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Billet de blog 22 décembre 2009

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Salmon ou l'extraordinaire réécriture du Roi des Aulnes

L’offense est plus qu’un roman, c’est une fulgurance. En moins de 150 pages, concises, au style ciselé, mêlant ton de type témoignage et écriture au fond extrêmement personnel, Salmon raconte une série de moments importants de la vie de Kurt Crüwell, jeune allemand perdu dans la folie de l’Allemagne nazie à partir de 1939.

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L’offense est plus qu’un roman, c’est une fulgurance. En moins de 150 pages, concises, au style ciselé, mêlant ton de type témoignage et écriture au fond extrêmement personnel, Salmon raconte une série de moments importants de la vie de Kurt Crüwell, jeune allemand perdu dans la folie de l’Allemagne nazie à partir de 1939. Obligé de partir à la guerre, au nom d’un parti dont il ignore beaucoup, sinon que son recruteur ne lui laisse pas le choix, Kurt quitte une jeune femme qu’il ne reverra jamais. Son prénom dit tout à ce propos : elle s’appelle Rachel. Le jeune homme est de ces allemands perdus dans un pays en proie au chaos politique. Il découvre la guerre et surtout le massacre. Une tuerie perpétrée sur les ordres d’un officier, proche de Kurt, un homme dont le héros découvre soudain la profondeur barbare.

Ecrite comme cela, une recension peut laisser penser que ce court roman est un énième texte sur le nazisme. Il ne s’agit pas de cela en réalité. C’est bien plus. Salmon livre un texte à la portée difficile à appréhender en une lecture, le genre de livre qu’il faudra relire un jour, peut-être plusieurs fois. Non pas pour le comprendre, le style et les modes d’écriture de l’auteur sont d’une grande fluidité. Pour en mesurer la simple importance. Car Kurt n’est pas uniquement ce soldat confronté à une horreur confinant à la banalité, il est surtout celui qui sombre, à la suite du massacre, dans la Métamorphose, étrange maladie, sorte de métaphore du roman autant que de notre perception de l’époque, maladie le conduisant à s’extraire intégralement de la réalité, comme si son corps se suspendait de cette même réalité, à la manière de l’épochè husserlienne. Et c’est bien de cela dont il s’agit, Salmon revendiquant sa formation de philosophe.

Outre la force de la pensée passant à travers sa remise en question par la fiction, l’écrivain conduit son lecteur vers une fin extraordinaire : réfugié en Angleterre, compagnon d’une infirmière, Kurt est de nouveau confronté, de manière improbable, à la même banalité, du même mal, sur fond de projection d’images, comme si son corps suspendu du réel se retrouvait dans un monde virtualisé. Et ces images ne conduisent pas aux pleurs, juste à une larme, une simple larme qui est celle de la mort, de l’eau du corps qui dit enfin ce qu’est la vie du témoin coupable, par sa présence, du massacre, une vie en attente, une vie en instance. La vie se termine ici comme elle s’achève dans le Roi des Aulnes mis en musique par Schubert. Car L’offense est surtout cela, un lieder. Un très grand livre, à l’avenir de livre culte, étrange et fantastique par certains aspects, de ces livres qui s’imposent en leur lecteur.

Ricardo Menendez Salmon, L’offense, Actes Sud, 2009, 138 pages

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