Yuh-Line Niou, une progressiste pas comme les autres.
Après une vague de chaleur qui a paralysé une majorité du pays cet été, une vague « rouge » devrait secouer les États-Unis début novembre, comme le veut l’expérience politique passée. Joe Biden est président depuis bientôt deux ans, et l’arrivée des élections de mi-mandat, dites « midterm elections » sonnent l’heure du bilan. Après avoir largement battu Donald Trump, président sortant, en novembre 2020, et des premiers mois tumultueux dans la Maison Blanche, Joe Biden met en avant l’amélioration relative de la situation économique, l’audacieux plan climat adopté il y a quelques semaines prévoyant de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et le risque de voir une majorité républicaine saboter les enquêtes sur l’assaut du Capitole (le Congrès des États-Unis) le 6 janvier 2021. Alors, Démocrate ou pas Démocrate ? Les élections s’annoncent serrées.
La première candidature présidentielle de Bernie Sanders en 2016 a démontré que le Parti Démocrate n’était pas un bloc, mais un éventail. Il y a, comme le décrivent les Démocrates eux-mêmes, les Démocrates « libéraux » — plutôt centristes, aussi appelés « establishment Democrats » —, et les Démocrates « progressistes », mettant en avant des idées sociales et écologiques plus audacieuses.
Dans le dixième district de New York, c’est entre ces deux types de Démocrates que la primaire du Parti pour la Chambre des Représentants semble se dessiner. Le 23 août 2022, les habitants de ce district dit « deep-blue », c’est-à-dire très majoritairement Démocrate, auront le choix entre une quinzaine de candidats. Mais deux d’entre-eux se démarquent et se disputent la première place dans les sondages — et, bientôt, dans les urnes. L’inquiétude n’est donc pas de savoir qui entre un Démocrate et un Républicain représentera le district à la Chambre des Représentants, mais quel type de Démocrate s’incombera de cette tâche. D’un côté, le très riche et très conservateur héritier de la marque Levi Strauss & Co., Dan Goldman, pour l’instant en légère avance dans les sondages — à 22% dans un sondage Emerson College du 13 août. De l’autre, la jeune progressiste Yuh-Line Niou, membre de l’Assemblée de l’État de New York depuis 2017 et outsider de cette élection — donnée à 17% dans le même sondage, en deuxième position. La lutte est acharnée. Les méthodes sont différentes.
Yuh-Line Niou met l’accent sur son bilan de parlementaire locale et sur la complexe question de la représentation des minorités ethniques, LGBTQI+, et invalides en politique. Cette élection se jouerait donc entre le candidat de l’argent et la candidate des gens. Le 15 août, sur les marches d’un immeuble du quartier de Brooklyn, Yuh-Line Niou explique sa démarche politique : « Nous n’avons pas seulement besoin de plus de Démocrate. Nous avons besoin des bons Démocrates qui s’assureront de se battre pour nos droits. » Le président Biden, lui-même considéré comme centriste, polarise. Yuh-Line Niou met alors l’accent sur des problématiques concrètes des habitant-e-s de son district : l’augmentation du salaire minimum, la mise en place d’assurance maladie universelle, l’annulation des dettes étudiante et médicale, le droit sans restriction à l’avortement. Alors que la présidence de Joe Biden a pu s’avérer parfois décevant pour certains, l’objectif de Yuh-Line Niou n’est pas de s’inscrire dans la continuité du mandat entamé, mais dans l’après. Aller plus loin. « L’avortement est un soin médical essentiel » tweete-t-elle le 16 août. « C’est une brave », titrait au mois de juillet Rebecca C. Lewis dans la newsletter City and State New York à propos de la candidate. « Elle a été élue à l’Assemblée en tant qu’insurgée, et elle a su garder cette attitude. »
À l’heure du bilan, Yuh-Line Niou met en avant le sien, en tant que membre de l’Assemblée de l’État. Durant les premiers mois de la crise du COVID-19, la ville de New York a été un des épicentres de la pandémie. La candidate progressiste s’est alors retroussé les manches pour aider les citoyens de sa circonscription : distribution de masques, de tests, de colis alimentaires. La représentante de Lower East Side, Chinatown et Wall Street a été à l’initiative d’un réel travail de fourmi, dans un district où la population d’origine asiatique — près de 40% du total de la population du district — a été particulièrement sujette à la pandémie et au racisme que celle-ci a exacerbé. Les trois P : progressiste, proximité, populaire. Un trio gagnant?
L’élue Démocrate met enfin l’accent sur la question de la représentation — au sens humain du terme. Élue, Yuh-Line Niou serait en effet la première personne atteinte d’autisme à grimper les marches de Capitol Hill. La candidate confiait à Insider que les personnes atteintes d’autisme sont « invisibilisées et exclues » de la vie politique, elle-même surprise de constater que sa victoire constituerait en cela une première. Mais ce n’est pas tout. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Yuh-Line Niou deviendrait également la première personne d’origine asiatique à représenter ce district comprenant pourtant le quartier de Chinatown.
La primaire Démocrate du 23 août reste donc incertaine, tant les électeurs adorent faire mentir les sondages. Plus qu’un candidat, c’est un cap qui sera choisi mardi prochain pour les deux années à venir. Le 8 novembre prochain, les Démocrates gardent une fine chance de conserver leur courte majorité au Congrès. Quel type de Démocrate veulent les Américains pour les représenter jusqu’à la prochaine élection présidentielle? Depuis 2016, l’Amérique a bien vu deux types de Démocrates émerger. La ligne Biden consiste en un cap résolument centriste, libéral, pro-business mais progressiste sur les questions de société — alors que l’incertitude pèse sur l’avenir du droit à l’avortement dans le pays. Cette ligne, héritée de la présidence de Bill Clinton, et l’émergence des New Democrats en 1992, semble tenir bon malgré certains camouflets. En novembre 2021, face à un Démocrate « bidenien » c’est un Républicain conservateur qui a gagné l’élection de gouverneur en Virginie — un État que l’actuel président des États-Unis avait pourtant remporté l’année d’avant avec 10 points d’avance sur son prédécesseur. Une autre ligne, tracée par le sénateur du Vermont Bernie Sanders, a fait émerger une nouvelle classe de Démocrates, plus jeunes, plus courageux, plus progressistes — l’exemple le plus connu restant celui d’Alexandria Ocasio-Cortez, représentante du quatorzième district de l’État de New York — gagnante inattendue et inespérée de la primaire Démocrate de 2018 face à un adversaire pourtant élu dix fois de suite à la Chambre des Représentants. Alors, que faut-il pour plaire aux Américains? Les mesures portées par les Démocrates progressistes, dont fait partie Yuh-Line Niou, sont très populaires auprès des Américains, sans distinction partisane : assurance maladie universelle, gratuité de l’enseignement supérieur, légalisation du cannabis, salaire minimum à quinze dollars de l’heure, investissement massif dans les infrastructures, les énergies renouvelables, la santé et l’éducation, réduction du budget de la Défense, et bien d’autres mesures qui ont porté Bernie Sanders à la deuxième place des primaires Démocrates de 2016 et 2020. Dans une primaire dominée par l’argent et les lobbies politiques, Yuh-Line Niou arrivera-t-elle à tirer son épingle du jeu? Comme à chaque fois, les électeurs auront le mot de la fin.