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Billet de blog 9 avril 2023

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Mère-grand : ou pourquoi j'ai décidé d'écrire sur les grands-mères de mes proches

Sans le savoir, j'ai entamé il y a quelques temps de prendre en mémoire le récit spontané d'amies sur leurs grands-mères. Puis, j'ai décidé d'en faire l'écriture. En quelques sortes, transcrire le roman familial pour décrire le vécu concret de femmes, venues d'horizons variés. Mais pour commencer j'ai cherché à comprendre pourquoi ce sujet s'imposait à moi.

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Il est difficile de dire à quel moment mon besoin d’écrire sur les grands-mères s'est cristallisé. Une chose est sûre, je n’ai jamais connu ma grand-mère paternelle. A sa mort, j’avais moins de deux ans. Mon père est mort alors que je venais tout juste de commencer à travailler. Ce que je sais de ma grand-mère tient dans les paroles de mes parents, car mon grand-père avait quasiment perdu l’usage de la parole et du français quand j’ai eu l’âge de discuter avec lui : une attaque cérébrale non-soignée, et non diagnostiquée, et pour cause, il vivait seul, veuf. De ma grand-mère, je possède un recueil de poèmes. Je ne peux pas dire qu’il m’a beaucoup touché, à l’exception d’un poème dont je parle plus loin. Pourtant c’était une intellectuelle, une poète reconnue, une "femme au foyer" bourgeoise qui a été acceptée dans les cercles officielles de la poésie, une grande catholique, sincère, admiratrice d’Emmanuel Mounier. Je n’ai jamais beaucoup parlé d’elle avec mon père. Mon père ne se confiait pas beaucoup et n'évoquait guère sa famille. Il avait pris la tangente. La tangente politique d’abord car mon père se construisit sur ce point en opposition avec son propre père et le 16ème arrondissement de son enfance. Or le politique c’était une vision du monde, c’était la femme qu’il avait choisie, c’était son travail – littéralement au service du peuple – et c’était l’éducation qu’il nous donnait. Il fut un très jeune militant, à 16 ans, pour Mendès-France, avant de partir plus à gauche, de devenir militant du PSU et de participer activement à 1968 avec sa bande de blouson blanc américain. Il détesta toujours Rocard et le Parti Socialiste - sachant mieux que quiconque ce qu’ils avaient semés. Ce n’était pas un être qui bradait ses convictions. Il était d’une très grande sensibilité, ouvert à tout – sauf peut être à la musique, et même sur ce point c’est faux car il aimait Cat Stevens, Brassens et bien d'autres et qu'il fut toujours content de ma volonté de jouer d’un instrument. Politiquement, il était trop sincère et trop énervé pour être classable, je dirai qu’il était libertaire mais avec une sensibilité communiste, tout en étant parfois nationaliste et peut être même avec des tendances un peu autoritaire. En tout cas c’était quelqu’un de complexe, d’un peu contradictoire, et d’une très grande générosité et sincérité. Le jour de sa crémation, mon frère – et peut-être moi également – avons lu un poème de ma grand-mère paternelle, qui disait parfaitement ce que nous pensions de mon père. Je ne me rappelle plus exactement et je dois m’éloigner un peu de ce sujet si je veux écrire, mais ma grand-mère écrivait que son père lui manquerait à tout jamais car on ne pouvait en trouver de meilleur. Ma mère avait une certaine admiration pour sa belle-mère et je crois qu’il y avait sans doute beaucoup d’elle dans mon père, dans sa culture, dans sa tendresse, dans son courage aussi peut-être. De ne pas en savoir plus sur ma grand-mère, de ne pouvoir le faire à travers sa famille – pour de trop multiples et dérangeantes raisons – de ne pas être prêt en un sens pour le faire, j’ai tout de même eu envie d’écrire sur les grands-mères.

J’ai connu ma grand-mère maternelle, et j'ai passé beaucoup de temps avec elle enfant, puis adolescent. Je l'ai vu mourir, elle qui me lisait des histoires jusqu’à ce que je m’endorme. C'est sans doute surtout pour elle que j'écris ces récits, car sa perte est une faille qu'on ne peut combler.

Je me suis aperçu que la famille c’est ce croisement de l’historique, de l’individuel, du social, du collectif et qu’il manque beaucoup de mots pour la décrire, pour décrire ses névroses, ses bienfaits, son importance, l’amour et la détestation qu’on lui porte. C’est un sujet trop essentiel pour le laisser à des catholicades réactionnaires et à des béates célébrations du sang et de la race, de tout ce fatras terrible et terrifiant qui nous empoisonne encore et qui peut nous saisir et nous tuer moralement comme physiquement. La famille, c’est aussi là que l’amour et le sens critique, le rationnel et le littéraire, doivent presser, appuyer, caresser et enfin peut être dire quelque chose de vrai et d’important. Rien de facile et il y a sans doute de la prétention, mais là est l’avantage, on veut en parler. Pour moi, la grande analyse ne peut y échapper. Tout le monde veut parler de ses grands-parents et les gens comme moi qui ne le peuvent pas ou peu, sont prêts à entendre. Je me suis aperçu que je pouvais faire parler les amis et les gens sur leur grand-mère et que je pouvais ensuite écrire ce que j’avais entendu. Peut être en déformant un peu parfois mais ce n’était pas mon but, tout au contraire. J’ai décidé de montrer ces textes aux petits-enfants qui m’ont fait confiance en me racontant l’histoire de leur grand-mère. Ils ont toujours été les premiers lecteurs. J’ai accepté des modifications. Il n’y a pas de volonté de faire une galerie d’anges ou de monstres. J’ai juste suivi mon instinct. Et maintenant, parlons de nos grands-mères.

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