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Billet de blog 1 août 2025

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Crise morale de l’architecture en Tunisie

Architecte tunisien, je témoigne ici d’une rupture intime et professionnelle. Car ce que nous vivons n’est pas seulement une crise de l’urbanisme ou des institutions : c’est une crise morale profonde. J’écris ce texte comme on écrit une lettre d’adieu à une profession que j’ai aimée, mais qui semble avoir trahi sa propre dignité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Je suis architecte. Ou du moins, je l’ai été.

Je le dis sans effet dramatique, sans orgueil ni nostalgie. Simplement avec lucidité. Car ce métier que j’ai embrassé avec passion, avec respect pour les pierres et pour les vivants, n’est plus aujourd’hui qu’un miroir brisé, dans lequel je peine à me reconnaître.

Pendant des années, j’ai cru au mot "confrère". Je le prononçais avec cette naïveté pleine de confiance que l’on prête à ceux qui partagent un même idéal : bâtir pour le bien commun. Aujourd’hui, je ne peux plus l’utiliser. Non pas par arrogance, mais par fidélité à ce que ce mot devrait signifier.

Je ne les appelle plus confrères, parce qu’il y a trop de silences là où il faudrait parler. Trop de signatures là où il faudrait refuser. Trop de courbettes face à l’argent, au pouvoir, aux promoteurs-rois, aux projets absurdes et aux concours arrangés.

Je ne les appelle plus confrères, parce qu’ils sont devenus des exécutants dociles, des décorateurs d’un système qui détruit. Ils signent des permis pour des horreurs, ils légitiment des quartiers sans âme, ils ferment les yeux sur la violence faite à la ville, au patrimoine, à la terre.

Certains se taisent, d’autres s’invitent dans les jurys, les salons, les coulisses du pouvoir, toujours prêts à servir un projet qu’ils n’ont ni pensé ni remis en question. Ils n’ont plus d’éthique, plus de langue, plus d’attache. Ils ont troqué le dessin contre le devis, l’engagement contre la réputation.

Et pourtant, ce métier est noble. Il l’est encore, dès lors qu’on refuse de céder. Il l’est dans les marges, dans les silences habités, dans les gestes humbles de celles et ceux qui bâtissent pour réparer, relier, accueillir.

Je ne cherche ni à donner de leçons, ni à me laver les mains. Moi aussi, j’ai parfois cédé au confort, au compromis, à l’oubli. Mais aujourd’hui, je choisis de dire non. Non à cette profession devenue complice de la dégradation collective. Non à ce monde de façades et de connivences.

Ce texte est une lettre de rupture, mais aussi d’espoir. J’écris pour que d’autres se reconnaissent, sortent du rang, rompent avec la lâcheté ambiante. J’écris pour rappeler qu’un architecte n’est pas un opérateur neutre, mais un acteur politique, culturel, humain.

Il est temps que nous soyons dignes du titre que nous portons.

Il est temps que le mot « confrère » retrouve un sens.

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✍️ Signature :

Ilyes Bellagha

Architecte ITAAUT – Tunisie

📧 bellagha_ilyes@yahoo.fr

📞 +216 95 691 165

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