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Billet de blog 13 octobre 2014

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De la légitimité républicaine du mot «PRÉSIDENTE» et de la faute de 143 député-e-s qui professent le contraire

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 ... [ Dans ] l'usage correct de la langue française dont il n'est sans doute pas besoin de vous rappeler qu'elle est, selon la Constitution, « la langue de la République », (…) « la présidente » désigne la femme du président.*

Où vont-ils chercher leur vocabulaire, ces pensionnaires de la Chambre Basse qui revendiquent la « langue de la République » ? Sous le Roi Soleil ?

En 1694, en effet, la première édition du Dictionnaire de l’Académie française donnait pour « Présidente » « épouse du président ». De même les quatre éditions suivantes, jusqu’à l’An VI de la République.

Dès la sixième édition, parue sous la Restauration en 1835, l'Académie française définissait « Présidente » comme « celle qui préside une assemblée, une réunion » et n'admettait qu'avec circonspection : « se dit aussi, en certains cas, de la Femme d'un président. ». Cette nouvelle formulation demeura inchangée dans les éditions 7 et 8, sous la IIIe République.

La neuvième édition, dont les premières épreuves parurent en 1986, abandonne toute référence au conjoint et agglomère en un seul article les formes masculine et féminine : « Président-ente 1. Personne qui préside une compagnie, une assemblée, un tribunal, une cour, etc. (...) 2. Celui ou celle qui est à la tête d'une institution, d'une collectivité, d'une société pour en assurer la direction, pour la gouverner. »

Qu'un quelconque citoyen, prenons Éric Zemmour, déclare ne pas aimer son époque et lui préférer l’image qu’il se fabrique du passé, c'est son droit, sa liberté, sa fantaisie.

Le mandat politique, lui, n’oblige-t-il pas à s'inscrire dans ce siècle et à en employer les termes – a fortiori quand on se targue de donner des leçons de langue républicaine ? A-t-on licence, sous couvert de la respectabilité attachée au statut, de mentir et tromper, multiplier les extravagances en invoquant les « portes du totalitarisme » et une « funeste idéologie », hasarder des accusations telles que « détournement et abus de pouvoir » ou « forfaiture », menacer « d'un climat d'affrontement et de tensions qui ne peut qu'affaiblir l'autorité du Parlement » ? Tout cela au prétexte qu’on se sent soudain piqué par un usage entériné il y a deux cents ans !

Si une coutume, fût-elle séculaire, leur déplaît, les député-e-s ont la prérogative, et c’est même leur raison d’être, de proposer des lois – par exemple l’interdiction des titres féminins ou l’inéligibilité des femmes aux postes de pouvoir. Que ces réformateurs et réformatrices se mettent donc au travail !

En attendant leurs propositions, le Président de l’Assemblée nationale laissera-t-il impuni-e-s l’insolence et l’irrespect, le trouble au déroulement d'une séance parlementaire, le ralliement au fauteur de trouble, les fausses accusations, les menaces de chaos, l’argumentation au moyen d’anachronismes et d’insinuations fallacieuses, et pire encore, la diffamation de « la langue de la République » et à travers elle, de l’Histoire de la France ?

Ce sont les cent-quarante-deux signataires de l’ultimatum au Président de l'Assemblée nationale, au même titre que son inspirateur Julien Aubert, qui méritent d’être sanctionné-e-s pour, eh oui ! leurs « fautes graves ».

* Lettre de 142 député-e-s au Président de l’Assemblée nationale, publiée dans le Figaro : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/10/09/31001-20141009ARTFIG00393-madame-le-president-l-ultimatum-de-139-deputes-de-l-opposition-a-claude-bartolone.php

Sources : Dictionnaire de l'Académie française

Première édition, 1694, p. 465 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50398c/f466.image.r=.langFR

2ème édition, 1718, tome 2, p. 355 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k504003/f357.image.r=.langFR

3ème édition, 1740,  tome 2, p. 418 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50402s/f419.image.r=.langFR

4ème édition, 1762,  tome 2, p. 461 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50404g/f462.image.r=.langFR

5ème édition, 1798,  tome 2, p. 357 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k504065/f358.image.r=.langFR

6ème édition, 1835,  tome 2, p. 496 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50408v/f499.image.r=.langFR

7ème édition, 1878,  tome 2, p. 498-499 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50410d/f499.image.r=.langFR

8ème et 9ème éditions, 1932-1935 et 1986- : http://www.academie-francaise.fr/le-dictionnaire/consultation-en-ligne

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