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Billet de blog 5 décembre 2024

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Brèves réflexions sur la censure

Le Gouvernement va tomber : il tombe, il est tombé. On entend déjà quelques cris : qui est le coupable ? Qui a fait tomber Barnier ? C'est la gauche, irresponsable ! C’est Mélenchon, fou furieux ! En réalité, la seule surprise, c'est que tout le monde soit surpris. Ou feigne de l’être.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

4 décembre 2024.

Le Gouvernement va tomber : il tombe, il est tombé. Pour la première fois depuis 1962, un Gouvernement est renversé par une motion de censure de l’Assemblée nationale. Michel Barnier doit présenter sa démission.

On entend déjà, ici et là, quelques cris : qui est le coupable ? Qui a fait tomber Barnier ? C'est la gauche, irresponsable ! C’est Mélenchon, fou furieux !

En réalité, la seule surprise, c'est que tout le monde soit surpris. 

Pour comprendre la situation politique chaotique dans laquelle nous nous retrouvons, il faut remonter à sa genèse : le 9 juin. Au soir des élections européennes, qui ont vu le RN emporter une victoire historique (31% des voix), Macron dissout l’Assemblée. Il le décide seul, sans concertation, sans préavis, sans objectif affiché. Rendez-vous dans un mois, le 7 juillet, sans autre forme de procès.

À ce moment précis, quel est le scénario le plus probable ? Le RN vient de remporter une victoire écrasante. Tout laisse à penser que les résultats des élections législatives ne seront guère différents. Bardella se voit Premier ministre, le RN prépare des listes de noms pour son Gouvernement. Tous les sondages le confirment, ce qui a, de nos jours, valeur de vérité.

Les sondages ne servent à rien de sérieux, sinon à occuper les chaînes d'information en continu. Ils se trompent souvent, très souvent même, ce qui n’est pas grave : la vie d’un sondage est courte et a vocation à l’être, elle ne dure qu’une journée. Une fois qu’il est périmé, il meurt et n’intéresse plus personne.

Ce soir du 9 juin, je dois dire que je n’en menais pas large. Mais les quatre semaines qui ont suivi m’ont donné tort : j’ai senti, pour la première fois depuis longtemps, un élan, un enthousiasme collectif et partagé. Le 7 juillet, au soir du second tour, formidable surprise : le Nouveau front populaire, la coalition des partis de gauche (LFI, EELV, PCF, PS), est arrivée en tête des élections, devant le bloc présidentiel. Le RN n’est que troisième. 

L’Assemblée nationale est divisée en trois blocs équivalents : NFP (192 députés), Macron (166) et RN (125).

Jusqu’ici, rien de nouveau, me direz-vous. Mais il était nécessaire de rappeler cette chronologie, car elle est à l’origine de la censure.

Le 7 juillet, quelles sont les possibilités de Macron ? Les résultats des élections le contraignent, cela va de soi. Mais il dispose d’une grande marge de manœuvre pour choisir le ou la nouvelle Première ministre.

La première possibilité, la plus simple, serait de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête des élections, conformément à la tradition parlementaire républicaine. Nous sommes bien d’accord que cette personne, fut-ce Lucie Castets ou Jean-Luc Mélenchon, aurait eu peu de chances de tenir longtemps face à une telle Assemblée. Néanmoins, je reste persuadé que dans les situations de crise politique, le respect des procédures et des institutions doit primer. Dans un régime parlementaire, il revient à la coalition arrivée en tête de négocier avec les forces politiques représentées au Parlement.

C’est ce qui est arrivé en Espagne, en 2023. Le Roi, dont le rôle s’approche, dans ce cas précis, de celui de notre Président, a proposé à la droite, arrivée en tête des élections, de former un Gouvernement, ce qu’elle s’est révélée incapable de faire. Le Roi a pris acte de cet échec, et a proposé à la gauche, arrivée deuxième, de former un Gouvernement, ce qu’elle est parvenue à faire au prix de compromis avec ses alliés.

Quoiqu’il en soit, Macron décide de tout faire lui-même et d’écarter a priori l’expérience Castets, et en réalité la possibilité d’un Gouvernement de gauche. Pensez-vous, un tel Gouvernement aurait été censuré au bout de quelques mois !

Le bloc présidentiel n’ayant pas été sommé de négocier avec la gauche, la seule solution restante est donc de former un Gouvernement de droite qui soit accepté par le RN, au moins temporairement.

Qui donc serait assez fou pour se sacrifier ? Macron déniche Barnier, issu de la droite dite “républicaine” et d’un parti qui a obtenu 47 députés aux élections législatives et dont le président a rejoint le RN. Il compose un Gouvernement de droite dure, avec des figures appréciées par le RN (Retailleau, Lecornu), ce qui explique l’hostilité de la gauche.

Le pari est fait : le Gouvernement tiendra tant que le RN n’aura pas décidé de le faire tomber.

Il ne vous aura pas échappé que tout ce petit jeu a longuement occupé notre été, pour cause de Jeux olympiques, puis de mois d’août, puis de casting. Enfin, Barnier est nommé Premier ministre le 5 septembre, pour la rentrée, deux mois après les élections législatives.

Tout cela pose les bases de la censure qui devait arriver trois mois plus tard.

C’est à ce stade qu’il nous faut parler du budget. Le budget, c’est l’acte phare d’un Gouvernement : il fixe les recettes, c’est-à-dire les impôts, et les dépenses publiques pour une année. Il est présenté en octobre par le Gouvernement, puis débattu jusqu’en décembre à l’Assemblée nationale et au Sénat. Avant cela, il est élaboré pendant de longs mois par le Gouvernement et l’administration, à partir de février pour les premières prévisions, puis en juin pour les grands arbitrages, et les vacances d’été sont réservées à l’affinage.

La première étape pour Barnier, c'est le budget. Il n’a que quinze jours pour le préparer. Les mois d’octobre, puis de novembre passent, les débats sont longs et mouvementés, chaque bloc parvient à obtenir des victoires. Le RN semble satisfait et aucune menace directe n'est faite au Gouvernement. Le pari semble tenir.

À l'approche du vote final sur le budget, début décembre, le RN décide de mettre la pression sur Barnier pour obtenir des concessions. Barnier résiste, plie, puis cède et accorde, dans l'espoir de sauver son Gouvernement.

Le RN ne veut pas voter le budget : cela reviendrait à l’associer directement à la politique du Gouvernement, et donc de Macron. Barnier est contraint d’utiliser le 49.3, cet article de la Constitution qui permet de faire adopter un projet de loi sans vote de l’Assemblée. Ce même article 49.3 qui avait permis de faire passer la réforme des retraites en mars 2023.

Jusqu’à ce point, tout était prévu et rien ne semblait dévier de ce que l’on était en droit d’attendre.

Et là, le RN décide de censurer. Sans concertation, sans préavis, sans objectif affiché. Il ne prétend pas gouverner et on voit mal quelle situation serait plus favorable pour lui. Mais il censure ; c’est son droit.

Le Gouvernement tombe. Tout le monde est surpris : on a confié à Barnier une mission impossible, et il a échoué. Il ne tenait que par le soutien, même implicite, du RN. Au premier obstacle, le RN a cessé de le soutenir. C’est aussi simple que cela.

Le Gouvernement ne pouvait que tomber. C’était inéluctable, presque tragique. Tout le monde est surpris : quoi, ce Gouvernement sans majorité, sans légitimité, débarqué en septembre pour négocier un budget en quinze jours, ce Gouvernement-là, il tombe ? On ne peut qu’être surpris : ne pas l’être, ce serait admettre que l’on savait.

Alors, on accuse : c’est la faute de la gauche, cette éternelle irresponsable. Si vous voulez ; elle est habituée. Accordez-lui au moins le mérite d’avoir toujours été claire. Elle avait d’ailleurs déposé une motion de censure en octobre, que le RN n’avait pas votée.

Je crois que les premiers responsables, ce sont ceux qui sont aux responsabilités. Ce sont ceux qui gouvernent notre pays depuis maintenant sept ans. En 2022, ils ont été réélus de justesse, grâce aux voix de la gauche, que l’on a remerciée chaleureusement. L’amnésie est rapide. En 2024, ils ont été défaits à deux reprises, très largement, aux élections européennes d’abord, aux législatives ensuite. Mais ils n’en tirent aucune conséquence, n’acceptent aucune critique.

Alors oui, la seule surprise, c'est que tout le monde soit surpris. Ou feigne de l’être.

Bastien Vigier

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.