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Billet de blog 31 janvier 2011

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Les dessous d'une nouvelle forme de bonus des traders...

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La banque anglaise Barclays étudie le paiement de la rémunération variable de ces dirigeants et certains de ces cadres en utilisant des obligations dite « COCO ». Ces obligations correspondent à des dettes émises par la banque pour une durée donnée. Ils offrent un rendement élevé, par rapport à des dettes classiques, puisque les titres de dettes se transforment en titres actions (les créanciers deviennent alors actionnaires) si un certain nombre d’indicateurs montrent la dégradation de la solvabilité de la banque émettrice.Ces émissions obligataires ont été inventées suite à la crise financière et à la réforme réglementaire qui oblige dorénavant les banques à renforcer leurs fonds propres ou à disposer d’outils pour renforcer les fonds propres lorsque la banque se trouve dans un contexte fragilisant.D’autres banques ont des réflexions similaires que Barclays et discutent avec leurs régulateurs pour étudier cette forme de rémunération. La majorité justifie l’attribution de bonus sous cette forme par l’alignement des intérêts des managers sur ceux des régulateurs et des clients puisqu’une fragilisation de la banque se traduirait par une perte de revenu pour les salariés, lorsqu’une banque solide offrirait à ses équipes dirigeantes une rentabilité plus forte. L’objectif est bien sur de réduire la prise de risque par les salariés.Cependant ; la discussion en cours appelle à plusieurs commentaires et interrogations sur : 1° la place de la rémunération variable dans le travail, 2° la répartition de la part différée dans le paiement du bonus de la part payée immédiatement, et 3° l’asymétrie d’information et de rémunération / service rendu entre les dirigeants, les clients, les créanciers et les actionnaires.Nous remarquons depuis une vingtaine année, la généralisation de la rémunération variable. Cette généralisation passe par la mise en place de la rétribution à l’objectif. Les penseurs libéraux justifient ce mode de rémunération du travail par la recherche de la rentabilité et par l’alignement de l’intérêt du salarié (rémunération) sur la rentabilité de l’entreprise. Cependant, nous constatons que lorsque les rémunérations variables étaient un complément de salaire, sous forme de primes, celles-ci est devenue aujourd’hui une part importante du dispositif de gestion de la rémunération. Nous constatons par exemple, que les salaires « dits fixes » ou contractuels stagnent lorsque la part des salaires variables devient de plus en plus importante dans tous les secteurs économiques.Ce nouveau mode de rétribution des salariés crée des effets pervers puisque les rémunérations deviennent précaires et transforment les salariés en créanciers, ou en actionnaires. Nous assistons par exemple à des aberrations comme la disparition de la loyauté vis-à-vis d’un employeur. Il suffit que la part variable (qui inclut bonus, stock-options, actions gratuites, intéressement etc.) devienne moins élevée que chez un concurrent pour voir les « talents » prendre la tangente et proposer leurs services aux plus offrants. Ce mode de rémunération fragilise la stratégie des ressources humaines à long termes. Il crée aussi par la même occasion un appauvrissement du savoir faire des entreprises puisque celles-ci ont de plus en plus importants taux de rotation des salariés et par conséquent la disparition de l’historique et du savoir faire au sein des équipes.La rémunération variable est aussi un frein pour une gestion saine des finances des ménages. Une gestion financière de « bon père de famille » nécessite l’utilisation de revenus quasi-certains pour définir des projets d’avenir (tels que l’acquisition de bien immobiliers). Mais la stagnation des salaires fixes et la hausse des prix des actifs (inflation financière due à des bulles spéculatives à répétition) poussent les ménages à s’endetter plus (créer plus d’effet de levier) en hypothéquant face à cet endettement les revenus variables futurs incertains. Les ménages de plus en plus endettés deviennent alors de plus en plus fragiles.Ce mode de rémunération basé sur le résultat individuel effrite le travail en équipe et marginalise les syndicats. En effet, chacun négocie pour lui-même sa rémunération et l’objectif devient de se distinguer par rapport à ses collègues. Le monde du travail se transforme du groupe d’individus qui crée, en se regroupant, des richesses qui offrent la possibilité à tous de préserver leur outil de travail et la rente de revenus qu’ils en tirent vers des groupes d’individualités, (chacun pour soi), pour optimiser les ressources personnelles. Nous transformons, ainsi par la mise en œuvre des rémunérations variables et en augmentant sa part dans la rémunération globale, l’entreprise d’une équipe de sportive vers une équipe individuelle. L’histoire contrastée des équipes de France de Handball et de Football montre que les équipes d’individualités où chacun cherche à accroitre ses émoluments n’est pas l’organisation qui donne les meilleurs résultats.Aujourd’hui, nous assistons à la généralisation de la rémunération à l’objectif jusqu’à la fonction publique. Les principaux supporters de ce nouveau mode de rémunération des fonctionnaires précisent que les critères d’attribution incluent aussi bien des objectifs financiers que de services rendus aux usagers. Cependant, les salariés qui ont connu le mode de rétribution des rémunérations variables depuis longtemps savent que cette rémunération dépend de celui qui la décide et non de la performance objective.En effet, le fonctionnement humain ne doit pas être occulté dans toute organisation, que celle-ci soit publique ou privée. Il existe toujours des critères « softs » (ou subjectifs) que les responsables peuvent ajuster pour privilégier tel salarié ou défavoriser tel autre, quelque soit la performance objective et chiffrée. La loi française (arrêt de la cours de cassation) a dit que la rémunération variable doit être discrétionnaire mais non discriminatoire afin de répondre aux multiples affaires où les managers poussent des salariés à la démission en jouant sur l’humiliation d’un non versement de bonus puisque celui-ci est discrétionnaire et que la part du subjectif est très forte.Le fonctionnement employé – manager tant vers une certaine servitude ou un fonctionnement féodal. L’employé ne réalise plus ses objectifs puisque c’est l’exécution de son contrat de travail, mais il l’effectue puisqu’il obtiendra un meilleur bonus. L’employé est moins enclin à proposer des idées novatrices différentes de celle de son patron de peur de ne pas obtenir le complément variable. Il est obligé d’accepter de cautionner les agissements (des fois à la limite de la légalité) pourvu que le 31 janvier il reçoive le montant tant attendu.Le fonctionnement syndical se voit aussi marginalisé par ce mode de rémunération. Personne ne cherche à soutenir un mouvement pour l’augmentation des salaires ou pour améliorer les conditions de la communauté des travailleurs puisque la négociation se passe autour de la machine à café entre l’employé et son manager et que celui-ci sait qu’il a toutes les cartes en main pour faire de son obligé un soutient sans faille à sa stratégie.La transformation du monde du travail est d’autant plus forte que nous assistons à une « politisation » des relations dans l’entreprise encore plus forte et la mise en œuvre d’un « show-off » où l’essentiel est de faire savoir que de le savoir faire. D’ailleurs, combien de salariés qui ne savent pas faire savoir, se retrouvent marginalisés dans l’ascension de leur carrière.En sus de brouiller les relations à l’intérieur de l’entreprise, ce mode de rémunération brouille toutes les relations externes vis-à-vis des : clients, fournisseurs, créanciers et actionnaires.Le salarié devient à la fois toutes ces composantes. Il est vrai que le salarié était considéré comme client dès le Fordisme (augmentation des salaires pour soutenir la consommation). Celui-ci s’est retrouvé actionnaire et créancier puisque les stock-options font de lui un actionnaire ou un futur actionnaire et les fonds de retraite le transforment en créancier (créance dont le remboursement débutera le jour où celui-ci partira en retraite). En devenant actionnaire, le salarié recherche la rentabilité à court terme (privilégiant le profit boursier aux investissements à long terme). Il recherche à soutenir les bulles spéculatives et l’endettement effréné puisque celui-ci offre des rentabilités meilleurs aux marchés actions et incidemment augmente les actifs de son fonds de pension. Finalement, le salarié devient fournisseur de main d’œuvre sans aucun lien « affectif » dont le seul objectif est l’optimisation du couple effort / salaire. Nous assistons d’ailleurs à une croissance forte des « fraudes » dans les entreprises en signe de malaise et de mal être. Ces « fraudes » sont en règle générale sont définies selon un spectre très large : elles couvrent aussi bien l’utilisation des fournitures de bureau à des fin personnelles (ce qui est très peu répréhensible) que la fraude condamnable en justice (exemple des affaires Kerviel ou Nick Lesson).La nouvelle décision de la banque anglaise ne fait qu’accroître cette contagion des genres et augment l’asymétrie d’information. Les dirigeants qui attribueront ces obligations particulières sont plus au courant que les actionnaires, créanciers et clients de l’Etat de fragilité de leur employeur. Ils quitteront le navire en demandant le débouclement de leurs avoirs investis dans ces placements (soit à travers le rachat par le nouvel employeur des actifs ou par la négociation des départs – licenciement) avant même qu’il ne se transforme en actions et qu’ils perdent de leurs valeurs.Il est nécessaire de mettre en œuvre des comités éthiques indépendants des hiérarchies des banques (dépendant du Conseil d’Administration, par exemple) qui ait le droit d’étudier en profondeur les rémunérations variables, leurs attributions et les règles retenus ainsi que leurs réelles applicabilités afin de réduire l’asymétrie et les effets pervers d’ores et déjà en œuvre dans grand nombre d’organisation et que la crise financière n’a révélé que la partie émergée de l’Iceberg.Les entreprises devraient créer des limites entre la part variable et la part fixe afin de revenir à une relation employé – employeur plus saine et durable et que le fonctionnement mercenaire actuel puisse être corrigé dans les futures années.Il en va de l’intérêt des entreprises et de l’économie. Il en va de l’intérêt des actionnaires, des régulateurs (pour les entreprises régulés), les clients, les fournisseurs etc. Il est nécessaire de modifier les erreurs en cours pour pouvoir rétablir la valeur travail et que chacun prenne conscience de l’apport du travail.Amitié et fraternité chers lecteurs.

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