Le 29 octobre 2025, en pleine discussion sur un amendement visant à créer une fondation pour la mémoire des harkis, le député LFI Abdelkader Lahmar déclare : « N’utilisez pas le mot harki, car il veut dire traître. Utilisez plutôt supplétif de l’armée française. » Il ajoute, se présentant comme « fils de personnes assassinées par l’armée française » : « Probablement, des harkis y ont participé. »
Ces mots ont résonné en moi comme une déchirure. Moi qui me suis toujours battu contre le racisme et l’exclusion, qui ai combattu le Front National, et qui combat le RN j'ai vu des immigrés dans des chantiers du bâtiment se faire insultés , méprisés, humiliés cela a forgé mon engagement dans la politique , qui ai marché aux côtés des Beurs en octobre 1983 – une marche dont beaucoup de gens ignorent qu’elle fut initiée, en partie, par des enfants de harkis. ( avec qui certains je suis toujours en contact 40 ans après )
Nous, les enfants de harkis, sommes ballotés d’un camp à l’autre : ignorés, parfois méprisés , insultés par une gauche qui nous accuse d’être des traîtres, manipulés par une droite et une extrême droite qui nous considèrent encore comme des colonisés.
Quand je suis arrivé en France en 1962, j’avais 5 ans.
Je ne comprenais rien à ces camions militaires, à ces soldats, à ces campements.
Balloté d'un camp à un autre Rivesaltes , Bourg Lastic, St Rome de Cernon au Larzac , je ne savais pas encore que j’étais l’un des enfants de l’après-guerre d’Algérie.
Mon père, un Moghzani à la SAS – un harki non combattant, non militaire engagé dans des actions sociales et éducatives pendant la période dite de « pacification » –, n’avait jamais parlé de trahison, n'avait jamais porté une arme , un garde champêtre en somme.
Très tôt, pourtant, les autres enfants algériens de mon âge me renvoyaient cette idée : « Ton père est un traître. »
À force, j’ai fini par en douter.
Comment concilier cette accusation avec l’homme de grande droiture que je connaissais ? Mon père, musulman pratiquant, respectueux et respecté tant par les Français de souche que par les Algériens, était un homme de peu de mots.
Il ne disait que l’essentiel.
Mais son silence, je l’ai interprété plus tard comme une dignité blessée.
Adulte, j’ai compris que les harkis ne sont ni des traîtres ni des héros.
Ce sont des hommes, pris dans l’étau d’une histoire qui les a déchirés. Mon père, comme tant d’autres, avait cru en une France . Il avait agi non selon ses convictions, dans un contexte où les choix étaient souvent impossibles et souvent manipulés.
La guerre d’Algérie n’a pas laissé de place aux nuances : on était soit pour l’indépendance, soit pour la France Les harkis, eux, ont payé le prix de leur loyauté – abandonnés, massacrés, ou relégués dans des camps en France, où l’accueil fut souvent indigne.
Aujourd’hui, quand un député reprend le vocabulaire du FLN pour qualifier les harkis de « traîtres », il ne fait pas que blesser une mémoire. Il rouvre des plaies jamais vraiment refermées. Il ignore – ou feint d’ignorer – que les enfants de harkis, comme moi, avons grandi entre deux feux : celui de l’Algérie qui nous rejetait, et celui de la France qui nous tolérait à peine.
Je me souviens de la Marche des Beurs, en 1983. Beaucoup d’entre nous, enfants de harkis, y étions. Nous marchions pour la dignité, pour dire que nous étions Français avec les mêmes droits. Pourtant, même là, notre histoire était souvent passée sous silence. La gauche nous voyait comme des « collaborateurs », la droite comme des « assistés ». Personne ne voulait vraiment entendre notre vérité : nous étions les héritiers d’une double trahison – celle de l’Algérie, qui nous considérait comme des ennemis, et celle de la France, qui nous avait abandonnés.
Aujourd’hui, je refuse de choisir entre ces deux mémoires. Je suis Français, et mon histoire fait partie de celle de ce pays. Les harkis ne sont pas des traîtres. Ce sont des hommes qui ont cru en une France qui, trop souvent, les a oubliés. Leur mémoire mérite mieux que les injures et les instrumentalisations politiques.
Quand un élu utilise le mot « traître » pour parler des harkis, il ne fait pas avancer le débat. Il l’envenime. La réconciliation, si elle est possible, passera par la reconnaissance de toutes les souffrances – celles des Algériens qui ont lutté pour leur indépendance, et celles des harkis qui ont cru en la France. Elle passera par des mots justes, et non par des insultes.
Mon père n’était pas un traître. Il était un homme. Et c’est en tant qu’homme, et en tant que Français, que je demande que sa mémoire – et celle de tous les harkis – soit enfin respectée.
Ben Boukhtache
Ouvrier viticole