On nous répète chaque jour que nous vivons dans des sociétés libres, où la parole est protégée et où chacun peut s’exprimer sans crainte. Pourtant, derrière ces proclamations officielles, la réalité est plus complexe, plus insidieuse. La liberté d’expression, dans sa version contemporaine, ressemble souvent à une illusion soigneusement entretenue : elle existe, mais seulement dans les limites que les puissants jugent acceptables.
Le paradoxe de la liberté contrôlée
Les réseaux sociaux, les médias traditionnels et même les institutions démocratiques se présentent comme des vecteurs de liberté. Ils promettent la possibilité de dire ce que nous pensons. Mais cette liberté est conditionnelle : elle dépend de règles floues, de plateformes privées et d’algorithmes qui trient, priorisent et censurent. On peut parler, oui, mais seulement dans le cadre qu’on nous impose. Toute parole réellement dérangeante, toute critique profonde des structures de pouvoir, se voit rapidement marginalisée ou muselée.
Zelensky et le spectacle politique
En 2019, Volodymyr Zelensky, humoriste sans expérience politique, remporte l’élection présidentielle ukrainienne avec 73,2 % des voix. Sa campagne a été construite autour de son image médiatique et du spectacle, laissant peu de place à un débat politique substantiel. Les médias et les réseaux sociaux ont amplifié cette image, créant un récit simpliste et émotionnel, souvent éloigné de la réalité politique. La liberté d’expression s’est retrouvée réduite à la consommation de narratifs orchestrés.
Trump : la parole comme outil de manipulation
Aux États-Unis, Donald Trump a utilisé Twitter pour diffuser directement ses messages, contournant les médias traditionnels. Ses déclarations polarisantes ont souvent été reprises massivement, même lorsqu’elles étaient contestables sur le plan factuel. Comme Zelensky, Trump a transformé la communication politique en spectacle, montrant que la liberté de parole peut être exploitée pour manipuler l’opinion publique, plutôt que pour informer ou débattre.
Les faits divers et le procès médiatique
Même dans la vie quotidienne, la liberté d’expression est instrumentalisée. En Tunisie, les réseaux sociaux sont devenus des arènes où se déroulent des procès médiatiques, souvent avant même que les faits ne soient établis. Des vidéos virales ou des rumeurs peuvent déclencher des lynchages publics, alors que la justice n’a pas encore tranché. La présomption d’innocence est bafouée, et les individus sont jugés sur la place publique, au détriment d’une information fiable et critique.
Le réservoir de connaissances biaisé
S’exprimer librement ne suffit pas : chaque parole repose sur un bagage de connaissances. Si ce réservoir est biaisé, erroné ou pollué par la désinformation, la liberté d’expression devient une illusion. La parole, sans un savoir critique, se transforme en vecteur d’aliénation plutôt qu’en outil d’émancipation. Les bulles informationnelles et les médias concentrés limitent l’accès à des points de vue divers, uniformisant les discours et affaiblissant le débat démocratique.
Le bruit médiatique : l’ennemi de la liberté
La manipulation, qu’elle soit politique ou sociale, corrode l’ensemble de l’écosystème de l’information. Une fois découverte, elle ne nuit pas seulement à un fait particulier : elle décrédibilise les sources fiables, érode la confiance dans les médias et crée un environnement saturé de bruit, où il devient difficile de distinguer le vrai du faux. La liberté d’expression, pourtant tant acclamée, se trouve paradoxalement anéantie par l’excès même de liberté qui l’entoure.
Vers une véritable liberté
La vraie liberté d’expression ne consiste pas seulement à parler, mais à pouvoir penser, vérifier et réfléchir. Elle nécessite un accès à des informations fiables et diversifiées, une éducation aux médias et une régulation des contenus pour éviter la manipulation. Sans ces garde-fous, la parole demeure libre en apparence, mais son impact et sa valeur sont profondément compromis.