Aujourd’hui, j’éprouve le besoin d’ouvrir une fenêtre sur mon propre chemin, avec honnêteté et sans détour, pour mieux comprendre d’où vient ma révolte face à la réalité que vivent les jeunes architectes.
Ce que je souhaite partager ici, c’est moins un constat accusateur que le mea culpa d’un parcours où, sans toujours m’en rendre compte, j’ai parfois contribué à entretenir les mêmes mécanismes que je déplore aujourd’hui.
Ce regard lucide sur moi-même est la première étape pour penser autrement notre avenir collectif.
Autour de moi, je vois de nombreux jeunes architectes qui, malgré une énergie certaine et une réelle volonté, semblent souvent enfermés dans des sentiers balisés.
Ils reproduisent, souvent sans le vouloir, des modèles hérités, parfois usés, qui limitent leur capacité à innover ou à s’affirmer pleinement.
Ils reprochent souvent à la génération précédente de freiner leurs élans, et je reconnais que cette critique est parfois fondée. Peut-être qu’à leur âge, j’aurais ressenti la même frustration.
Beaucoup rejettent l’intérieur du pays, qu’ils perçoivent comme un exil, une contrainte à leurs ambitions. Sur ce point, il est possible que nous ayons tous raison, chacun à sa manière, selon nos vécus et nos perspectives.
La force dans le corps et l’ambition brûlante m’habitaient aussi à leur âge. Je dénigrais alors la pesanteur de la sagesse et le poids de la raison. Je voulais épouser la fille de mes rêves, avec qui nous avons bâti des rêves à deux.
C’est sans doute ce mélange d’ardeur et d’idéaux partagés qui donne à cette jeunesse sa justesse, même si le chemin reste semé d’embûches pour tous.
En regardant mon propre parcours, je vois les moments où, par confort ou peur, j’ai préféré le compromis à la prise de risque, acceptant des règles du jeu qui ne me satisfaisaient pas pleinement.
Ces renoncements, souvent silencieux, ont contribué à perpétuer un statu quo dont je mesure aujourd’hui les limites et les dégâts.
Je ne cherche pas à me disculper, mais plutôt à comprendre comment, malgré mes intentions, j’ai pu devenir complice malgré moi d’un système qui étouffe la créativité et l’audace.
Ce constat m’amène à croire que le changement ne viendra pas seulement de l’extérieur, mais d’une révolution intérieure, d’une exigence personnelle renouvelée.
J’étais comme un Beaujolais nouveau, plein de vie avant même d’être goûté. Je ne suis ni Zorro ni messie, bien loin de porter des valeurs héroïques. Ce qui m’étonne, c’est de voir à quel point certains font encore la différence entre créer et produire, alors que l’essentiel est que mon client soit satisfait, et que le travail réponde à ses attentes.
Si, par miracle, je rencontrais ce jeune homme que j’ai été, je le prendrais par la main et, avec toute la tendresse du monde, je l’écouterais sans dire un mot. Car l’expérience se vit, et le chemin se parcourt, avec ses doutes, ses erreurs, et ses éclairs de lumière.
Au-delà des critiques et des frustrations, je crois fermement que le véritable changement commence en chacun de nous, par une volonté sincère de questionner nos habitudes et de réinventer notre manière de faire.
Il ne s’agit pas de rejeter le passé ou de renier nos acquis, mais de les mettre au service d’une pratique plus audacieuse, plus responsable, et plus ouverte aux possibles.
Nous avons tous le droit de manquer de respect quand notre dignité est bafouée. Mais les seniors ne doivent pas non plus caresser dans le sens du poil une nouvelle génération qui doit, au contraire, garder la flamme de l’oppression allumée, pour que nos jeunes accomplissent enfin cette révolution que nous avons manquée.
Que la vérité dérange, que la colère brûle, et que ceux qui craignent le feu se préparent à être consumés, car c’est dans la braise des dissidences que renaît toute révolution
Note de l’auteur :
« Cette tribune est publiée simultanément sur plusieurs plateformes afin de toucher un public large et diversifié. Elle témoigne de mon engagement personnel et professionnel pour un dialogue ouvert et sincère autour des enjeux de l’architecture et de la jeunesse. »
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