Nucléaire en Questions, Conseillère municipale à Caen, Enseignante
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Quelle transition énergétique après un mois de marche ?
Nous avons marché pendant un mois à la rencontre des citoyens, des militants et des acteurs de terrain afin d'échanger sur le nucléaire et la transition énergétique. Après une quarantaine d'heures de conférences - débats et des milliers d'échanges, voici quelques réflexions.
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Certains d'entre nous devant l'Assemblée Nationale
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La marche et la rencontre de l'autre
Nous avons marché cet été de La Hague à Paris. Entre 5 et 20 marcheurs chaque jour pour des étapes de 15 à 25 kilomètres avec des conférences spécialisées chaque soir sur le nucléaire et la transition énergétique, conférences que vous pouvez retrouver sur notre page Facebook.
Le tout fut riche d'apprentissage en terme de connaissances bien sûr, d'échanges, mais aussi à un niveau humain. Le partage et l'attention bienveillante qu'on a pu se donner n'ont été que positifs. Les échanges n'en ont été que plus forts car la tolérance envers les avis des uns et des autres était de mise.
Nous avons dialogué avec des centaines de personnes croisées sur le pas de leur porte ou sur le chemin de la plage ou du commerce le plus proche. Souvent, on nous a demandé par quoi on remplaçait le nucléaire, ou quelles étaient nos conclusions. La réponse en ce qui me concerne ne tient pas en une ligne.
Nous nous sommes dépossédés de la question de l'énergie
Le premier constat est limpide et se répète au fur et à mesure des rencontres. Tous s'accordent sur le fait qu'il y a un problème quant à l'énergie qu'on utilise, aux sources d'énergie et la somme de ce qui est utilisé, mais dans le même temps, le problème est toujours ailleurs et la solution l'est aussi. Surtout, nombreux sont soucieux de ne pas croire en les 'fausses' solutions qu'on leur propose.
Beaucoup sont ceux avec des certitudes, qui quand nous prenons le temps de creuser, ne sont plus aussi certains. Après discussion, la question de l'énergie semble toujours trop complexe, trop lourde pour être portée par le citoyen, d'où le besoin de se raccrocher à ces certitudes glanées ici ou là.
Le nucléaire avait cela de simple que le client n'avait guère à se soucier de la provenance de l'électricité. De même pour le gaz et l'essence. On paye et on a. On s'est éloigné des sources d'énergie et avec cet éloignement, nous nous sommes dépossédés de la question de l'énergie.
La question la plus fréquente que l'on nous pose est tout simplement : 'Et par quoi vous remplacez le nucléaire?' La réponse, la solution ne tient pas en une minute ou sur un coin de table. Les réponses et les solutions existent, mais toute tentative simpliste à une solution miracle ne pourra qu'attirer les foudres de ceux qui ne souhaitent rien d'autre que de prolonger et de réinvestir des milliards dans le nucléaire. Il n'y a pas de solution qui puisse d'un coup de baguette magique résoudre tout. Le croire ou le faire croire tiendrait de la bêtise. Néanmoins, ne rien faire et continuer comme avant les bras croisés le serait plus encore.
Réapprendre la notion de besoin
Avant tout, il nous faut réapprendre la notion de besoin, et cela est complexe car cette notion a été perdue sans qu'on s'en rende compte dans les décennies qui ont précédé. Il est problématique d'éduquer nos enfants à répondre à leurs besoins quand nous-mêmes avons potentiellement oublié ce qu'ils étaient réellement. Manger quand nous avons faim, cuisiner à partir d'ingrédients, nous couvrir quand nous avons froid, dormir quand nous avons sommeil, prendre le temps, nous balader, rire avec des amis, lire, des plaisirs simples parfois qui, au milieu de ce billet de blog, peuvent paraître naïfs mais qui pour beaucoup sont perdus au milieu de la technologie et des produits auxquels nous avons accès.
Il est question d'acheter, de produire à la mesure de ces besoins et non d'acheter et de produire par rapport à des automatismes, des attentes de niveau de vie. Changer moins fréquemment d'ordinateur, de smartphone, regarder moins de vidéos sur internet sont autant de gestes qui impactent. La réutilisation, le ré-emploi, la réparation sont autant de comportements évidents qui devraient redevenir systématiques, mais pour cela, il faut se donner le temps. Se donner le temps de vivre pour être soi aussi, et non pour être l'image qu'on souhaiterait être de nous-mêmes.
Sous-jacente à la question de la ré-appropriation de nos besoins est la question potentielle de la décroissance. Néanmoins, cette dernière n'est pas un but en soi, mais une conséquence probable. Certains secteurs pourraient décroître alors que d'autres deviendront proéminents.
L'importance du territoire et des concertations
Avec le recentrage sur soi vient une refocalisation sur la communauté et le local. Il s'agit de faire autour de soi. Voilà pourquoi se concentrer sur ses besoins ne signifie pas s'isoler ou devenir égoïste ou égocentrique car rapidement, la notion de besoin ne doit pas s'arrêter à soi, mais s'étendre à la collectivité qui nous entoure.
Le maître mot bien sûr est 'sobriété', mais une fois qu'on a dit cela, on n'a pas dit grand chose si on s'arrête là. La sobriété telle que mise en avant par Négawatt ne signifie pas privation, mais bien l'écoute des besoins réels et si on raisonne en terme de collectivité et de territoire, la sobriété fait aussi pleinement sens.
Nous parlerons ici d'abord de l'habitat et du transport. Quels quartiers créer, quels lieux de vie, quels lieux de partage, quels équipements peuvent-ils être partagés, quels transports sont-ils nécessaires pour se rendre d'un lieu à un autre? Il s'agit bien d'écouter par territoire les besoins de chacun afin d'éviter la multitude de voitures individuelles, de tondeuses, de perceuses, de chambres d'amis individuelles.
Pour cela, il est nécessaire de réfléchir par quartier, par lieu de vie, puis par collectivité, par territoire, et enfin par département et par région. Tout ceci nécessite d'être réappris et les concertations par quartier, par lieu de vie ne sont pas simples quand nous sommes habitués à des modèles descendants et à un modèle global. Le vote simple à la majorité plutôt que le temps pris pour s'acheminer vers un consensus crée des minorités et potentiellement des tensions, et un manque d'investissement à terme des uns et des autres.
La première leçon pour cela est l'écoute de l'autre et des besoins de l'autre. On est habitué à choisir parmi une liste d'options et voilà tout. Aujourd'hui, afin de réussir la transition énergétique, il s'agirait d'être en mesure de pouvoir prendre conscience de ses propres besoins et d'être en mesure d'entendre les besoins des autres. Ainsi, avec l'approche par territoire, vient très vite l'approche par concertation et co-construction. Les choix et les modèles ont besoin d'être réfléchis et mûris localement afin de gagner en acceptabilité et en efficacité de mise en oeuvre.
Il en est de la sobriété, mais il en est bien sûr de même pour les énergies renouvelables. Bien sûr la sobriété et la diminution de la quantité d'énergie produite est primordiale, mais il est crucial d'accepter que si nous souhaitons vivre, il faudra produire ce dont on a besoin en énergie.
Or cela aussi doit être pensé en terme de territoire. Il est question de produire l'énergie pour faire face à nos réels besoins, sans gabegie.
Si dans chaque département, les citoyens cherchent où et comment cette énergie peut-être produite, alors à partir de toutes ces idées, des examens de faisabilité, et d'efficacité peuvent être conduits et à partir de cela, des choix pourront être faits en concertation avec les habitants, conduisant à une meilleure acceptabilité et à des mises en service plus rapides. Idéalement, les citoyens pourraient avoir le choix de prendre part à un certain nombre de projets financièrement s'ils le souhaitent, voire à les monter avec une assistance pour cela.
Pas de grand plan national
Le principal atout d'un raisonnement par territoire, et d'une surveillance par la suite des projets, permettrait d'éviter des projets contre-productifs écologiquement de voir le jour. Ainsi, des projets hydrogène et méthanisation, s'ils ne sont pas suivis quant à ce qui les approvisionnent et comment cela est fait, perdent de leur sens.
Il s'agit là de grands plans nationaux qui sont mal compris localement et rejetés dans leur application, souvent pour de bonnes raisons.
Si les réseaux se doivent de rester européens, la production en énergie, elle, devrait tendre vers le local. Cela aurait pour bénéfice entre autres de limiter les pertes en transport pour ce qui concerne l'électricité.
La transition énergétique se fera avec le monde agricole ou ne se fera pas
Il est clair que plus on regarde dans le détail ce qui tient de la transition énergétique, le plus on est convaincu qu'elle ne pourra se faire sans le monde de l'agriculture et de la pêche. Pourquoi cela? Quatre éléments sont à prendre en compte.
Tout d'abord, l'agriculture aujourd'hui est émettrice de gaz à effet de serre dans des proportions qui sont loin d'être négligeables. Pour parer à cela, il faudrait : - une alimentation moins carnée. Cela impliquerait une diminution des émissions de méthane. De plus, cela impacterait sur la déforestation causée par les besoins en nourriture du bétail.
- une alimentation plus locale et moins transformée. La diminution du transport associé va de soi.
- une agriculture qui change ses pratiques. Il est à noter que le protoxyde d'azote (qui provient principalement des engrais de synthèse et du fumier) est un gaz à effet de serre 310 fois plus puissant que le CO2 dans sa capacité de réchauffement et qui reste dans l'air plus de 120 ans (comparé à 100 ans pour le CO2 et 12 ans pour le méthane). De plus, cet engrais de synthèse nécessite aussi beaucoup d'énergie pour être produit.
Le deuxième élément concerne la méthanisation. Si nous pouvons nous dire qu'il serait plus qu'intéressant de valoriser les déchets agricoles et d'en produire de l'énergie, les sources permanentes d'approvisionnement pour le méthaniseur se doivent d'être suffisantes. La taille du méthaniseur doit de fait être en cohérence avec ces sources d'approvisionnement. Encore une fois, si un grand plan national n'a aucun sens, des projets à la taille d'un territoire pourrait éventuellement en avoir.
Le troisième point se rapporte aux matériaux pour l'habitat. Ainsi, la paille, le chanvre, le lin sont autant de filières locales qui permettent une bonne isolation et de fait une moindre consommation d'énergie. Le bois et l'agroforesterie sont aussi concernés puisque les constructions en bois sont des pièges à carbone. Autant de pratiques qui ont besoin des agriculteurs à cette fin.
Enfin, dans un plan local de production d'énergies renouvelables, voire de projets citoyens, les lieux de production dans les champs ou sur les toits des bâtiments agricoles peuvent être intéressants et ont leur rôle à jouer. Evidemment, il ne s'agit pas de supprimer des terres agricoles.
Il en est de même quant au monde de la pêche. Certaines zones maritimes devront être totalement préservées, d'autres dédiées à la pêche, et d'autres encore réservées à la production d'énergie. Dans ces délimitations, il est crucial que le monde de la mer soit consulté et prenne part à cette réflexion.
Ainsi, rien ne sera possible sans le monde de l'agriculture et celui de la pêche.
Chaque citoyen acteur de la transition
La transition énergétique devra avoir lieu, et cela rapidement. Ce n'est pas à notre voisin de commencer, mais à nous, avec notre voisin, avec notre lieu d'activité aussi, avec l'établissement scolaire de nos enfants, et les associations auxquelles nous appartenons. Chacun d'entre nous, dans nos métiers, nos pratiques, notre quotidien... Nous sommes tous concernés et tous capables.
Bien sûr, ce n'est pas facile et cela demande des changements d'habitude, des petits pas et des plus grandes remises en question. Ca nous demande de nous allier entre collègues, entre amis pour faire basculer les comportements, les prises de décision. Que nous soyons agriculteur, ouvrier, ingénieur, animateur, dentiste, commerçant, commercial, logisticien, enseignant, journaliste, informaticien, nous avons tous notre part à faire dans nos pratiques individuelles, mais aussi dans ce que nous pouvons changer dans le cadre de notre travail.
Il est souvent mis en avant que les 1% les plus riches polluent le plus. Bien qu'il faille éviter les raccourcis, c'est en effet le cas. Néanmoins, si cela leur donne la responsabilité de réduire bien davantage sur leurs émissions de gaz à effet de serre, cela ne doit pas nous déresponsabiliser pour autant. Les catastrophes naturelles sont déjà présentes partout dans le monde, tous les jours. Si le Titanic est en route pour une collision, c'est à chacun d'entre nous de tirer la barre dans le même sens, tout en convaincant ceux qui ne voient pas l'iceberg d'en faire autant.
L'importance de l'accompagnement
Si chacun doit agir, il ne peut toutefois le faire sans accompagnement. Que cela soit sur l'habitat, et l'isolation des bâtiments, les solutions alternatives à la voiture individuelle dans les transports du quotidien, ou les changements de pratiques dans l'agriculture, les entreprises et l'industrie, l'accompagnement et l'incitation pour les individus et les entreprises sont des fondamentaux. Sans cela, il ne s'agirait que de personnes qui tentent vainement de faire bouger une machine qui fait du sur place. Ainsi, les aides pratiques et financières doivent-elles être réfléchies en conséquence.
Il en est de même pour le ré-apprentissage de la concertation et de l'écoute de nos besoins. Des outils, des aides existent pour cela. Ne les négligeons pas.
De plus, ne soyons pas dupes ou naïfs quant à l'existence d'effets pervers. C'est en cela que la concertation aussi peut être utile car elle peut éviter certaines erreurs. Enfin, il arrivera que sur certaines voies, toutes les options présentent des effets néfastes. Il est temps alors de se poser la question de s'il vaut mieux agir ou refuser d'agir et s'il faut agir, accepter que la perfection n'est pas de ce monde et que de ne pas choisir peut être le pire des choix.
Ce qu'on a appris de cette marche, c'est que la route est difficile mais nécessaire, et qu'elle ne pourra se faire que si nous y prenons tous part. Quand une catastrophe naturelle nous touche, elle ne choisit pas de toucher que certains citoyens. De même, les solutions nous concernent tous.
Il n'y aura pas une solution d'un claquement de doigt, mais les solutions existent. Il s'agit de changer nos manières d'être. Le résultat sera juste différent. Roosevelt disait : "Il n'y a rien à craindre sauf la crainte elle-même."
Le changement de mentalité est nécessaire car nous avons besoin que chaque citoyen se sente concerné et agisse là où il peut. C'est comparable au changement d'état d'esprit aux Etats Unis lors du mouvement des droits civiques. A cette époque, cela n'a pu se faire qu'avec le concours des artistes de Billie Holiday à Joan Baez, de Maya Angelou à l'équipe de Star Trek. Martin Luther King avait déclaré que Nichelle Nichols avec le premier baiser entre un noir et un blanc en 1968 sur Star Trek avait fait plus que lui.
Le changement de mentalité dont nous avons besoin aujourd'hui pour que chacun s'implique est aussi important que celui qui a eu lieu alors aux Etats Unis et ne pourra se faire sans le concours des artistes.
A la question par quoi remplace-t-on le nucléaire, je répondrai que la question est mal posée.
Tout d'abord, ce n'est pas par quoi, mais comment. Aussi, il ne s'agit pas de remplacer le nucléaire, mais d'en sortir en changeant nos modèles d'énergie, en posant la réflexion par territoire, en réimpliquant les citoyens, en impliquant le monde agricole et en acceptant qu'il n'y aura pas de solution simpliste mais un panachage de solutions adaptées, réfléchies et construites ensemble.
Nous avons marché 555 kilomètres à pied, ensemble, en écoutant, en apprenant, en faisant attention aux besoins les uns des autres. La réponse tient en cela. Elle est à taille humaine. Avant tout, il faut avancer en faisant attention, en prenant soin mais sans laisser la crainte d'aller de l'avant nous arrêter. Pendant un mois, notre aventure a été difficile mais nous y sommes arrivés, un pied après l'autre en nous faisant confiance.
Les marcheurs sur les dunes de Biville
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