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Ben MOUBAMBA

Docteur en philosophie (Université de Reims) ; Docteur en sciences politiques (EHESS - Paris).

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Billet de blog 17 août 2013

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Gabon / Monsieur le Président les gens sont fatigués de votre demi-siècle de pouvoir !

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Parce que nous nous sommes exprimés par avance sur la caractère non innovant du discours attendu du Président Ali Bongo à l’occasion des 53 ans « d’indépendance » du territoire gabonais, il n’est nulle question ici de revenir sur l’autosatisfaction affichée par le Chef de l’Etat et son auto-congratulation habituelle.  Laissant l’Union du Peuple Gabonais (UPG) réagir sur le fond du propos présidentiel, nous nous bornerons à ne retenir que trois aspects qui ont profondément gêné une grande partie des Gabonais en écoutant le locataire-propriétaire du Palais du Bord de Mer. Un des plus mauvais signaux affichés par le Président Ali Bongo Ondimba s’adressant au Peuple Gabonais, a consisté dans son nouveau discours sur « l’indépendance » du Gabon à menacer certains Gabonais en filigrane.

  1. Première menace : M. Ali Bongo dit qu’il n’apprécie pas la « critique stérile ». Il n’en demeure pas moins cependant qu’il doit comprendre en tant qu’homme d’esprit que la civilisation greco-romaine a dominé le monde par son aptitude  à discuter de la chose publique (res publica) en dehors des canaux initiatiques exclusivement.  La culture du secret initiatique  et de la magie a fini par perdre la grande Egypte quand Athènes puis Rome ont compris qu’un seul homme (fut-il le plus savant de la Cité) ne peut être supérieur à l’ensemble de la Cité. De l’Agora aux logiciels libres la supériorité de l’Occident (lui qui adore la Grande Bretagne) est fondée sur sa capacité à mutualiser les efforts et donc à remettre en question ses propres certitudes, on le sait entre autre grâce au Discours sur la méthode de René Descartes  ou à la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant. Interdire aux citoyens de critiquer est une manière de figer le semblant de débat national dans des cercles secrets et c’est précisément ce qui fait reculer l’ensemble du continent africain depuis la nuit des temps. Si nous voulons avancer, il faudra que ceux qui dirigent acceptent l’exercice de la libre critique publique. Mais il faut quand même reconnaître qu’il est plus aisé aujourd’hui de critiquer Ali Bongo Ondimba que son père et c’est déjà une avancée. Après tout c'est en utilisant l'émission des "Dossiers de la RTG" que les "rénovateurs" de l'époque ont commencé à déstabiliser le pouvoir des vieux caciques entourant le deuxième Président du Gabon. C'est au moyen de la critique des journalistes agissant sur ordre qu'ils ont fait avancer leurs idées. Ou était la critique stérile dans ces années 80/90 ?
  2. Deuxième menace : Le Président Bongo n’a pas à terroriser une partie de son Peuple en affirmant que ceux qui ne veulent pas monter dans le "train de l’émergence" à la gabonaise (son pouvoir ou sa vision du Gabon) resteraient sur le quai. Que veut-il dire par cette image ? Les déraillements de trains ces dernières semaines en France et en Espagne auraient pu amener le Président à user de prudence en utilisant une telle allégorie. D’abord, dans un pays démocratique, les gens ne sont pas obligés d’applaudir des deux mains à ce que dit le Chef de l’Etat car même le Président français peut être hué dans la rue sans que cela ne remette en cause les fondements de la République puisque la « res publica » est d’abord la chose du Peuple et non le jouet d’un seul individu quelque soient ses qualités. Ali Bongo Ondimba a des qualités (il s’est révélé être le meilleur du « gang » des rénovateurs qui ont pris les manettes de l’Etat gabonais à l’orée des années 1990) mais il devrait faire un effort pour se départir de certaines réactions qui font craindre qu’il agisse en « enfant gâté » du système à qui on devrait tout. Et il ne faudrait pas qu’il prenne les ralliements de certains opposants illuminés comme la chose la plus normale. Nous ne sommes pas tous des affamés destinés à venir rendre les armes devant la Président. C’est plutôt le Gabon qui est largement perdant en ce que les autorités gabonaises préfèrent exclure une grande partie de ses citoyens qui ne veulent pas devenir membres du système politique qui gangrène le Gabon depuis un demi-siècle (ce qui est une aberration) au lieu de « libéraliser » le pays pour que tous ses enfants s’y sentent à l’aise malgré les divergences des opinions.  Il n’y a plus qu’au Gabon et en Afrique francophone qu’on entend ce genre de discours : qui n’est pas avec moi est contre moi ! Si le Gabon périclite un jour ce sera à cause de l’autisme politique du pouvoir gabonais qui pense que l’argent permet tous les excès.

  3. Troisième menace : Ali Bongo dit en quelque sorte que c’est lui ou le chaos quand il affirme ceci : « nous nous réjouissons d'être une fois de plus unis et en paix. » Mais le Gabon n’a jamais été aussi divisé ! La tectonique des plaques sociopolitiques laisse clairement apparaître une fragmentation du tissu national et une « ivoirisation » des esprits latente depuis 2009 et à cela, il n’a été apporté aucune solution politique satisfaisante. Les Gabonais se regardent avec suspicion, de nouveaux roitelets ont été envoyés dans les neufs provinces pour maintenir un semblant d’ordre « émergent » au moyen de la corruption et de la violence dont les crimes rituels sont la pointe émergée (justement) de l’iceberg. La paix gabonaise reste une pure vue de l’esprit puisqu’elle fait plus de morts que certains conflits armés en Afrique. Voyez la Côte d’Ivoire : on sait officiellement que le conflit postélectoral aurait fait plus de 3 000 morts ! Considérons la République de Centrafrique où l’arrivée de la rébellion SELEKA aura entrainé la mort de plusieurs centaines de morts. La paix gabonaise est à l’origine de la stagnation de notre population à cause de la forte mortalité de la mère et de l’enfant. On meurt trop au Gabon et les entreprises les plus florissantes sont justement les pompes funèbres. On meurt du SIDA, des fièvres de tous genres et de maladies les plus anodines. La famine qui ne dit pas son nom au Gabon pousse des gens du 3e âge au travail des champs jusqu’à ce que mort s’en suive. Peut-être pour pallier les carences démographique de notre pays ou pour d’autres desseins, le Gabon ouvre ses frontières sans discernement  et pour des raisons mercantiles (car on vend les papiers d’identité à des prix exorbitants aux étrangers et on modifie lentement mais surement l’âme du Gabon), ce qui n’est pas sans conséquences sur la sécurité des biens et des personnes. L’inflation des marabouts et des cercles ésotériques poussent les « élites » à recourir à la pensée magique au détriment de tout esprit rationnel et tout  sens pratique. De hauts responsables de la République enterrent vivants des bœufs dans leurs jardins quand ils ne commanditent pas des crimes rituels, des enlèvements ou des « escadrons de la mort » sont monnaie courante mais à part cela, nous sommes unis et en paix monsieur le Président de la République. Réveillez – vous donc et remettez – vous de temps en temps en question. Ce serait le début de votre rédemption. Croyez – moi, la puissance ne suffit pas et vous le savez, jour après jour !  Sinon, on ne peut qu’être en accord avec vous quand vous dites que nous sommes un « grand peuple » ! Oui, mais un grand Peuple au nom duquel on a commis des crimes impardonnables et qui demandent la repentance nationale : déstabilisation d’autres pays africains, assassinats divers et attentats variés, crimes économiques? Djoué Dabany …etc. Le salut de ce grand Peuple passe aussi par une "repentance nationale" quelque soit la forme qu’elle prendra car ces crimes handicapent l’avenir des nouvelles générations et c’est évident : trop de secrets nuit au secret !

En conclusion, le discours 2013 du Président Ali Bongo est tragique plus que d’accoutumé. Pourquoi ? Parce qu’est apparu très clairement aux yeux de l’opinion nationale et internationale qu’il n’a pas les moyens de ses ambitions mais n’ose pas le reconnaître. Non seulement, il n’a pas dit aux gens pourquoi notre pays est obligé d’emprunter des centaines de milliards de francs CFA mais il n’a même pas remercié des pays comme la Chine, qui lui ont pourtant sauvé la mise plus d’une fois comme avec le Stade d’Agondjé qui lui a été offert in extremis par les Chinois à l’occasion de la CAN 2012 et cela a été une bonne chose pour l’image du Gabon.  De plus, les tronçons de route, le barrage du Grand Poubara et certaines réalisations qui sont portées à son actif viennent de la coopération chinoise.

Le Président ne veut pas voir que les gens sont fatigués de leur demi-siècle de pouvoir 

L’hémorragie financière et l’inflation de la dépense publique ne sont pas justifiables ni quantifiables sur le terrain, voilà un problème des plus gênants et il ne faudrait pas le dire. Le Gabon est politiquement, économiquement et socialement un bateau ivre qui ne sait pas où il va. Encore une fois, nous sommes plus riches que les Emirats Arabes Unis (Dubaï compris) mais ce n’est pas ce que les Gabonais et le monde voient sur le terrain.  Et il ne faudrait pas le dire non plus ? Mais enfin, monsieur le Président ce n’est pas sérieux ! Vous avez assez de zélateurs et de cireurs de chaussures autour de vous pour supporter quelques critiques d’esprits insoumis. Et ce n’est pas en disant que tous les acteurs politiques doivent s’associer au Président que les choses vont s’améliorer. A moins que son projet in fine soit de mettre en place au Gabon une sorte de management chinois avec un Parti prépondérant qui ne laisse aucune autre organisation subsister. Certains signaux ne trompent pas : les législatives et les locales à venir ! Mais cela, votre illustre père l’a déjà essayé et on sait que cela n’a rien donné de bon à l’exception de la floraison de nombreux « éléphants blancs » (des projets pharaoniques sans queue ni têtes qui ont échoué du CICIBA (centre des civilisations bantoue) à Africa no 1 ou d’autres projets d’agro-alimentaires pour ne citer que ces initiatives.

Ceci dit, nous devons rester sereins car la méthode du Président Ali Bongo souffre d’une carence majeure : on ne peut pas vouloir faire le bonheur des gens malgré eux.  Tant que le Gabon n’aura pas donné les moyens à ses citoyens d’exprimer chacun le génie de sa     propre âme et tant que l’Etat (c’est-à-dire le parti au pouvoir depuis un demi-siècle) se sentira propriétaire de tout y compris de l’âme des gens, notre pays continuera à s’enfoncer dans les méandres de l’Histoire et devrait disparaître avant la fin du 21e siècle. Quand le Président se présente comme une personne ayant une vision, on ne demande qu’à le croire mais tout porte à croire que c’est plutôt une hallucination. C'est une hallucination parce qu'il n'a pas vu que le 16 août la parade culturelle a été un échec (peu de populations se sont déplacées comme pour exprimer leur désarroi) et les prestations ont été pathétiques. C'est bien le signe que tout ne va pas si bien dans le meilleur des pays émergents. L'émergence en 2025 ? Mais beaucoup d'entre nous serons déjà morts au vu de la faible espérance de vie au Gabon (autour de 50 ans). Les Gabonais veulent des changements ici et maintenant et non des discours ou des jeux.

Bruno Ben MOUBAMBA

bruno@moubamba.com

Homme politique gabonais

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