptables. C’est nous conduire tout droit vers les abysses communautaristes, pour le plus grand plaisir de nos adversaires politiques qui se délectent d’assister à des scènes anthropophagiques. Nos concitoyens eux se désolent d'une polémique qui se trouve à mille lieues de leurs préoccupations quotidiennes et dont ils se moquent éperdument.
Marine Tondelier a beau jeu de nous expliquer qu’il y aurait d’un côté les antisémites convaincus, appartenant à l’extrême droite, et les antisémites idiots qu’il suffirait d’éduquer, dont ferait partie Médine, la démonstration m’est apparue aussi pertinente que celle des Inconnus lorsque ces derniers s’emploient à expliquer la différence entre un bon et un mauvais chasseur.
Il n’y a pas de degré de variation dans l’antisémitisme. Vous l’êtes ou ne vous ne l’êtes pas. Vous êtes racistes ou ne vous l’êtes pas. Vous êtes homophobes ou vous ne l’êtes pas. C’est ainsi que se démarquent les humanistes et ceux qui ne le sont pas.
Si la gauche veut redevenir ce qu’elle était, à savoir un puissant mouvement émancipateur et une barrière infranchissable contre toutes les discriminations, alors elle doit reprendre pied sur le chemin de sa glorieuse histoire intellectuelle. Cela passe par la réfutation du compagnonnage de Médine.