L’école à été mon premier champ de bataille
En France, j’avais six ans. J’étais le seul Arabe de l’école, et cette différence, je la portais comme une ombre. Les enfants de mon âge ne me montraient pas de haine, pas de racisme crié à la récréation – non, c’était pire que cela. C’était le rejet social, cette distance polie mais implacable, ce mur invisible qui se dressait entre eux et moi.
Pourtant, mes vêtements étaient neufs. Mon père, malgré la pauvreté , tenait à ce que nous allions à l’école, mes frères et moi, habillés convenablement. Il disait souvent : « On n’est pas riches, mais on n’est pas des mendiants. » Alors, chaque rentrée scolaire , il économisait pendant des mois pour nous acheter des vêtements neufs .
Mais peu importait la propreté de nos habits : mon origine arabe trahissait la précarité de notre vie.
Mes parents ne savaient ni lire ni écrire. Ma mère, elle, s’habillait comme en Algérie – longues robes colorées, foulards noués avec soin –, avec cette élégance modeste, ce mélange de fierté et de décalage, attirait les regards. Pas des regards admiratifs, non. Des regards moqueurs qui disaient : « Vous n’êtes pas d’ici. »
À l’école, la première année en cours préparatoire je ne parlais pas un français convenable, je ne comprenais pas très bien tous les mots et certains de mes camarades de classe riaient. Je rougissais, je me sentais humilié.
J'étais Français mais je ne me sentais pas Français, chez moi à la maison on parlait l'arabe, on cuisinait comme en Algérie, on célébrait toutes les fêtes musulmanes , le Ramadan, l'Aïd , ma mère nous mettait du Henné sur les mains, les cheveux, je n'ai jamais su pourquoi.
J'ai vécu avec cette culture, tout était à l'intérieur de la maison, je suis très attaché à ma culture, je connais l'hospitalité des musulmans des gens du Maghreb, des gens intelligents, intelligence du coeur et de fraternité .
Dehors c'était une autre vie, je parlais Français, je vivais comme un enfant français à la différence que je ressentais le rejet surtout au niveau des parents de mes copains, certains parents qui me laissait sur le seuil de leurs porte de leurs maisons.
Ils étaient méfiant à mon égard, un Arabe et pauvre, c'est forcément un mauvais garçon à ne pas fréquenter.
Le plus difficile à vivre était le rejet social.
Aujourd'hui avec la montée de l'extrême droite, le rejet des arabes, des musulmans, des pauvres , de ces gens que l'on considèrent encore comme des colonisés, je suis en train de revivre mon enfance et ce rejet social.
L'extrême droite n'aime pas les pauvres, considère les pauvres comme des perdants, des assistés , des gens d'en bas , si vous rajoutez que vous êtes Algérien, c'est la double peine .
Je suis de fils de harki mais je me sens proche, très proche de ma culture musulmane et algérienne, bien plus que celle des Français racistes et extrémistes de droite.
Et je veux dire à ces gens-là que je me sens pleinement Français. Un fils de harki qui n'aime pas les racistes de l'extrême droite .
Mes parents, eux, ne se plaignaient jamais. Mon père travaillait sur les chantiers, rentrait épuisé, mais trouvait toujours le temps non pas de nous aider à faire nos devoirs, il était illettré mais il était le premier à nous encourager.
Mes parents ne parlaient jamais de leur propre souffrance, de leur propre exclusion. Ils nous répétaient simplement : « Travaillez à l’école. C’est votre arme. » Alors, je travaillais. J’apprenais. Pas pour eux, pas pour les autres, mais pour moi.
Pour un jour pouvoir franchir ces portes qu’on me fermait, pour un jour ne plus être cet enfant qui reste sur le seuil.
Aujourd’hui, quand je repense à cette époque, je me dis que ces années m’ont appris une chose : la dignité ne se mesure pas à l’aune des regards des autres. Elle se puise dans le silence obstiné de ceux qui refusent de plier, dans la fierté de ceux qui, malgré tout, continuent à se tenir droits.
Mon père avait raison : l’école a été mon arme. Pas pour me fondre dans la masse, pas pour ressembler aux autres mais pour exister. Pour transformer cette ombre que je traînais en une lumière qui m’appartenait.
Et si, aujourd’hui, je franchis les portes sans qu’on me retienne sur le seuil, c’est grâce à eux.
Grâce à leur silence, à leur travail, à leur amour inconditionnel.
Car au fond, peu importe d’où l’on vient. Ce qui compte, c’est où l’on va.
Et moi, j’ai choisi d’avancer.