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Billet de blog 10 mars 2025

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En attendant Trump

En attendant Trump Ecrit le 12 janvier 2017 par Dmitry Glukhovsky Extraits de « Journal sous dictature » publié par Robert Laffont

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En attendant Trump

Ecrit le 12 janvier 2017 par Dmitry Glukhovsky

Extraits de « Journal sous dictature » publié par Robert Laffont

Illustration 1

En attendant Trump

Ils t’attendaient, ô Trump. Ils te soutenaient. Ils allumaient de petits cierges à ta victoire et misaient tous leurs jetons dessus.

Jour et nuit, ils te portaient aux nues sur toutes les chaînes de télévision, les radios et l’Internet étatiques, comme si tu étais leur candidat. Comme si c’étaient leurs élections, comme si nous avions le droit d’y voter.

Avec la sueur et l’empressement des gouverneurs généraux du Caucase quand ils cherchent à obtenir ses 99 % d’amour à Poutine.

Ils se sont battus pour toi, Trump, en oubliant toute fierté nationale, sans comprendre qu’en incitant le peuple russe à se rapprocher de toi par les méthodes dont ils sont coutumiers, ils faisaient de la Russie un État américain, dont le sort dépendrait de politiciens évoluant dans un lointain centre fédéral.

Et toi, tu es ce que, depuis le jardin d’enfants, on nous a appris à détester en Amérique. Tu es un oligarque arrogant, Trump, tu es un menteur, tu roules sur l’or et tu ne respectes que le fric, tu es un impérialiste, et pourtant ils nous ont appris à t’adorer en dépit de toutes ces tares.

Quand tu as gagné, ils t’ont applaudi debout en imaginant s’applaudir eux-mêmes. Ta victoire était la leur, Trump.

Mais pourquoi ? Pourquoi sont-ils aussi contents de ton élection ?

Parce que tu leur as fait la promesse qu’ils attendaient depuis si longtemps.

Ils ne veulent qu’une seule chose de toi : le respect de la Russie.

La phrase paraît innocente et l’exigence réalisable. Si on n’approfondit pas trop ce que signifient les mots « respect » et « Russie ».

La « Russie », c’est eux : le groupe d’individus au pouvoir en ce moment dans notre pays. Un groupe assez compact, lié par un passé commun et de nombreux intérêts d’affaires. Dans leur grande majorité, ce sont des anciens des services secrets, souffrant d’aberrations psychologiques professionnelles. Qui se retrouvent par hasard au sommet de l’État et qui, en dépit de ce côté aléatoire, se sont convaincus du caractère sacré de leur pouvoir. Choisis et non élus, et par conséquent percevant le peuple comme un générateur de chaos et une menace. Oubliant à toute force qu’eux-mêmes sont issus de ce peuple, si bien qu’ils ne comprennent ni ne sentent plus le peuple.

Ils nous l’ont dit eux-mêmes : « la Russie, c’est Poutine », en incluant bien sûr leur propre personne dans Poutine. Oui, en une quinzaine d’années, les services secrets occidentaux ont pigé who is ce Poutine collectif.

Ils ont saisi toute la subtilité avec laquelle on recourt, dans la Russie d’aujourd’hui, aux méthodes de management issues du monde criminel, introduites par le camarade Staline. Ils ont démêlé ces liens adroitement tissés entre les grandes entreprises, le crime organisé et les services secrets, qui constituent la véritable politique dans notre pays. Ils ont ôté leurs masques. Ils ont montré leurs vraies tronches.

Et, désormais, tu vas devoir aimer toutes ces gueules, Trump, parce que les masques ne leur vont plus. Ils te tendent la main, peu importe de quelle substance elle est enduite, Trump. Rappelle-toi que « respect » est la notion-clé dans le monde des « règles » criminelles. Respecte et serre-la, cette main.

D’autant que « respect » signifie aussi « non-ingérence ». Ne reproduis pas l’erreur d’Obama, Trump, ne viens pas avec ta charte américaine dans notre monastère orthodoxe. Notre voie est particulière. Depuis la nuit des temps, la Russie fonctionne en écervelant son peuple et en le décimant, en étouffant la liberté de pensée, en veillant à ce que tout le monde se tienne par la barbichette, en s’appuyant sur la peur et l’extase, l’amnésie et la réécriture historique, sur le mensonge de l’idéologie et de la religion, sur un affrontement sans fin contre des adversaires potentiels.

Non, il ne s’agit pas d’un retard civilisationnel. Il ne faut pas nous désapprendre nos sacrifices rituels, et notre système féodal est unique, beau et éternel. Respecte la culture d’autrui, Trump.

Autre chose encore : il nous faudra imposer le même ordre souverain aux territoires voisins.

Sois-en bien persuadé : aucune forme de gouvernement ne leur convient mieux que celle, criminelle, qu’a proposée le camarade Staline pour assurer l’ordre à la population des camps. Nous sommes proches historiquement : ce qui nous convient conviendra aussi à nos voisins. Voilà pourquoi ils t’attendaient tant, Trump. Tout ce qu’ils veulent de l’Amérique, c’est qu’elle leur fiche la paix. Qu’elle cesse de leur donner des conseils.

Leurs frasques avec vos élections n’en sont qu’un exemple instructif. Eux non plus n’aiment pas que vous fourriez votre nez dans ce qui ne vous regarde pas. C’est pourquoi ils ont été heureux quand tu leur as promis que tu t’en battrais les steaks, de la Russie. Et nous étions heureux parce qu’ils nous ont dit de l’être, à la télévision.

Nous n’aimons pas qu’on nous apprenne la vie, Trump. Peu importe qu’elle ne soit pas comme chez vous, peu importe qu’elle soit brève et compliquée, c’est justement ce qui fait notre fierté. Nous ne voulons pas vivre, nous aimons bien survivre.

Ils t’attendaient, Trump. Nous t’attendions tous. Ne t’avise pas de nous décevoir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.