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Billet de blog 30 juillet 2025

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Nus devant le vide

> L’architecture vraie est un acte d’amour, de nudité face au vide. Ce texte dénonce ceux qui, soumis aux lois du marché, ont troqué le désir de créer contre la rentabilité. Entre le créateur-amant et le bâtisseur-prostitué, une fracture : l’un s’abandonne à l’œuvre, l’autre vend ses gestes. Et l’architecture, elle, se meurt en silence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il entre nu. Plus nu que sa feuille blanche.

Non pas sans vêtements, mais sans défense.

L’architecte, quand il est vrai, ne commence jamais habillé.

Il n’a que son souffle, ses doutes, et une nécessité : commencer.

Face au vide, il n’impose rien.

Il séduit.

Un jeu subtil s’installe, presque charnel.

Lui, le dragueur d’espaces, le caresseur de lignes.

Elle, la promesse d’un lieu encore fermé, qui se donne peu à peu, à condition qu’il la mérite.

La contrainte n’est pas un obstacle. C’est la règle du jeu.

Sans elle, il n’y aurait pas de tension.

Et sans tension, pas de désir.

Le projet devient alors une conquête.

Mais une conquête qui ne se livre qu’au geste juste,

à celui qui trace comme on effleure,

qui pense comme on murmure.

L’architecte ne copie pas.

Il invente un corps.

Et chaque courbe, chaque ligne, chaque vide qu’il frôle,

il les voit comme un vieil amant voit une peau qu’il croit reconnaître, mais qui l’étonne encore.

Car le vrai créateur ne possède jamais.

Il redécouvre.

---

En matière d’abandon, il y a deux façons de s’effacer.

Deux corps, deux postures, deux vérités.

Il y a celui qui crée, et qui s’abandonne avec douceur.

Il se livre sans armes, trace sans défense,

aime sans posséder.

Lui ne cherche pas à dominer,

mais à révéler,

à accompagner le lieu jusqu’à ce qu’il s’ouvre de lui-même.

C’est un amant, pas un maître.

Et son œuvre n’est pas un produit,

mais un frisson figé dans la matière.

Et puis il y a l’autre.

Celui qui abandonne sa dignité pour mieux obtenir.

Celui qui ne s’abandonne pas à la création,

mais plie son désir à des logiques de retour.

Il ne caresse pas : il force.

Il ne découvre pas : il impose.

Il viole le silence des lieux

pour en extraire une forme rentable, conforme, livrable.

L’un aime pour donner.

L’autre prend pour vendre.

Et ce sont les seconds, aujourd’hui,

qui peuplent les appels d’offres et les jurys.

Ce sont eux qu’on applaudit pour leur performance.

Ce sont eux qui habillent l’architecture d’un costume de marché,

alors qu’elle n’a jamais été aussi nue, aussi blessée.

---

Il fut un temps où tracer, c’était frissonner.

Où concevoir, c’était s’engager.

Aujourd’hui, l’architecte n’a plus le droit d’aimer.

On l’exige performant, rentable, propre sur lui et sale dans ses compromis.

Ce ne sont plus des écoles,

ce sont des fabriques à prestataires.

Des lieux où l’on n’enseigne plus à désirer,

mais à obéir aux appels d’offres,

à réciter les normes comme on lit un tarif.

Les concours sont des étals,

les jurys des clients pudiques,

et les architectes qui s’y prêtent des corps dociles,

prêts à tout pour une mention, un poste, une commande.

Il ne faut pas trop vibrer,

juste séduire sans troubler,

livrer sans déborder,

jouir sans éclabousser.

Et les Ordres ?

Ils veillent non pas sur l’éthique,

mais sur le silence des chambres,

celles où l’on fait passer les projets comme on trie les corps.

Ils ne défendent plus l’amour du geste,

ils gèrent la circulation des désirs tarifés.

Alors oui :

L’architecte véritable est en voie d’extinction,

non pas par manque de talent,

mais par excès de clients.

---

Et puis, il y a ceux qui administrent, qui organisent,

qui décident de ce qui est beau, permis, recevable.

Mais peut-on encore politiser l’architecture

quand ceux qui nous dirigent sont devenus des eunuques culturels ?

Privés du feu, amputés du désir,

ils ne peuvent plus créer.

Alors ils gardent.

Ils gardent les harems des promoteurs.

Ils surveillent les corps d’ouvrage,

vérifient la soumission des gestes,

organisent l’excitation rentable,

eux qui n’éprouvent plus rien que la peur de perdre leur place.

Ils ne sont ni bâtisseurs, ni amants.

Ils sont les gardiens d’un bordel institutionnel,

où l’amour du lieu est interdit,

où l’on construit sans jamais trembler.

---

Pendant ce temps,

certains, encore,

entrent nus.

Face à la feuille,

face au vide,

face à ce lieu qu’ils refusent de violer.

Ils n’ont ni devis ni promesse.

Seulement ce frisson…

qui ne rapporte rien.

Mais qui

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