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Billet de blog 1 décembre 2017

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20 ans socialiste

20 ans, bientôt la moitié de ma vie, j’ai été membre du Parti socialiste. 20 années qui s’achèvent aujourd’hui.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes en mai 1997, je suis à Paris depuis quelques mois et malgré la prépa, je milite avec les équipes du MJS  à l’occasion des législatives anticipées convoquées par le Président Jacques Chirac. Trop jeune alors, je n’ai pas pu voter pour Lionel Jospin en 1995 ; mais cette fois, citoyen électeur à la conscience politique éveillée par les grandes grèves contre le CIP, je veux participer au retour de la gauche au pouvoir. Entre colles et concours blancs advient donc le moment de mon entrée dans la famille socialiste, le temps d’en découvrir les membres, les codes, les saisons, et de militer une première fois dans le cadre d’une campagne.

Nous sommes le 1er mai 2002, sur la place de la République avec mon amie. Nous ne quitterons jamais cette place, d’ailleurs : trop de monde la remplit. Le Pen est au second tour d’une élection que l’on avait longtemps qualifiée d’imperdable pour la gauche. A la déflagration démocratique s’ajoute un sentiment de gâchis insupportable. Comme souvent, les socialistes ont tendance à rejeter la faute sur les autres, à savoir les électeurs et les autres candidats. Il est plus facile de mettre la défaite de Lionel Jospin sur le compte des divisions de la gauche – ce qui est vrai, que de chercher à en trouver les origines – ce qui aurait été salutaire. Chevènement, Taubira, voilà les ennemis d’alors …

Pourtant les ferments de la défaite existent depuis plusieurs mois.  Après le temps des réalisations sociales (35 heures, CMU…) qui s’inscrivent dans l’histoire des progrès sociaux conquis par la gauche, la fin du quinquennat est marquée par un nouveau tournant libéral.  L’arrivée de Laurent Fabius (de nouveau) est sans équivoque de ce point de vue. Les derniers budgets se caractérisent par des baisses d’impôts qui profitent aux plus aisés, une version soft de la politique de l’offre – déjà.

Le congrès socialiste qui suit la défaite est une occasion ratée de faire converger l’aile gauche traditionnelle et la jeune garde protestataire qui entend exercer un droit d’inventaire sur le quinquennat. Cependant, jamais je n’envisage de m’engager ailleurs. Le PS est encore, après 2002, le centre de gravité de la gauche, capable de rassembler ses différentes familles et de porter au pouvoir les idées progressistes.

Nous sommes le 1er décembre 2004, le « oui » l’emporte dans le référendum interne organisé par le Premier secrétaire François Hollande. Blairisme rampant, tacticisme à la petite semaine pour « tuer » Laurent Fabius qui s’était découvert un penchant soudain pour les idées de gauche, François Hollande dans ses basses œuvres gagne un référendum interne marqué par un climat délétère.

Déjà une partie des socialistes a fait de l’Europe une idéologie de remplacement, déjà l’idée de ressaisissement démocratique entre en collision avec ces positions qui conduisent à l’alliance au centre.

Pourtant l’année suivante est marquée par une nouvelle déflagration démocratique. Le « non » l’emporte finalement lors du référendum national et recueille les voix de 60 % des sympathisants socialistes. J’ai fait, avec conviction et acharnement, la campagne du « non socialiste » portée par Henri Emmanuelli. J’ai encore le souvenir de réunions partout en France. De m’être rendu à Fécamp, par exemple, par tropisme familial, pour présenter la position du « non socialiste » et de m’être retrouvé dans une maison de quartier pleine à craquer où chaque personne était venue avec un texte intégral du traité stabyloté. 

Le congrès qui suit est une nouvelle mascarade et François Hollande se maintient encore à la tête du PS. Avec habileté, il parvient à susciter les divisions à sa gauche pour écarter Laurent Fabius avant la présidentielle, et il creuse l’écart dans le vote grâce aux barons locaux des « fédés pourries » du Nord et du Sud de la France. Le débat n’a pas lieu, et le PS manque l’occasion historique de porter par la suite un programme de réorientation sociale de l’Europe, sauf pour des slogans hypocrites lors des quelques semaines de campagne.

Nous sommes le 14 novembre 2008, à Reims. La ville est un vaste chantier à ciel ouvert, à cause des travaux du tramway. Le PS l’est aussi. Après l’échec au référendum de 2005, l’échec à la présidentielle de 2007, voici venu le temps de la « clarification ». Réclamée à corps et à cris par les ailes droites du PS, elle tourne à la débâcle pour les tenants de la troisième voie. La clarification n’est pas celle que l’on pense, et le congrès se joue sur un double refus : refus d’une orientation « libérale » portée par Bertrand Delanoë, refus de l’alliance au centre défendue par Ségolène Royal qui a tendu la main à François Bayrou lors de la présidentielle un an auparavant. Alors que le Parti socialiste menaçait de devenir un parti démocrate à l’italienne, il renoue contre toute attente  avec l’histoire de la gauche française. Candidate malgré elle de ces refus, Martine Aubry incarne ce redressement du Parti socialiste. En renouant avec les débuts du quinquennat Jospin, elle parvient à imposer l’idée que la dérive sociale libérale, la « blairisation », n’est pas une fatalité pour les socialistes français, et qu’une autre perspective peut s’ouvrir pour la social-démocratie européenne. Las. Le feuilleton DSK, les atermoiements de Martine Aubry et les méfaits de la démocratie sondagière ouvrent un boulevard à François Hollande qui s’impose facilement à la primaire de 2011, malgré une ligne en rupture avec celle de son parti. Trois ans pour rien.

Nous sommes le 11 mars 2011, un séisme au large des côtes Nord-Est du Japon provoque un arrêt de la centrale de Fukushima et une série de dysfonctionnements des mécanismes de sécurité. Le tsunami qui suit quelques minutes plus tard achève de mettre à bas les systèmes de refroidissement, ce qui provoque la fusion des réacteurs 1 et 3. 26 ans après Tchernobyl, pour moi la prise de conscience est violente. Effet de ma récente paternité ? En tout cas, comme militant politique, voici probablement l’origine de ma conversion complète à l’urgence de la transition écologique. Certains au PS, notamment chez les jeunes socialistes, font ce chemin. Pour une majorité, malheureusement, un peu de greenwashing et de culpabilisation citoyenne sur nos modes de vie suffisent. Bien en deçà de la nécessité d’accomplir un changement de paradigme profond qui place l’impératif écologique dans toutes les actions publiques.

Nous sommes le 6 mai 2012, et je porte ma fille sur les épaules place de la Bastille. Elle agite dans ses mains une rose de papier que nous avons trouvée dans un recoin de l’appartement. Comme tous les gens sur la place, je suis soulagé par la victoire de François Hollande, par sa victoire et même un peu par sa campagne. J’ai cru au discours du Bourget – comme tant d’autres. Certes, sur le moment, j’ai bien conscience que nous sommes des milliers à être venus surtout crier « Au revoir Sarkozy ! » ; mais je me dis que Hollande, avec tous les leviers du pouvoir entre ses mains, ne laissera pas passer la chance historique que revêt pour la gauche ce 6 mai 2012. Pourtant, les renoncements se succèdent : TSCG, CICE, ANI, Pacte de responsabilité, autant de terrains laissés aux tenants du libéralisme. Je soutiens les frondeurs. Evidemment. Comment accepter de tourner le dos aux promesses de campagne en menant dès les premiers budgets une politique de l’offre aussi brutale qu’inutile ? Mais, comme beaucoup de militants socialistes, j’espère encore une réorientation : si François Hollande ne la fait pas par conviction, j’espère qu’il la fera au moins par calcul, pour préserver ses chances de réunir son camp et d’être réélu. Mais par conviction justement, cette réorientation ne viendra pas.

Nous sommes le 13 avril 2014. Le nouveau maire du XIe arrondissement, François Vauglin, me remet l’écharpe d’adjoint.  Je prends en charge le logement et l’habitat avec une grande fierté et un grand sens des responsabilités. Le bras en écharpe, également, après une mauvaise chute, un peu marqué par la campagne qui fut longue et enthousiasmante. Très vite, dans le cadre de ce mandat, j’ai l’impression de me retrouver dans l’opposition nationale alors que la gauche a gagné à Paris. Comment accepter de devoir exercer ma délégation avec une baisse des aides à la pierre quand une nette hausse avait été promise ? Comment accepter d’avoir à parrainer des lycéens sans papiers, alors que mon parti est au pouvoir et devrait avoir l’humanité de les régulariser ?

Nous sommes le 14 novembre 2015 et j’ai cessé de me préoccuper de politique nationale. Avec le maire et plusieurs  collègues de la mairie nous passons une dizaine de jours après les attentats à organiser l’accueil des victimes directes et indirectes. Hébétés, nous cherchons juste à trouver des solutions ponctuelles minute après minute. Je n’écoute pas alors le discours de François Hollande au congrès à Versailles. Ce n’est que quelques jours plus tard que je découvre la stupide ignominie de la proposition de déchéance de nationalité, à inscrire dans la constitution qui plus est.

Manuel Valls, qui saccage les valeurs de gauche à chaque prise de parole, a gagné. La trahison ne sera pas simplement libérale, elle sera aussi réactionnaire. Déjà « frondeur » convaincu mais espérant toujours, quoique de moins en moins, j’annonce alors clairement que François Hollande ne sera pas mon candidat pour 2017 ; déjà, je prends le large.

Les trahisons ont succédé aux renoncements. Et plus que d’abîmer son parti, son camp, c’est la vie démocratique que François Hollande met à mal : à quoi sert mon vote si c’est le camp d’en face qui finit par gouverner malgré sa défaite ? Quelque chose se casse définitivement en moi et chez nos électeurs. L’étiquette socialiste devient infamante, elle devient une injure à l’histoire de la gauche, une injure envers ceux que nous devons servir. La loi travail n’est que l’ultime confirmation de ce qui m’apparaît comme une évidence : ce Président a quitté la gauche, ce quinquennat a quitté la gauche, et ce parti qui continue avec servilité à le souvenir malgré l’accumulation de renoncements et de trahison ne s’en remettra pas.

Nous sommes le 15 juillet 2016 et je rentre précipitamment à Paris. L’attentat à Nice nous replonge dans l’horreur vécue quelques mois plus tôt. Il bouleverse également la vie et le calendrier politique. Benoît Hamon qui devait déclarer sa candidature à la primaire de la gauche réunit son équipe et nous organisons sa déclaration pour le mois d’août. A ce moment-là, ce pari nous apparaît un peu fou.

Nous sommes le 29 février 2017 et je suis coincé à Solférino pour les opérations de vérification du vote et surtout pour anticiper la suite. La victoire était attendue, mais l’attentisme du parti et le feuilleton du renoncement de François Hollande nous auront fait perdre un temps précieux. Ce ne sont malheureusement pas quelques nuits blanches qui suffiront pour poser les bases de l’organisation et pallier l’impréparation du PS.

Nous sommes le 23 avril 2017 et je reste plusieurs minutes seul dans un des couloirs d’accès à la salle principale du Palais de la Mutualité. Benoît Hamon vient de prononcer son dernier discours de la campagne. Nous sommes responsables de la défaite car rien n’était écrit, mais nous avons semé. La gauche c’est un peu l’agriculture sur brûlis. Tout est dévasté mais tout doit renaître.

Nous sommes le 1er juillet 2017 et je sais que je vais devoir choisir. Ma décision est en réalité quasiment prise déjà mais je veux reprendre le pouls de ce parti qui est le mien depuis plus de 20 ans, faire les dernières vérifications, constater par moi-même que le PS dérive et ne pourra plus jouer son rôle historique de pivot, de construction d’une majorité progressiste.

Nous sommes le 1er décembre 2017 et je quitte le parti socialiste car la voie choisie par le Parti socialiste me semble sans issue. Abstention sur la confiance au gouvernement, « lignes rouge » ridicules sur la loi travail, vote de la loi « sécurité intérieure », débauchages en séries… Le Parti ne peut plus être le centre de gravité de la gauche, l’instrument de conquête du pouvoir au service de ceux que nous aspirons à défendre. Dans le meilleur des cas, le PS est condamné à devenir une sorte de nouveau PRG, un parti d’appoint pour faire des listes aux prochaines échéances, pour « gauchir » un peu le quinquennat actuel.

Demain, au Mans, le mouvement du 1er juillet se réunit à nouveau, pour se transformer, se renommer, se fonder. Demain, un nouvel instrument politique naîtra avec pour ambition de mobiliser contre les régressions sociales de Macron et de bâtir la maison commune qui pourra proposer une alternative de gouvernement sincèrement ancrée à gauche.

Nous sommes le 1er décembre 2017. Tout commence demain.

Bastien Recher
Membre du Mouvement du 1er juillet
Adjoint au Maire du XIe arrondissement

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