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Billet de blog 28 juillet 2025

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Confusion générale

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Tunisie, l’effondrement de certaines institutions ne relève pas uniquement d’un manque de compétence. Il plonge ses racines dans un mal bien plus profond : une culture de la confusion, ancrée à tous les étages de la société, de l’artisan au président.

Première confusion : celle entre intérêt général, intérêt commun et intérêt particulier. À force de les confondre, on fabrique des citoyens qui, quel que soit leur niveau d’instruction, justifient l’accaparement ou le repli sur soi au nom d’un vague “bien commun”. L’intérêt général devient un slogan vidé de sa substance, instrumentalisé pour masquer les privilèges ou les démissions collectives.

Deuxième confusion, plus universelle mais tout aussi destructrice : celle entre le juste et le bien. Or, toute civilisation digne de ce nom s’est construite sur une tension féconde entre ces deux principes. Le juste, c’est la règle qui s’applique à tous ; le bien, c’est ce que chacun estime personnellement désirable. Quand on mélange les deux, on ouvre la porte à toutes les dérives, car on croit moral ce qui est seulement légal, ou inversement.

Troisième confusion, enfin, plus contemporaine : croire que démocratie signifie liberté sans bornes. Non. La démocratie, c’est un équilibre entre droits et devoirs, dans un cadre de responsabilité collective. En faire un absolu libertaire, c’est la condamner à l’impuissance ou à la récupération.

La crise de l’Ordre des Architectes de Tunisie en est une illustration frappante : une institution prise en otage par des ego blessés, des intérêts contradictoires, et des acteurs qui se proclament élite tout en incarnant l’impasse de la confusion. Ici, l’incompétence n’est pas un accident, elle est produite par l’impossibilité, pour ces acteurs, de penser au-delà d’eux-mêmes. Leur approche devient dérisoire, presque grotesque, tant elle est déconnectée des enjeux collectifs. L’ego prime sur la règle, la posture sur la rigueur. Face à cela, il ne reste peut-être qu’une issue : une amputation symbolique. Couper ce qui fait écran à la reconstruction. Oser la rupture pour retrouver un sens.

Ces trois confusions, conjuguées, expliquent aussi l’étrange alignement entre l’entêtement d’un conseil dissous, les dérives d’un ministre naïf, et le silence d’un président qui considère cette affaire comme un simple litige interne à une profession. Tous baignent, à leur niveau, dans une même matrice pathologique. Et le plus inquiétant, c’est que cette pathologie est devenue système.

Nous sommes face à une société où même les élites, parfois malgré elles, sont déformées par une culture qui brouille les repères. Ce n’est pas seulement de la médiocrité — ce serait presque trop simple. C’est pire : une désorientation intellectuelle profonde, qui rend les responsabilités floues, et les devoirs inaudibles.

Face à cela, que faire ? L’électrochoc, peut-être. Ou la pédagogie, tant qu’il reste une étroite fenêtre de liberté. Rien ne garantit la victoire. Mais le combat, lui, mérite d’être mené.

Ce que cette crise révèle, en vérité, dépasse l’Ordre des Architectes ou même le champ de l’urbanisme. C’est d’un mouvement profond dont il s’agit — un soulèvement intime et collectif contre les illusions qui nous gouvernent. Une révolution culturelle lente, sans héros ni messie, qui exige de déconstruire les certitudes, de secouer les conforts, de refuser les hypocrisies jusque dans nos propres milieux. Ce combat ressemble parfois à celui de Don Quichotte face aux moulins à vent : disproportionné, moqué, voué à l’épuisement. Mais dans une société malade de ses confusions, toute tentative de clarté est déjà une insurrection. C’est cette insurrection douce, radicale et lucide que je choisis d’habiter, même seul. Car ce n’est pas le nombre qui fait la justesse d’un combat, mais sa nécessité.

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Ilyes Bellagha – Architecte

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