 
    Une révolution métaphysique aiderait le continent africain et le Gabon car le Mal est en train de se déployer dans le monde en général et en Afrique en particulier (à l’exemple des crimes rituels au Gabon) d’une manière exceptionnelle. Est-ce la fin de ce monde comme le prétendent certains « prophètes » de malheur ? Sans doute que non ! Même si nous les augustiniens pensons que nous assistons à un vieillissement du monde et nullement à son progrès. Précisément et pour en revenir au problème théologico-politique gabono-africain, l’approche du phénomène du Mal doit revêtir un vêtement ontologique qu'il n'avait pas chez notre maître Saint-Augustin, tout en continuant d'être défini comme une privation ou une déformation plus qu’une entité en soi. Pour le plus grand des Pères de l'Église, le mal n'est privation que parce que l'Être est en tant que tel bon (c'est d'ailleurs ce qui fait que Dieu ne pouvait créer qu'un monde bon) : le mal n'est pas lié à la nature des choses créées mais à leur corruption.
1. L’Afrique et la nécessaire délivrance à venir du Mal
Un « moderne » tel que Leibniz a introduit, à côté des deux formes du Mal que distingue la tradition chrétienne (« mal naturel » et « mal moral »), une troisième forme : le « mal métaphysique » qui constitue en quelque sorte le soubassement des deux figures classiques et qui se confond avec l’imperfection originale de la créature avant le péché. Il a, à ce titre, sa source dans l'entendement divin, plus précisément dans la « région des « vérités éternelles » . Nous Gabonais, nous Africains ne devrons plus céder au fatalisme car pour tout être-humain, La racine du Mal se trouve donc dans la finitude elle-même, qui fait que les créatures finies (et libres) sont capables d'erreurs et de fautes, et la différence du bien au mal est indissolublement liée à la gradation qui sépare le supérieur de l'inférieur.
Du point de vue de la tradition augustinienne, il y a là sans doute quelque chose de choquant et qui redouble l'erreur née de la question du « meilleur des mondes » : de la même manière qu'un monde peut être bon, parce que créé par Dieu, sans être « le meilleur », une nature créée peut être bonne tout en étant inférieure à une autre (et à Dieu). On doit cependant reconnaître que, philosophiquement, la thèse de Leibniz repose sur de fortes raisons : si l'on pose, comme saint Augustin, que créer c’est tirer du néant, que la création ex nihilo est la cause ultime du Mal, et que celui-ci concourt au Bien (comme mal physique et comme mal moral), il est difficile de ne pas conclure que le Mal naît de l'« imperfection originale des créatures » et qu’il a une place dans les calculs de l'entendement divin. C’est le mystère de l’œuvre de Leibniz qui apparaît comme le prolongement rationnel de l'orthodoxie augustinienne ou, au contraire comme sa radicale subversion.
2. Une révolution métaphysique et de nouveaux paradigmes sont nécessaires pour changer l’Afrique et faire évoluer positivement un pays comme le Gabon
Le changement du statut métaphysique du Mal sur les terres africaines ne se fera pas sans affecter celui de la Nature, en elle-même et dans ses rapports avec la foi des gens. Leibniz a procédé en infléchissant de manière apparemment insensible les conceptions classiques ou chrétiennes. Avec la notion d'ordre, saint Augustin avait établi une médiation entre la nature dite « païenne », autrement dit nos traditions animistes par exemple et le Dieu chrétien : l'ordre est à la fois ce qui régit la Nature et ce par quoi Dieu se régit lui-même, ce qui permet de concilier l'amour de Dieu et celui de la Nature créée, comprise dans son harmonie interne.
Les principes leibniziens du « meilleur » et de l'« harmonie préétablie » entre les substances créées remplissent des fonctions analogues : l'ordre qui régit l'action divine s'exprime dans la Création, qui inclut une multiplicité indéfinie de natures distinctes. Mais la nature créée de Leibniz n'est plus celle de notre maître saint Augustin, comme le montrerait une étude de la Monadologie.
Le principe même de la monadologie, qui veut que le monde soit constitué d'individus ou d'atomes spirituels uniques par essence, entraîne logiquement une transformation profonde, sinon un abandon de la notion de nature humaine même. Cette affection de la métaphysique classique (européenne) prend tout son sens dans l'usage que fait Leibniz de la notion d’entéléchie : alors que, pour Aristote, l'entéléchie était l'état de perfection atteint par un être qui accomplit pleinement sa nature, elle est pour Leibniz la tendance elle-même qui pousse la monade à se développer et à produire à partir d'elle-même toute la diversité dont elle est capable ; autrement dit : la fin naturelle des monades est d'affirmer leur individualité propre et non d'accomplir une nature commune.
Parallèlement, la conception augustinienne des rapports de la Nature et de la Grâce (le domaine de la Providence divine) connaît par voie de conséquence une transformation importante, qui est très claire dans la façon dont Leibniz traite la notion de Cité de Dieu : l'harmonie fait que les choses conduisent au providentialisme divin par les voies mêmes de la Nature (Monadologie) et l'avènement de la « Cité de Dieu » se confond avec la formation d'un monde moral, qui s'accomplit sans rupture avec le monde de la Nature.
3. Vers une Cité de l’Universel qui n’est pas la mondialisation libérale ?
L'évocation de la Cité de Dieu nous permet en fait de comprendre pleinement la portée de la philosophie de Leibniz et la façon dont elle transforme le problème du Mal et celui du gouvernement de la Providence. Pour une conscience finie (qui ne peut pas saisir in concreto comment le monde créé est de toute éternité le meilleur), l'avènement de la Cité de Dieu apparaît comme un progrès et comme le résultat d'un effort des hommes pour se conformer à la loi morale et pour combattre le mal ; la théodicée de Leibniz appelait ainsi un développement de la philosophie de l'Histoire (considérée comme le milieu où se réalise la Raison à l’œuvre dans le monde) et, parallèlement elle rendait possible une nouvelle reconstruction de la philosophie à partir du problème du conflit entre la métaphysique et la conscience finie. La Politique et la Religion sont-elles si incompatibles ?
De Platon à saint Augustin, l'évocation du gouvernement du monde par la Providence et par l'intelligence divine permettait de montrer l'incomplétude des Cités humaines naturelles et elle tendait aussi à légitimer une certaine subordination de la politique à la religion (celle-ci fût-elle, comme dans les Lois de Platon, une religion essentiellement politique) ; par sa conception des rapports entre l'entendement divin et l'harmonie naturelle de la création, Leibniz ouvre au contraire la voie à l'idée d'une autorégulation du monde humain, ce qui fait, paradoxalement de l'émancipation religieuse de la Cité terrestre, la condition de la réalisation de la Cité de Dieu. Le même renversement se retrouvera chez Hegel, sous une forme plus explicite : l'historicité est l'existence concrète de l'éternité, l'État chrétien est celui qui assure pleinement l'autonomie de l'ordre politique . La théodicée de Leibniz est une étape importante sur le chemin qui va du christianisme à la « fin de la religion ».
4. L’irrationnel et la volonté de l'Homme Africain
Au fond, Leibniz a ouvert une nouvelle période de la philosophie moderne en donnant un statut nouveau au problème de l'irrationalité (une spécialité du Gabon et de tous nos pays africains) : l'affirmation de l'universalité du principe de raison suffisante a pour effet de faire de l'irrationnel (du mal conçu comme condition du meilleur) un moment de la Raison. La thèse hégélienne qui veut que la Raison se réalise à travers l'irrationalité apparente (du conflit, de l'intérêt ou des passions, etc.) est une transposition de la distinction leibnizienne entre la volonté antécédente de Dieu, qui veut le Bien, et sa volonté conséquente, qu'il accomplit par la médiation du Mal : c'est en cela que la philosophie de l'histoire est pour Hegel la « véritable théodicée » .
Paradoxalement, ce rationalisme élargi a pour corrélat une certaine déchéance de la raison, ce qui se traduit par la place donnée à l'inconscient dans la philosophie de Leibniz : il y a déjà de la Raison dans l'instinct et dans les calculs inconscients de la perception qui peuvent donc parfois être pour nous des guides meilleurs que notre intelligence, « sourde » et « aveugle ». La théodicée de Leibniz se trouve donc à la source des deux grandes tendances de la philosophie allemande : celle qui s'épanouit dans le rationalisme absolu de Hegel, celle, « irrationaliste », qui va de Herder et des Romantiques à Schopenhauer et à Nietzsche.
Bruno Ben MOUBAMBA
bruno@moubamba.com
 
                 
             
            