Il faut dire les choses comme elles sont.
Le drame de l’architecture aujourd’hui ne réside pas uniquement dans les lois absurdes, les pouvoirs voraces ou les spéculateurs triomphants.
Le drame le plus profond, le plus insidieux, c’est celui des architectes eux-mêmes.
Ceux qui devaient être les éclaireurs des villes sont devenus des figurants dans des tragédies bétonnées.
Pire encore : des complices zélés ou des consciences anesthésiées.
Aujourd’hui, l’architecte – partout dans le monde – se divise en trois grandes catégories.
Trois visages d’un même naufrage.
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1. Ceux qui sont mal formés – diplômés mais ignorants
Ils sortent d’écoles d’architecture sans avoir jamais lu un texte fondateur, sans avoir douté une seule fois de leur rôle dans le monde.
Ils connaissent les logiciels mais ignorent les lieux.
Ils savent modéliser, pas penser.
Ils dessinent des boîtes, mais ne comprennent rien à l’acte d’habiter.
Ils parlent de “design” comme on parle de mode, sans jamais se demander ce que veut dire bâtir pour les vivants.
> Ils construisent parce qu’ils ont un diplôme, pas parce qu’ils ont une vision.
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2. Ceux qui désespèrent – lucides mais brisés
Ils ont compris, dès le début. Ils ont rêvé d’une architecture éthique, ancrée, réparatrice.
Ils ont voulu soigner les lieux, servir la société, faire œuvre utile.
Mais très vite, ils se sont heurtés aux humiliations, à la vulgarité du marché, à la solitude.
Alors ils errent, souvent brillants, toujours fatigués.
Ils se retirent peu à peu, dans le silence ou dans le doute.
Ils survivent, mais ne construisent plus.
> Ils sont les consciences douloureuses d’une profession malade.
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3. Ceux qui pourrissent – bien intégrés, mais corrompus
Eux ont fait un choix. Ils ont compris les règles du jeu – et ont décidé d’en tirer profit.
Ils signent des horreurs, négocient des commissions, décorent les prisons sociales avec des façades séduisantes.
Ils parlent le langage du compromis, fréquentent les puissants, serrent des mains sales avec des gants blancs.
Ils se revendiquent “pragmatiques”. En réalité, ils ont vendu l’âme du métier pour une part de marché.
> Ce sont les architectes du cynisme. Ils tuent la profession à coups de contrats bien ficelés.
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Et maintenant ?
On peut continuer à faire semblant.
À applaudir des prix creux. À organiser des congrès vides. À répéter que l’architecture est “un art noble”.
Ou alors, on peut regarder en face cette vérité brutale :
> L’architecture est trahie de l’intérieur.
Et tant que les architectes ne se révoltent pas contre eux-mêmes, rien ne changera.
Mais il reste des voix.
Celles qui doutent, qui s’indignent, qui refusent.
Et tant qu’il reste ces voix-là, tout n’est pas perdu.