Le gouvernement incite les organismes d’HLM et les autres bailleurs sociaux à vendre leurs logements.
Depuis des décennies, les gouvernements de droite incitent nos organismes à vendre du patrimoine. Aujourd’hui, certaines personnalités de gauche les rejoignent pour des raisons qui semblent appartenir davantage à la démagogie qu’à une bonne pratique de la politique du logement. Depuis des décennies, dans leur grande sagesse, les bailleurs sociaux résistent, ne vendent qu’un faible nombre de logements de l’ordre de quelques milliers par an et le font généralement là où cela ne pose pas problème, là où ces ventes n’ont pas de conséquences négatives.
Dans le passé, « l’argument de vente » était la mixité sociale. Cet argument était bien faible car la mixité sociale peut s’organiser dans un même immeuble, par exemple par une modulation des loyers permettant à des ménages très modestes de côtoyer des familles aux revenus plus élevés. C’était d’ailleurs la philosophie du prêt locatif à usage social (PLUS).
Aujourd’hui, l’argumentaire a changé. La vente de logements sociaux permettrait de construire davantage de logements au total. Il y aurait donc un intérêt économique à la vente pour mieux satisfaire les besoins. A chaque fois que l’on me dit qu’on peut faire plus avec moins et que l’on annonce une augmentation de l’offre alors qu’on en supprime une partie, je trouve qu’il faut examiner soigneusement le raisonnement qui mène à cette conclusion. Je me propose d’examiner ci-dessous le fonctionnement de ce qui apparaît comme un « miracle de la multiplication des logements ».
Il n’est pas raisonnable de parler de manière générale de « la vente des logements HLM », tout d’abord pour des raisons territoriales. Autant je ne suis ni favorable ni opposée à la vente de logements sociaux dans des zones géographiques où le marché est détendu et où la demande est généralement satisfaite, y compris pour des personnes modestes, parce que les loyers sont abordables, autant je suis totalement opposée à la vente des logements sociaux dans les zones de marché tendu. A Paris, on compte environ 120 000 familles demandeuses de logements pour environ 12 000 attributions de logements sociaux par an. La moyenne de la durée d’attente est de 10 ans. En région Ile de France, le nombre de familles en attente d’un logement social est d’environ 350 000, soit entre 700 000 et un million de personnes. Toujours en région Ile de France, on trouve les deux tiers des demandes de logements prioritaires et urgentes au titre de la loi sur le droit au logement opposable. Le rythme de construction y est généralement considéré insuffisant. Comment fera-t-on croire à ces familles en attente d’un logement social qu’en vendant des logements on satisfera mieux leurs besoins ? Pour revenir au début de ce paragraphe, ce n’est pas raisonnable. Et si l’idée est de vendre du patrimoine dans des zones de marché détendu pour construire en région parisienne, il est clair que la vente procurera bien peu d’argent pour cet objet.
Mais la vente de logements qu’on appellera HLM, pour simplifier, pose également un problème de nature sociologique et politique. Les expériences que nous avons pu connaître de vente HLM se sont généralement traduites par des ventes à un prix inférieur au prix du marché. On arbitre donc en faveur du locataire en place et, pour des raisons prétendument sociales, on va lui permettre d’acquérir le logement à des conditions préférentielles. Au cas où il voudrait ensuite vendre le logement, aucune règle ne s’y oppose et aucune règle ne lui interdit de le vendre plus cher qu’il ne l’a acheté. Le logement est alors soumis aux habituelles lois du marché et peut donner lieu à toute spéculation. Mais si on arbitre en faveur du locataire en place, qui a les moyens d’acheter le logement, on arbitre contre la famille qui attend un logement car ce logement ne sera plus disponible pour une famille modeste, éventuellement reconnue « prioritaire et urgente ». Le choix politique qui est fait ainsi se situe clairement contre les familles les plus modestes. Est-ce la logique du logement social ? Est-ce la logique du droit au logement opposable ? On est de toute évidence en pleine contradiction.
L’argumentaire des partisans de la vente ne se limite pas à ces deux premiers arguments : il y a aussi le raisonnement du « bon locataire ». Lorsque vous avez payé régulièrement et ponctuellement un loyer HLM pendant cinq, dix ou vingt ans, n’est-il pas vrai que vous avez payé une bonne partie du prix du logement et n’est-il pas logique de pouvoir l’acheter à un prix avantageux ? Cet argument n’est pas bien sérieux ni sur le plan juridique ni sur le plan économique et social. D’une part il faudrait tenir le même raisonnement dans un logement privé que dans un logement HLM. Or quel est le locataire d’un logement privé qui pourrait aller voir son propriétaire en lui disant : j’ai payé un loyer pendant tant d’années, donc j’ai payé une partie du logement et j’ai le droit d’en devenir propriétaire à prix réduit ? On peut aisément deviner la réponse du propriétaire. Mais au-delà de cette réponse, il ne faut pas oublier que le locataire HLM, par le moyen du plafonnement de son loyer, a bénéficié d’une aide importante par rapport aux loyers privés. A Paris, le loyer de marché pour un logement libre étant environ de 22€ le m2 par mois, le loyer HLM étant d’environ 7€ par m2 et par mois, l’aide au locataire est de 15€ par m2 et par mois, soit pour un logement de 100m2 une aide de 1500€ par mois. Ce locataire a été fortement aidé pendant sa durée d’occupation du logement HLM, on ne voit pas à quel titre il devrait aussi bénéficier de la vente de son logement alors que c e logement peut encore rendre un service de nature sociale à d’autres familles.
Enfin vient l’argument économique : avec la vente d’un logement HLM, on peut construire entre 2,5 et 4 logements nouveaux. C’est oublier quelques modestes détails. On nous dit : il faut renforcer les fonds propres des organismes de logement social par la plus value qu’ils vont faire sur les logements qu’ils vendront. Mais contrairement à une idée reçue, la plupart des organismes bailleurs sociaux sont correctement gérés et assurent non seulement leur équilibre financier mais disposent de fonds propres et les utilisent déjà pour construire. Il y a beau temps qu’ils le font et n’ont pas attendu le gouvernement. Si celui-ci leur fournit les conditions de financement suffisantes pour reconstituer progressivement leurs fonds propres en construisant, il n’y a donc pas besoin de vendre le patrimoine. Ensuite, si dans la plupart des cas la vente d’un logement se fait pour des raisons « sociales » à des prix inférieurs au marché, il ne faut pas compter sur ces plus values pour financer plusieurs logements nouveaux, ce serait déjà bien de constituer des fonds propres pour en construire un seul. Enfin et surtout, les fonds propres des bailleurs sociaux ne suffisent pas pour construire de nouveaux logements, il faut pour construire toutes les autres aides publiques, prêt de la Caisse des dépôts, financement 1% logement, exonérations fiscales, TVA à 5,5% etc. Et ces aides là sont limitées et vont-elles-mêmes limiter le nombre de logements sociaux construits. Il n’y aura pas un seul logement neuf de plus que ce que l’enveloppe de ces aides permet déjà. Et elles s’ajoutent au coût de la construction de logements nouveaux, alors qu’on a vendu des logements sociaux qui ne nécessitaient aucune aide supplémentaire. La vente HLM n’est donc pas le moyen miraculeux de construire davantage et la réalité incontournable est que malgré la vente HLM, on ne construira pas un logement social de plus.
Je m’excuse profondément auprès de mes lecteurs de leur infliger cette évidence : lorsqu’on vend un logement HLM, on a un logement de moins que si on ne l’avait pas vendu et on loge une famille de moins que si on l’avait conservé.
Plutôt que de consacrer du temps à cette fausse bonne idée, consacrons nous aux vrais problèmes du logement social, l’enveloppe et le montant unitaire des aides publiques, l’orientation de ces aides vers les zones géographiques qui en ont le plus besoin, la rénovation urbaine, l’accès au logement social des publics prioritaires, la revalorisation des aides personnelles, une aide véritable à la réhabilitation des passoires thermiques pour alléger les charges des locataires et améliorer notre balance commerciale…..
Et cessons de croire qu’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre.