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Billet de blog 26 juillet 2025

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Les fossoyeurs de l'esprit par Ilyes Bellagha Architecte

Une critique sans concession du conservatisme qui gangrène la Tunisie, de la démission civique du peuple, et de la médiocrité structurelle illustrée par la crise de l’Ordre des Architectes. Un appel à résister, penser, et construire autrement face aux fossoyeurs de l’esprit.

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Il est des maladies qui rongent un corps de l’intérieur, comme une agression de ses propres cellules contre lui-même. Ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie, chez les dirigeants comme chez les dirigés, en est un symptôme criant. Le conservatisme y prospère non comme refuge, mais comme renoncement. On ne pense plus : on répète. On ne construit plus : on imite. On ne rêve plus : on consomme ce que d’autres ont rêvé pour nous.

Les idéologies ressassées datent d’un autre siècle — littéralement. Des références molles à des courants poussiéreux, autoritaires, moralistes, parfois même inspirés de la pensée de Vichy. Et pourtant, ces idées mortes sont vendues comme des vérités nouvelles par des faussaires devenus maîtres. Ils se prennent pour des intellectuels parce qu’ils citent des auteurs mal lus, et finissent par croire qu’une citation vaut une pensée.

Mais le plus tragique est ailleurs : ils ne gèrent pas un pays, ils gèrent des intérêts. Des intérêts privés, égoïstes, immédiats. Ils prétendent œuvrer pour l’intérêt général, mais n’en comprennent même plus le sens. L’intérêt général, ce n’est pas un slogan. C’est une construction collective, lente, exigeante. C’est ce qui transcende nos égos pour faire tenir ensemble une société. C’est ce qui nous oblige à penser plus loin que notre siège ou notre mandat.

Et pendant ce temps-là, le peuple, lui, refuse souvent d’assumer son rôle. Il ne veut pas devenir citoyen : il préfère rester spectateur, parfois même victime volontaire. Il rejette toute responsabilité sur un “autre” flou, souvent caricatural. Une panne d’électricité ? Un coup des sionistes. Une chasse d’eau qui fuit ? Encore eux. Cette infantilisation politique et morale est la meilleure alliée des tyrannies molles.

Et puis il y a l’Ordre des Architectes, microcosme parfait de ce naufrage collectif. On aurait pu croire que ce corps, censé incarner une éthique de l’espace, de la culture et de l’avenir, serait un bastion de résistance. Mais il n’est devenu qu’une cour administrative, où l’on s’agite non pour défendre une profession en danger, mais pour désigner les prochaines poules à placer dans les couloirs. Pendant ce temps, les renards rôdent sur les chantiers, saccagent, imposent, rackettent — et on regarde ailleurs.

La médiocrité n’est pas accidentelle : elle est devenue structurelle et systémique. Elle est cultivée, protégée, recyclée. Elle empêche tout sursaut collectif. Et tant que nous continuerons à réduire la pratique architecturale à un service administratif ou une chasse aux marchés, nous trahirons la culture et la ville, et nous trahirons aussi la dignité de ceux que nous prétendons servir.

Peut-on encore parler de culture, d’art, d’architecture dans ce climat ? Oui. Mais à une seule condition : ne plus parler pour plaire, ne plus créer pour décorer, mais résister, dénoncer, et construire autrement. Il nous faut réapprendre à dire non. Non à la soumission, non au confort, non à la trahison intellectuelle.

La révolution n’a pas échoué. Ce sont ses héritiers qui l’ont vendue.


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Ilyes Bellagha
Architecte ITAAUT
Militant pour une architecture éthique et une culture de la dignité
📞 +216 95 691 165
✉️ bellagha_ilyes@yahoo.fr

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