Dans cet article je souhaite vous présenter mon expérience, mon histoire : ce que j’ai vécu. Je voudrais que tout le monde entende que les directeurs ne sont pas responsables de tout, qu’ils obéissent à des consignes et des ordres de leur propre direction. Il me semble aussi important de vous indiquer que les institutions publiques, associatives ne sont pas à mettre dans les mêmes interrogations que les EHPAD privés lucratifs.
Cette enquête présente des interrogations sur le secteur privé lucratif, et à juste titre. Si j’écris cet article c’est pour dire que le métier de DIRECTEUR d’EHPAD est un beau métier mais qu’il est bien difficile à exercer dans les conditions actuelles.
Mon expérience de directrice :
J’ai plus de 15 ans d’expérience dans la direction d’Établissement pour personnes âgées. J’ai travaillé dans différents groupes privés. Si j’ai quitté ce secteur c’est que bien entendu je ne pouvais plus cautionner le quotidien des "résidents", des équipes et de la directrice que j’étais.
Je n’ai pas quitté ce secteur pas perte de vocation, mais par dégoût et après des résistances et des batailles difficiles contre mes différentes hiérarchies.
En tant que directrice j’ai rencontré des difficultés comme tous mes pairs :
Le recrutement - Le remplacement :
Recruter correctement et de façon pérenne : un enfer dans notre quotidien de directeur. Bien avant que la pénurie ne se fasse ressentir, j’ai eu des difficultés à recruter et à remplacer. Pour ce qui est du recrutement, je n’avais aucune marge de manœuvre. C’est-à-dire qu’un professionnel ayant un parcours un peu différent d’un autre, il n’était pas possible (en fonction des groupes dans lesquels j’étais) de valoriser une expérience ou une compétence.
Pour ce qui est des remplacements, le recours à l’intérim nous était interdit, même si cela mettait en danger le quotidien des résidents. Cela coûtait trop cher. Quand nous n’avons pas pu faire autrement nous avons tout de même réussi à passer par l’intérim, mais de façon, détournée après de longues luttes contre nos directions.
Les repas - l'alimentation :
C’est une honte. Afin de faire des économies le coût alimentaire jour dans le dernier EHPAD dans lequel j’ai exercé était fixé à 3,9 € par jour/par résident : ce coût alimentaire concerne les 5 repas : petit déjeuner, repas du midi, goûter, diner et collation de nuit. Dans mon précédent poste de directrice j’étais entre 7,00 € à 9,00 €. Autant vous dire que cette chute du tarif pour moi a été une catastrophe.
Bien sûr que nous n’avons aucun écrit nous demandant :
- D’acheter du pain congelé, et non du pain frais en boulangerie,
- D’acheter de la viande de basse qualité, congelée,
- De mettre du poisson surgelé,
- De proposer du vin de très faible qualité voir coupé avec de l’eau,
- Des Goûters de faible qualité.
Mais malgré l’absence d’écrits nous avons :
- Une impossibilité de commander en dehors de la centrale d’achats,
- Une impossibilité de commander des produits non-inscrits dans la liste établie par le contrat cadre,
- Une impossibilité de dépasser son budget jour,
- Une impossibilité de valider notre commande si nous sommes en dépassement.
- Une obligation de ne mettre qu’un morceau de beurre par petit déjeuner,
- Un nombre de biscottes, tranches de mie de pain limitées,
- Un verre de vin rouge par résident par repas,
Offrir des fruits de mer aux résidents pour les fêtes de fin d’année : après avoir dépassé les règles d’hygiène qui vont faire abandonner 80% des directeurs, il m’a fallu soit mettre en place des sorties à l’extérieur, soit utiliser des budgets comme celui de l’animation pour les mettre en œuvre en interne.
L'animation - Un mensonge permanent :
Pour nous démarquer des concurrents nous les directeurs nous devons proposer des activités et des animations originales, innovantes. Mais bien entendu cela ne doit pas coûter trop cher, voire ne rien coûter du tout. En tant que directeur nous devons mettre en avant un projet d’animation, mais nous n’avons pas un budget animation digne de ce nom.
Pour proposer des animations de types sorties extérieures nous sommes souvent dans l’obligation de demander aux résidents et à leur famille de participer financièrement.
Franchement c’est scandaleux, quand les résidents payent entre 3 600,00 € et 4 500,00 € de frais mensuels de demander une participation pour ces animations – sorties extérieures.
En fait il nous est demandé de faire des choses extraordinaires avec peu ou sans moyens. C’est grâce à l’ingéniosité et une énergie hors du commun des binômes animateurs-directeurs que des activités innovantes et dignes de ce nom peuvent se mettre en place.
Mon ressenti de directrice : haine et passion à la fois :
J’ai adoré ce métier et surtout les personnes âgées que j'ai accompagnées. Prendre soin des personnes âgées est une véritable passion qui s’est développée au cours de ma carrière. J’ai apprécié mener des équipes vers un but et un beau projet. J’ai aimé accompagner des familles dans des moments difficiles.
Mais j’ai détesté devoir refuser les augmentations de salaires auprès de mes collaborateurs qui le méritaient. J’ai déploré les économies de bout de chandelles sur les repas. J’ai eu honte de commander du pain congelé, et j’ai eu honte de ne pas acheter le matériel nécessaire au bon fonctionnement de mes équipes et de mon établissement.
J’ai quitté mes fonctions, et il m’a été demandé de quitter mes fonctions parce que mes demandes, mes remarques, mes remontées dérangeaient, gênaient, et mettaient à mal mes directions.
Des demandes totalement hors la loi m’ont été faites par mes directions successives : j’ai toujours résisté et quelques fois je l’ai payé au prix de ma place.
Les pires de toutes les demandes qui m'ont été faites.
- Mettre en place des fautes pour certains de mes personnels trop payés pour en embaucher des moins qualifiés et donc moins chers.
- Demander à une de mes infirmières de faire du 7 jours sur 7, avec une compensation financière mais bien sûr avec un contrat qui ne le dit pas,
- Demander aux familles d’animer des activités pour faire plus d’animation.
Mon ressenti de Directrice c’est que bien que directeur dans les groupes privés nous n’avons peu voire pas de pouvoir. Tout est concentré dans les sièges de ces grosses entreprises.
Il nous est demandé toujours plus de chiffres d’affaires, quelques fois sans aucun respect de la dignité des personnes que nous accueillons. J’ai un exemple en tête : la remise en location d’une chambre dans laquelle un ou une résidente vient de décéder. Plus vite nous relouons plus de chiffre d’affaires nous ferons.
En conclusion, ce métier devrait être un beau métier, mais il n’en n’est rien. Aujourd’hui les directeurs sont malmenés par les médias, par les familles, par leur direction générale, et parfois par les tutelles.
En tant que directeur d’un EHPAD, nous ne maîtrisons pas la totalité du budget, mais nous sommes contractuellement dans l’obligation de le mettre en œuvre et de le respecter.
J’ai subi avec plusieurs collègues, de la part d’un de mes employeurs une suspension de mes congés et RTT car nous n’avions pas un taux d’occupation qui répondait aux exigences de notre direction générale. A cette période nous étions en pleine crise de l’immobilier, et l’établissement que je dirigeais venait d’ouvrir.
A cette époque nous avons dû annuler nos congés, et ne prendre aucun RTT pendant cette période. Nous avions un rendez vous téléphonique pour rendre compte de notre activité commerciale, et une obligation écrite quotidienne sur cette activité commerciale.
Et demain quel avenir pour les EHPAD ?
Il existe des solutions de contraintes et de surveillances simples qui permettraient de supprimer une grande partie des maltraitances institutionnelles dans les EHPAD privés lucratifs.
En effet, imposer un nombre beaucoup plus important de personnel tant au niveau soignant qu’au niveau administratif – hébergement serait déjà un premier niveau de contrainte.
Aujourd’hui, Mercredi 26 janvier 2022, une nouvelle est venue mettre à mal le monde des EHPAD. Le livre de Victor CASTANET « Les Fossoyeurs » est une véritable onde de choc pour le secteur. Je suis attristée de voir qu’après des années d’enquêtes, de livres, de « soirées spéciales » que finalement la situation n’a pas avancé. Je ne veux pas frapper un malade selon l’expression consacrée, mais la situation ne peut plus continuer ainsi.
Les familles devraient avoir beaucoup plus de droits de regard sur les budgets, les animations, et la vie de la résidence. En effet aujourd’hui les familles sont vécues par les directions comme une forme de contre-pouvoir qu’il faut amadouer. Il est vrai que les familles ne sont pas toujours dans une participation simple. Cependant considérer les familles comme des ennemis est une erreur stratégique.
Enfin et surtout laisser la place quand c’est possible (en terme de capacité cognitive) aux résidents : leurs désirs, leurs envies, leurs choix :
- Les demandes simples des résidents dans les menus ne sont que rarement entendus : des recettes avec du goût et qui parle de leur histoire.
- Les entendre sur le fait que les journées sont longues et que les activités proposées ne répondent pas toujours à leurs envies.
- Les écouter sur leur besoin de passer du temps à simplement discuter avec les professionnels de l’établissement : pour cela il faut donc recruter et augmenter le nombre de professionnels soignants et non soignants.
Imposer des contrôles aléatoires qui ne concernant pas que la partie soignante. En effet aujourd’hui, les mises en causes concernent souvent les soignants. Il m’apparaît très important de vérifier tout le reste :
- La qualité des animations,
- Le suivi du matériel,
- L’entretien du linge.
- L’entretien des parties extérieures,
- La place de la parole des résidents et de leur famille.
Imposer des formations obligatoires sur : la connaissance du vieillissement, la maladie d’alzheimer et les maladies apparentées, la place des familles, la relation de soin, l’approche de la mort, les soins palliatifs, l’animation, la cohérence soin nuit-jour.
Bref, nous devons plus contrôler et nous investir dans le monde de la gériatrie, et de la gérontologie. Nous devons exercer des contrôles inopinés, nous devons obliger les entreprises privées à plus de qualité. Nous devons interdire certaines pratiques financières.
Belinda INFRAY, aujourd'hui directrice pédagogique ADIMPLETIONUM.